La Bible de Kralice fête ses 400 ans
La Bible de Kralice est le livre fondamental du peuple tchèque. Ce texte religieux est aussi un élément essentiel de la culture nationale, une source de la langue et de la grammaire et même un des piliers spirituels de l’existence des Tchèques. Quatre siècles se sont écoulés depuis la dernière édition de ce livre majeur réalisé par l’Unité des frères dans son imprimerie du village de Kralice, en Moravie. C’est pour évoquer cet anniversaire et rappeler aux Tchèques l’existence de ce livre fondamental de leur culture que la Bibliothèque nationale de Prague a mis sur pied une exposition rassemblant des exemplaires des premières éditions de la Bible de Kralice et d’autres documents illustrant son rôle dans l’histoire de la nation.
Traducteur du Nouveau Testament, Jan Blahoslav fixe les règles pour la traduction de l’Ancien Testament qu’il souhaite également traduire. Bien qu’il meure trop tôt pour voir le projet aboutir, il prépare le terrain pour sa réalisation en veillant à la formation de nouveaux traducteurs. C’est grâce à lui que l’évêque Ondřej Štefan, son disciple, disposera d’une équipe de spécialistes capables de traduire la Bible non pas à partir de sa version latine, la Vulgate, mais à partir des textes araméens, hébreux et grecs. Robert Dittmann évoque ce travail intellectuel d’une rare complexité :
« En ce qui concerne la Bible de Kralice en six tomes, les travaux sur ce projet se sont échelonnés sur plus de dix-sept ans et la période de son édition a duré quinze ans. Pendant cette période ont été progressivement publiés les six tomes de l’ouvrage. Il s’agit donc d’un effort qui s’est étendu sur beaucoup d’années. »
La nouvelle traduction paraît entre 1579 et 1594. Les travaux d’impression sont effectués dans l’imprimerie de l’Unité des frères du village de Kralice, en Moravie du Sud. Les imprimeurs, mal vus par le clergé catholique, travaillent presque dans la clandestinité et ne révèlent pas leurs noms dans le texte. Leur œuvre ne peut être accomplie que grâce au généreux soutien et à l’aide matérielle des puissants seigneurs Jan et Karel de Žerotín.La dernière édition de la Bible sortie de l’imprimerie de Kralice paraît en 1613, à une époque encore de relative liberté et de tolérance religieuse. Cette époque touche cependant à sa fin et finira brutalement en 1620 avec la bataille de la Montagne blanche. Cette défaite de la noblesse protestante tchèque vaincue par l’empereur autrichien marque également le début de la contre-réforme dans les pays de la couronne tchèque. Au début du XVIIe siècle, il n’y a dans le pays que 10 à 15 % de catholiques et presque tous les autres habitants, à l’exception des juifs, font partie de diverses Eglises protestantes. La défaite de la Montagne blanche fait d’eux des parias. Le catholicisme devient la seule confession autorisée, les protestants sont proscrits, chassés du pays ou contraints de se reconvertir au catholicisme. Les nouveaux maîtres se lancent à la recherche des livres protestants pour les brûler et éradiquer ainsi la contagion hérétique. La Bible de Kralice est interdite. Ses éditions postérieures à 1613 ne pourront paraître qu’à l’étranger et seront distribuées aux protestants tchèques illégalement comme des articles de contrebande. Robert Dittmann constate cependant que l’importance directe et indirecte de ce livre pour la population tchèque reste énorme :
« La Bible de Kralice est une espèce de codificateur du style biblique tchèque qui a été respecté pratiquement jusqu’au XXe siècle. En ce qui concerne la langue tchèque en général, c’est le langage de la Bible de Kralice qui a été utilisé comme une des sources importantes du tchèque moderne qui a été codifié au début du XIXe siècle. Dans les Eglises protestantes en Bohême, en Moravie ainsi qu’en en Slovaquie, cette bible a été activement utilisée jusqu’aux années 1970 – 1980. Ensuite, elle a été remplacée par une nouvelle traduction œcuménique, mais elle reste toujours une source de religiosité intime pour beaucoup de chrétiens tchèques. »La Bible de Kralice est un livre d’un haut niveau linguistique, un ouvrage dont la langue est considérée comme la plus belle de son époque, comme un sommet de la culture humaniste tchèque. Son texte est équilibré et reflète l’essor culturel de la Renaissance. Cela se manifeste notamment dans l’intérêt profond que ses traducteurs ont manifesté pour les langues des textes bibliques originaux, par l’accent qu’ils ont mis sur les qualités esthétiques et euphoniques de la traduction. Le style de l’ouvrage est très unifié, parce que tous les membres de l’équipe de traducteurs obéissaient strictement aux règles de grammaire fixées par Jan Blahoslav, et notamment au principe d’exclusivité du style biblique. Leur discipline a été telle qu’aujourd’hui encore les analystes ne parviennent pas à discerner et à identifier les textes traduits par les différents traducteurs.
Destinée d’abord au clergé désireux d’exercer le culte en langue tchèque, la Bible de Kralice a donc fini par devenir une source de spiritualité, de connaissance et de beauté pour tout un peuple. L’exposition installée à la Bibliothèque nationale évoque tous ces aspects de ce chef-d’œuvre de la traduction des Saintes Ecritures et, comme le rappelle Robert Dittmann, réunit aussi d’autres documents et objets remarquables :« J’aimerais attirer l’attention des visiteurs sur les caractères mobiles en plomb qui ont été retrouvés lors des fouilles archéologiques à Kralice. Il s’agit des caractères originaux qui ont servi pour l’impression de la Bible. Il y a également plusieurs variantes typographiques du Nouveau Testament traduit par Jan Blahoslav et un exemplaire de la copie de la Grammaire du même auteur. Les visiteurs peuvent aussi voir le psautier unique que nous devons à l’évêque de l’Unité des frères Matěj Červenka, personnalité importante de cette Eglise, ou bien les épreuves de correction utilisées lors de l’impression du Cantionnaire de l’Unité des frères. Tout cela, ce sont des objets d’une grande rareté. »
L’exposition intitulée « La Bible de Kralice » est ouverte jusqu’au 3 novembre prochain.