La Correspondance entre Masaryk et Kramar

Tomas Garrigue Masaryk

Le 7 mars, nous avons commémoré le 156e anniversaire de la naissance du premier président tchécoslovaque, Tomas Garrigue Masaryk. Philosophe, pédagogue, savant, essayiste, député, politicien, fondateur du nouvel Etat indépendant des Tchèques et des Slovaques, tout cela Masaryk l'était de sa vie. Pour beaucoup de Tchèques, il reste aujourd'hui encore un point de repère, une référence, un symbole, un homme estimé et respecté.

Ce n'est pas seulement parce qu'il a été le premier président, mais aussi parce qu'il fut un vrai démocrate et un politicien honnête. C'est ce qui a été souligné, mardi, à l'occasion de la parution du recueil de lettres échangées entre deux personnalités clés et charismatiques de la première République tchécoslovaque - Tomas Garrigue Masaryk, président de celle-ci, et Karel Kramar, chef du premier gouvernement. La correspondance fournit un témoignage sur les rapports professionnels et personnels entre les deux hommes qui, chacun dans leur position, ont exercé une influence décisive sur la politique intérieure et extérieure du nouvel Etat. Leur correspondance s'étend sur une période de qaurante ans. Masaryk est l'auteur de 117 documents et Kramar de 167 autres réunis dans cette collection. La première lettre est celle que Masaryk a écrit à Kramar le 12 janvier 1889, année où les deux hommes sont devenus députés du Parlement autrichien. La dernière est la lettre de Kramar à Masaryk datée du 10 décembre 1936, donc un an avant sa mort. Le livre a été présentée à la librairie pragoise Academia par le professeur Zdenek Karnik de la Faculté des lettres de l'Université Charles :

« Ce que j'ai notamment apprécié dans cette correspondance, c'est qu'elle permet de découvrir comment étaient ces deux hommes qui se sont retrouvés à la tête du pays et qui ont constitué l'axe de sa vie spirituelle. Il est passionnant de suivre que l'un est devenu chef de l'Etat et l'autre Premier ministre, soit, en quelque sorte, son opposant, bien que les deux soient partis des mêmes idées. Très proches au départ de par leurs opinions sur la politique, ils se sont éloignés, au fur et à mesure, l'un de l'autre sans pour autant devenir des adversaires: même dans les situations de conflit les plus aiguës, ils sont restés de vrais gentlemen et, de ce point de vue, leur correspondance reste de toute actualité, si on compare cette époque à l'état actuel de la scène politique tchèque. »

Le maître de conférence, Martin Kucera, a évoqué, de son côté, le caractère très vif de Masaryk, son intérêt pour toutes les affaires de l'univers :

« L'impétuosité que représentait dans l'espace tchèque et européen Tomas Garrigue Masaryk, avec sa vision philosophique et politique de la réalité perçue comme un ensemble, un univers, est sans précédent. Il n'existait pas un seul thème, un seul domaine de l'univers, y compris le cosmos, qui ne l'intéresserait pas et sur lequel il n'aurait pas voulu s'exprimer. C'est là un aspect de son caractère : sa capacité de contemplation liée à un certain messianisme prophétique et, de l'autre côté, son approche tout à fait concrète et pratique de chaque problème, même le plus théorique. La devise de Masaryk était de pénétrer à travers l'affaire elle-même jusqu'à son fond. C'est ce qui était souvent incompris et qualifié par certains de banalité ou de politique non politique, mais pour Masaryk, la solution de chaque problème se trouvait dans des faits concrets. »

Masaryk, lui-même, fut l'auteur d'innombrables ouvrages philosophiques, politiques et religieux, s'exprimant sur des thèmes tabouisés ou controversés : le suicide, la question juive. Quels autres thèmes abordés par Masaryk restent encore d'actualité, soixante-dix ans après son décès ? L'historien Ivan Sedivy :

Les manuscrits dits de Zelenohorsky et Kralovedvorsky
« Il y a, par exemple, la nécessité de solution concrète à la question tchéco-allemande. Pour cela, Masaryk a souvent été accusé d'être pro-allemand et trop international. Autre legs de Masaryk : sa vision de l'organisation correcte de l'Europe, dans le sens de la coopération et, dans une certaine mesure déjà, de l'intégration des Etats européens dans laquelle les petites nations et les petits Etats auraient une place garantie. En fin, il y a la volonté de Masaryk de faire prévaloir son opinion à chaque fois qu'il était convaincu de sa justesse, même en dépit de l'opposition majoritaire de la société. Et c'est ce qui pourrait être une source d'inspiration pour chacun d'entre nous. »

Beaucoup oublient que Masaryk s'est opposé au mythe de l'authenticité des manuscrits dits de Zelenohorsky et Kralovedvorsky et qu'il a pris la défense d'un Juif, Hilsner, accusé du meurtre rituel d'une chrétienne, affaire qui vait alors pris des proportions semblables à celles de l'affaire Dreyfus en France. Masaryk a mené une campagne contre les préjugés antisémites et raciaux dans la société. Nous terminerons avec les mots de l'historien Michal Pehr, pour lequel le plus précieux dans la personnalité et la pensée de Masaryk est l'accent mis sur l'éthique :

« Si la génération actuelle devait emprunter quelque chose du legs de Masaryk, ce serait justement cette dimension éthique. Ce courage de dire ce que je pense. C'est cela, le trait le plus caractéristique de Masaryk. »