La couronne tchèque a vu le jour il y a 90 ans
Il y a tout juste 90 ans, le 10 avril 1919, la jeune République tchécoslovaque s’est dotée de sa propre monnaie – la couronne tchécoslovaque. Le nom de la nouvelle monnaie, le même qui était utilisé en Autriche-Hongrie depuis 1892, ne devait être que provisoire. Les nouveaux noms proposés comme franc, denier, sokol /faucon/, lion ou rašín, d’après le nom du ministre des Finances Alois Rašín, n’ont toutefois pas été adoptés, et la couronne est restée la monnaie officielle de l’Etat tchécoslovaque jusqu’à sa partition, en 1993.
La monnaie étant l’un des symboles des Etats, la séparation monétaire de l’Autriche-Hongrie a été l’un des premiers pas de la nouvelle république vers son indépendance économique. L’introduction de la monnaie a été un long processus, observe le numismate Jiří Militký :
« La date du 10 avril est symbolique, se référant à la loi monétaire du 10 avril 1919. En réalité, la couronne tchécoslovaque a vu le jour deux mois auparavant, le 25 février 1919, lorsque la séparation monétaire s’est opérée. Après la guerre, la situation économique de l’Autriche et de la Hongrie, deux Etats successeurs de la monarchie austro-hongroise, est devenue difficile. En revanche, l’économie du nouvel Etat tchécoslovaque se portait beaucoup mieux et c’est pour cela que le ministre des Finances Alois Rašín a opté pour une solution radicale - la séparation de la monnaie : les frontières ont été fermées et les billets de banque austro-hongrois, alors en circulation, ont été timbrés. La loi monétaire en vigueur dès le 10 avril 1919 a donné naissance à la couronne tchécoslovaque. »
On aurait vainement cherché le mot ‘couronne’ sur la face et l’envers des pièces de monnaie tchécoslovaques frappées en 1919. La recherche d’un nouveau nom pour remplacer cette désignation, toujours très liée à l’ancienne monarchie, a continué. Parmi les nombreux projets présentés, le plus bizarre a été celui proposant que la nouvelle monnaie s’appelle sokol, d’après le mouvement gymnique et patriotique Sokol. Les ‘sokols’ devaient se composer de 10 petites griffes et de 100 plumes. Aucun de ces projets n’a finalement été réalisé. Grâce à qui, la Tchécoslovaquie a gardé sa couronne ? Jiří Militký :
« C’est le ministre des Finances Alois Rašín qui se trouvait derrière cette décision, mais il est sûr que c’était aussi le souci de préserver la continuité de la couronne introduite sous l’Autriche-Hongrie, qui a joué son rôle. Quant aux aspects pratiques, le passage à la nouvelle monnaie tchécoslovaque était compliqué par la situation d’après-guerre. Aucun hôtel de la monnaie n’était en service alors en Tchécoslovaquie, et pour cette raison, on n’a pas pu commencer par la frappe des pièces. Ainsi, les billets de banque ont été les premiers à être imprimés dans différentes imprimeries d’Europe et même aux Etats-Unis. »
Le plus grave obstacle à la frappe de la monnaie nationale sur le territoire du nouvel Etat tchécoslovaque – la présence de troupes hongroises dans le sud de la Slovaquie y compris la ville de Kremnica où se trouvait l’unique hôtel de la monnaie. Jiří Militký explique les raisons de cette occupation qui a duré jusqu’à l’été 1919:
« La ville de Kremnica faisait officiellement partie du nouvel Etat, mais l’armée tchécoslovaque n’est arrivée sur ce territoire occupé par les troupes hongroises que le 15 décembre 1918, soit deux mois après la proclamation de l’Etat tchécoslovaque. Entre-temps, l’administration hongroise a complètement vidé l’hôtel de la monnaie, emmenant avec elle les réserves de métaux précieux, la collection des médailles ainsi que tous les équipements et les machines. L’administration tchécoslovaque qui y est arrivée, n’y a trouvé que des locaux vides. »
Les premiers moyens de paiement tchécoslovaques ont été les dits ‘státovky’ – les billets émis par l’Etat. Leur valeur nominale était de 1, 5, 10, 20, 50, 100, 500, 1000 et 5000 couronnes. La rapidité avec laquelle les ‘státovky’ étaient frappés s’est reflétée sur leur mauvaise qualité technique. La réalisation d’une partie des projets a été confiée au célèbre peintre Alfons Mucha, auteur des coupures de 10, 20, 100 et 500 couronnes. Jiří Militký décrit les tous premiers billets émis par l’Etat tchécoslovaque :
« Les coupures de la dite première émission portent la date du mois de février 1919. En réalité, elles ont été émises un peu plus tard, dans le courant de l’année 1919. C’était les billets de valeur nominale de 1 et de 5 couronnes, aux motifs assez simples et pour cette raison, assez souvent falsifiés. »
Les billets de banque sont émis en Tchécoslovaquie dès 1926, date de la création de la Banque nationale. Les pièces de monnaie sont frappées depuis déjà 1921, et celles de valeur nominale de 5, 10 et 20 couronnes datées de 1928 à 1932 sont frappées en argent. Parmi leurs auteurs, on trouve les noms d’artistes célèbres comme Otakar Španiel, Otto Gutfreund ou Jaroslav Horejc. Pour ce qui est des auteurs des billets de banque, à part Alfons Mucha déjà mentionné, c’est le peintre Max Švabinský dont le billet de 100 couronnes émis en 1931 et celui de 1000 couronnes de 1934 sont considérés comme les plus beaux de toute la période d’entre-deux guerres.Très appréciée est la conception graphique des billets de banque tchèques actuels, œuvre de Oldřich Kulhánek. La coupure de 1000 couronnes réalisée par lui est devenue le billet de banque mondial de l’an 2008. La couronne tchécoslovaque a disparu après 75 ans d’existence, en 1993. Le prochain passage à l’euro mettra fin non seulement à l’ère de la couronne tchèque, mais aussi à toute l’histoire de la couronne instaurée sur notre territoire il y a 117, en 1892.