1919, la naissance de la couronne tchécoslovaque
Qui dit naissance d’un Etat tchécoslovaque, dit logiquement création d’une monnaie tchécoslovaque. La couronne tchécoslovaque est née en 1919 et elle célèbre son centenaire avec une exposition aux Ecuries impériales du Château de Prague. Jusqu’à fin avril, le public peut notamment y découvrir une pièce de monnaie en or de 130 kilogrammes spécialement conçue pour l’occasion…
Une très grosse pièce
Ce n’est ni plus ni moins que la deuxième plus grande pièce d’or au monde. Si elle est impressionnante, elle n’est guère pratique avec ses 53,5 centimètres de diamètre et ses 4,8 centimètres de largeur. Rares sont les portemonnaies adaptés à ce type de monstre, peu commode également pour s’acheter une baguette – ou ses variantes locales, rohlík ou autre houska – puisque sa valeur, centenaire oblige, est de 100 millions de couronnes, environ 4 millions d’euros. Lors de l’inauguration de l’événement, cela n’empêchait pas Jaroslav Moravec, spécialiste des monnaies pour la Banque nationale tchèque (ČNB), l’institution qui a chapeauté l’exposition dont il est le curateur, de n’être pas peu fier de son bébé :
« A l’heure actuelle, il s’agit de la plus grande pièce de monnaie d’Europe, de la seconde plus grande au monde. C’est la plus grande au monde réalisée avec la technologie du fraisage, c’est-à-dire par l’enlèvement de copeaux, parce que la véritable plus grande, qui est australienne, a entièrement été moulée. C’est une pièce en or quasiment pur, à 999,9 ‰. C’est donc de l’or pur, parce qu’en réalité une pureté de 1000 ‰ n’existe pas. »
Une exposition sur les cent ans d’histoire de la couronne tchécoslovaque
La grosse pièce, sur laquelle sont gravés les symboles de la République tchèque et les lettres « ČNB », sert en quelque sorte de produit d’appel pour le reste d’une exposition dont le thème peut paraître, à tort, moins excitant : les cents ans d’histoire de la couronne tchécoslovaque.Les premières pièces de monnaie apparaissent vers l’an mil en Bohême, avec le denier de Boleslav. Depuis lors, différents types de pièces se sont succédés sur son territoire mais la couronne tchécoslovaque n’a été créée qu’en 1919, plusieurs mois après l’indépendance de la Tchécoslovaquie. Il faut dire qu’adopter une nouvelle monnaie n’a pas été une promenade de santé, ainsi que le raconte l’autre curateur de l’exposition, Jakub Kunert, archiviste pour la Banque centrale tchèque :
« Quand la République tchécoslovaque a été créée, le 28 octobre 1918, certains imaginaient qu’elle devait avoir immédiatement sa monnaie. Au contraire, Alois Rašín, qui allait être le protagoniste principal de ce futur processus monétaire, a affirmé qu’il n’était alors fondamentalement pas possible de passer tout de suite à une autre monnaie. Les conditions n’avaient pas été créées pour cela, on n’avait pas les moyens d’imprimer la quantité de monnaie nécessaire, il n’était pas possible de remplacer les billets de banque austro-hongrois. »
La figure d’Alois Rašín
Economiste et patriote tchèque, Alois Rašín, emprisonné pendant la Première Guerre mondiale, est un personnage central dans la création de la couronne tchécoslovaque. En 1918, pressenti d’abord pour devenir ministre de l’Intérieur, il est finalement nommé ministre des Finances, une fonction qu’il occupe jusqu’à l’été suivant puis à nouveau à partir du mois d’octobre 1922 à une époque où le pays fait face à une grave crise économique. Alois Rašín ne reste alors en poste que quelques mois seulement, puisqu’il meurt en février 1923, assassiné par le jeune militant anarchise Josef Šoupal.L’exposition lui rend hommage avec un billet de banque créé à cette fin, et qui n’est autre, d’ailleurs, que le premier billet commémoratif édité par la Banque nationale. Il a été imaginé par Eva Hašková, laquelle conçoit habituellement des timbres. Une manière aussi de féminiser un peu la production de monnaie si l’on en croit Jaroslav Moravec :
« Si l’on excepte la peintre slovaque Mária Medvecká et son fameux billet de dix couronnes représentant deux petites filles et le barrage d’Orava, il s’agit du premier billet de banque créé par une femme tchèque. »
Dans un monde parallèle, le franc tchécoslovaque
Mais revenons en 1918. A l’époque, Alois Rašín et ses collaborateurs négocient avec la Banque austro-hongroise, laquelle émet les couronnes austro-hongroises, pour prendre partiellement son contrôle pour le territoire tchécoslovaque. En février 1919, Prague peut annoncer qu’une nouvelle monnaie va voir le jour. Le mois suivant, l’équipe d’Alois Rašín prend possession du bâtiment de la Banque austro-hongroise et le Bureau bancaire du ministère des Finances est créé. C’est la première autorité monétaire en Tchécoslovaquie, l’ancêtre de la Banque nationale tchécoslovaque, laquelle est instituée en 1926.Les premiers billets de banque utilisés en Tchécoslovaquie portent la date du 15 avril 1919. Il en existe neuf coupures, de une à cinq mille couronnes, dont le motif pour certaines, a été réalisé par Alfons Mucha. Toutes sont visibles à l’exposition. Ce sont donc des couronnes tchécoslovaques, mais elles auraient pu porter un tout autre nom… Jakub Kunert :
« Quand Alois Rašín réfléchissait à la nouvelle monnaie, il imaginait d’abord qu’il puisse y avoir deux monnaies parallèles. Quand il négociait avec les représentants de la Banque austro-hongroise, il a fait savoir que les billets austro-hongrois resteraient valables un certain temps, durant lequel on essaierait d’introduire des francs tchécoslovaques. C’est pourquoi on peut aujourd’hui voir ces modèles de billets de francs tchécoslovaques. Cependant, le franc tchécoslovaque n’a finalement pas vu le jour. Lors de la naissance de la nouvelle monnaie, le 25 février 1919, son nom n’est pas spécifié dans la loi. Il est simplement indiqué qu’on continuera à utiliser les billets imprimés austro-hongrois. Plus tard, le 10 avril 1919, le nom de la monnaie apparaît dans la loi : ce sera la couronne tchécoslovaque et son symbole sera Kč. »Pour connaître les cent années suivantes de l’histoire de la devise de la Tchécoslovaquie puis de la Tchéquie, il faut donc se ruer sur l’exposition proposée aux Ecuries impériales du Château de Prague. Outre le détail de cette aventure, elle propose aussi des curiosités dignes de l’intérêt des visiteurs, tels des exemplaires de l’émission dite « de Londres », des billets de banque imprimés au Royaume-Uni par le gouvernement tchécoslovaque en exil durant la Seconde Guerre mondiale. L’année n’était pas mentionnée sur ces billets car on ignorait quand le conflit prendrait fin…