Les 95 ans de la couronne tchécoslovaque
Au moment de sa création, le 28 octobre 1918, la République tchécoslovaque possédait son drapeau et son hymne, mais la couronne austro-hongroise restait la monnaie en usage dans le nouvel Etat indépendant. Il a fallu attendre quatre mois supplémentaires avant que ne soit adoptée une loi donnant naissance à une monnaie nationale, le 25 février 1919.
Dans l'euphorie de la création d'un Etat indépendant, Tchèques et Slovaques ont cherché à se débarrasser de tout ce qui était lié à l'ancienne monarchie, à une exception près : la monnaie. Tandis que l'Autriche va abandonner paradoxalement la couronne pour le schilling, la Tchécoslovaquie, elle, garde en revanche l'appellation de couronne. Il n'empêche que d'autres appellations, dont quelques-unes assez bizarres, ont été proposées comme sokol – le faucon (mouvement gymnique et patriotique du XIXe siècle). Le sokol devait être divisé en káně – buse... Les Tchécoslovaques auraient pu utiliser également le franc tchécoslovaque, ou encore le hryvnia – hřivna qui est l'unité monétaire de l'Ukraine. Pourquoi donc la couronne ? Roman Vondra explique :
« Finalement, la raison et le pragmatisme ont prévalu. De mon point de vue, le ministre des Finances Alois Rašín a préféré perpétuer la tradition et ne pas abandonner une marque de renom. La couronne impériale figurait sur l'avers de la couronne autrichienne, de même que la couronne de saint Etienne était le dessin majeur sur l'avers de la couronne hongroise. Mais il est également possible qu'aucune référence n'existe entre l'appellation de couronne et l'ancienne monarchie. Il n'est pas exclu que cette appellation ait été choisie par les Tchèques comme symbole de la couronne de saint Venceslas. » Les accords de Munich en 1938 ont mis fin à la Première République tchécoslovaque. De 1939 à 1945, la couronne tchécoslovaque est remplacée par deux nouvelles unités monétaires : la couronne de Bohême et de Moravie dans le Protectorat et la couronne slovaque dans l'Etat slovaque libre. Par un décret d'Adolf Hitler du 16 mars 1939, la couronne est affaiblie par rapport au mark et s'échange en proportion de 1 pour 10. Les nazis s'emparent d'une grande partie des réserves d'or de la Tchécoslovaquie. La Banque nationale est obligée de payer une taxe spéciale équivalant au volume de la monnaie nationale en circulation sur les territoires annexés au Reich. En revanche, les billets tchécoslovaques ne sont pas tout de suite retirés de la circulation, comme l'observe Roman Vondra :« En créant le protectorat de Bohême-Moravie, le régime hitlérien a paradoxalement laissé en circulation la monnaie tchécoslovaque, sans procéder à son retrait immédiat. La majorité des billets sont restés en circulation jusqu'en 1944. Ainsi, durant l'occupation du pays, on utilisait couramment les pièces de monnaie et les billets avec le portrait du premier président tchécoslovaque, Tomáš Garrigue Masaryk. Une curiosité est le billet de cinq couronnes émis en 1938. Peu importe que le dessin majeur soit le portrait de Josef Jungmann, grande figure du Réveil national et principal artisan de la langue tchèque moderne, ce billet a été mis en circulation en pleine période du Protectorat, en 1940. Cela témoigne du pragmatisme de la politique allemande. »La guerre terminée, l'objectif de la première réforme monétaire lancée le 1er novembre 1945 est d'unifier la monnaie de l'ancien Protectorat avec celle créée par l'Etat slovaque. Chaque citoyen peut échanger 500 couronnes. Les moyens supérieurs à cette somme doivent être déposés à un compte à terme. Le système de rationnement introduit pendant la guerre reste en place pour quelque temps encore.
Le 1er juin 1953 est une journée noire de notre histoire et conséquence directe du Coup de Prague de février 1948. Tenue dans le plus strict secret, la réforme monétaire est lancée. Ses objectifs sont nettement politiques, consistant dans la liquidation des dits éléments bourgeois et dans la suppression des différences sociales. Durant les premiers jours, les citoyens ont le droit de changer l'ancienne monnaie contre la nouvelle. Ainsi, l'argent liquide au-dessous de 300 couronnes est changé en proportion de 5 pour 1, l'argent liquide au-dessus de 300 couronnes dévalué en proportion de 50 pour 1. Les assurances, les valeurs et les bons d'Etat sont liquidés sans compensation. La réforme a durement touché la population et paralysé l'économie du pays. Parallèlement à la réforme, l'Etat a supprimé le système de rationnement et introduit de nouveaux prix de détail. La couronne tchécoslovaque a été la monnaie de la Tchécoslovaquie du 15 avril 1919 au 14 mars 1939, et du 11 novembre 1945 au 9 février 1993. Pour un très court laps de temps des années 1939 et 1993, elle a été aussi la monnaie de deux républiques séparées, la Tchéquie et la Slovaquie. Du 2 au 9 février 1993, les deux Etats successeurs de l'ancienne Tchécoslovaquie ont introduit leur propre unité monétaire, la couronne tchèque et la couronne slovaque, chacune respectivement à parité une nouvelle couronne pour une ancienne. Les portraits des personnalités comme le roi Charles IV, le « maître des nations » Comenius, la femme de lettres Božena Němcová, l'historien František Palacký, la célèbre cantatrice Ema Destinová et le fondateur de la Tchécoslovaquie et son premier président Tomáš Garrigue Masaryk nous regardent à partir des coupures actuellement en circulation. L'historien Vondra est plutôt séduit par cette nouvelle série :« Oldřich Kulhánek, l’auteur des billets tchèques, a créé une œuvre sans pareil. La série qu'il a réalisée est une galerie en images de l'histoire tchèque. En outre, il a réussi à faire en sorte que la monnaie est dotée d'une certaine dimension spirituelle ce qui est un signe très positif. »