La croisière rouge des C4 à Prague, 40 ans après
Début août 1968, 15 étudiants marseillais passionnés de vieilles voitures Citroën étaient partis à bord de trois torpédos C4. Après bien des péripéties, ils avaient quitté la Tchécoslovaquie deux jours avant l'invasion soviétique. Quarante ans plus tard, ils ont celebré cette aventure et la liberté retrouvée. Quatre torpédos C4 ont parcouru le meme trajet, Marseille-Prague. A bord des mêmes voitures...
Les mécaniques automobiles et physiques ont un peu vieilli, mais 40 ans après la motivation est toujours intacte. Ils étaient 17 copains en août à parcourir à bord de quatre Citroën Torpedo C4 des années 20 et 30 (contre trois pour la première croisière), le trajet Marseille – Prague et retour. La croisière rouge, deuxième du nom !
La première avait donc eu lieu en 1968 alors que le Printemps de Prague touchait à sa fin. Le nom de la croisière rouge avait été choisi par allusion à la croisière jaune, une expédition de Citroën en Asie…
Alors à peine arrivés à Prague en ce mois d’août 2008, la dizaine de participants aux deux croisières constatent ce qui a changé, ou pas, dans la capitale tchèque. Pierre-François Pernet, médecin à Marseille, le benjamin de l’expédition de 68 explique :
« Quand on pénètre un peu plus dans le cœur de la ville, on s’aperçoit de tout le passé qui est toujours présent. Ces tramways qui ont été modernisés mais enfin il y a toujours la structure architecturale qui demeure. Le souvenir fort, c’est un souvenir d’adolescent, c’est un espèce de bouillonnement populaire. Des gens très chaleureux, un bouillonnement de vie, des gens qui échangeaient volontiers des sourires. Les gens échangeaient volontiers dans la rue parce que souvent ils avaient leur visa pour pouvoir partir à l’ouest, pensaient-ils .Moi j’ai ce souvenir de bouillonnement de vie dans le centre. »
Même son de cloche pour Joëlle Rathelot, dite boubou, maître de conférence à l’université en biochimie :
« La première partie de la traversée, moi j’ai trouvé d’énormes changements. On est arrivé par des centres commerciaux qui n’existaient pas. On s’est cru dans les centres commerciaux aux environs de Paris ou Marseille. Donc ça, ça n’existait pas du tout, et puis petit à petit en s’approchant de la ville, à part l’entretien des façades qui étaient toute très sombres à l’époque et là quand même, elles se sont éclaircies. Je trouve que l’ambiance est beaucoup plus claire. »
Alors sous les regards ébahis des passants devant de telles voitures, la redécouverte du centre-ville suscite beaucoup d’émotions et les souvenirs affluent. Il y a quarante ans, de telles voitures dans les rues choquaient moins… Jacques-Louis de Beaulieu :
« Ce qui était extraordinaire quand on est arrivé en 1968, d’abord c’était que les abords étaient très campagnards, forcément. Et puis beaucoup de gens sortaient de leur garage des vieilles automobiles contemporaines des nôtres pratiquement. Ils les avaient remis en état et roulaient avec. Une multitude d’automobiles qui étaient proches des nôtres et c’était un vrai bonheur. »
Alors retour 40 ans en arrière. Qu’est ce qui a donc poussé ces jeunes à faire ce parcours… Pierre-François Pernet :
« Ce sont des gens du groupe que l’on appelait le bureau Bidon, qui est un groupe d’amis de la faculté qui sont des étudiants de 68, qui en mai 68 n’étaient pas des activistes forcenés mais par contre étaient très curieux, et notamment du Printemps de Prague. Et de cette aventure avec ces voitures anciennes qui étaient un hobby de copain et un prétexte à des fêtes, à des ballades, des choses comme ça. »
En fait, il y a 40 ans l’objectif final n’était pas Prague mais le hasard des pannes a arrêté l’équipe dans la capitale tchèque. Jacques-Louis de Beaulieu se souvient :
« A vrai dire, on voulait aller à Cracovie. On voulait passer par Prague pour voir le Printemps. Et moi je suis paléontologue et l’université de Cracovie est extrêmement réputée pour la paléontologie végétale, alors c’était une idée comme ça, aller voir des collègues de Cracovie. Mais comme nous avons cassé notre boîte de vitesse ici, nous n’avons pas dépassé Prague, ce qui nous a permis d’attendre les pièces de rechange et de visiter avec beaucoup de plaisir la ville pendant huit jours. »
Quelques jours après leur départ de Prague pour rentrer à Marseille, les chars du pacte de Varsovie rentraient dans la capitale tchèque. Jacques-Louis de Beaulieu raconte :
« On est parti le 18 dans la nuit après avoir réparé. On avait des examens à préparer et on avait pris un peu de retard et notre chef-mécanicien avait envie de rentrer. Donc on est parti comme des bombes et on a roulé jour et nuit pratiquement, de sorte qu’on a fait Prague Marseille en 58 heures. Et nous sommes passés par l’Italie et à Briançon, on lit les journaux et on voit des images de chars dans Prague, les Russes sont dans Prague. Et nous on venait d’en sortir puisqu’on n’avait pas arrêté de rouler. C’était comme si on en était parti quelques instants avant et ça a été une sensation effrayante. On avait rencontré en circulant dans la ville, une dame d’origine française qui était Bretonne. Elle avait épousé un ingénieur tchèque qui avait été réquisitionné par l’armée allemande et qui occupait la Bretagne. Ils étaient tombés amoureux, ils s’étaient mariés, elle était venue. Le rideau de fer était tombé. Elle était d’une joie extrême, enfin elle allait pouvoir aller revoir sa grand-mère qu’elle n’avait pas vue depuis la fin de la guerre. Je pense toujours à cette dame qui peut-être n’est jamais retournée voir sa grand-mère… »
Avec le temps, les souvenirs des différents participants divergent. Paule Benner raconte sa version :
« Je me rappelle surtout du jour où on est reparti. On a croisé les chars en sortant de Prague. Alors eux ne se rappellent pas, moi je ne me rappelle que de ça. Des dizaines de chars qui se suivaient et il y avait des soldats qui nous disaient impérativement, poussez vous ! »
Le parcours 2008 a été, comme il y a 40 ans, émaillé d’incidents en tout genres. Mais de fins mécaniciens composent l’équipe pour contrer les défaillances des C4. Parmi eux, Nicolas Gignoux :
« Il n’y a pas eu un jour sans panne et suovent des pannes longues. Il s’est passé que les voitures en fait étaient mal entretenues globalement et c’est des voitures qui n’étaient pas assez utilisées. »
Mais une grosse panne a bien failli empêcher une partie de l’équipe de ne pas atteindre l’objectif… Jacques-Louis de Beaulieu :
« Il y a eu un événement extraordinaire avec l’automobile qui nous suit, restée derrière, c’est que le moteur avait été refait à neuf par une personne incompétente et qui a oublié de mettre une pièce à l’intérieur du moteur. Nos amis ont trouvé quelqu’un en Allemagne qui a eu l’amabilité d’usiner la petite pièce qui manquait pour permettre de repartir. C’est fabuleux la disponibilité des gens quand ils voient arriver des automobiles comme ça. »
Des pannes qui sont prises avec philosophie. Pierre-François Pernet a même une théorie !
« Au fil des nombreuses pannes, se développe la psychologie de la panne. Parce que la panne est un espace de vacuité qui s’insère de façon pratiquement obligée dans l’existence. Elle est à la fois imposée et en même temps proposée. Ca permet d’avoir une méditation dans des lieux qui n’étaient pas prévus, sur des temps pas prévus et dans des contextes pas prévus. Donc la panne en soi est un élément de philosophie. »
Et l’équipe, comme il y a quarante ans, est arrivée fin août à bon port… de Marseille. Et comme il y a quarante ans, les souvenirs affluent. Et l’image qui restera peut être la plus intacte sera celle des 17 participants dansant, montrant leur joie devant le château avec les quatre fières Citroën C4 qui sont encore loin d’avoir pris leur retraite.