La danse baroque au XVIIIe siècle et aujourd'hui, à Sablé et à Prague

Je vous propose aujourd'hui un voyage dans le temps, à la découverte de la danse baroque, avec les ensembles tchèque et français Collegium Marianum et la Compagnie L'Eventail. Implanté depuis 2001 à Sablé, dans les Pays de la Loire, et dirigé par Marie-Geneviève Massé, L'Eventail regroupe artistes, danseurs, musiciens, chanteurs et comédiens. Le jeudi 27 août, il a donné un spectacle au théâtre pragois Divadlo na Vinohradech, dans le cadre des Festivités d'été de musique ancienne.

Collegium Marianum,  photo: www.collegiummarianum.cz
Deux ballets majeurs du XVIIIe siècle étaient à l'affiche : « Les Eléments », de Jean-Féry Rebel, et « Don Juan ou le Festin de pierre », du compositeur allemand Christoph Willibald Gluck qui a d'ailleurs grandi dans le nord de la Bohême. Les Eléments, une symphonie chorégraphique imitant la nature et mettant en scène des personnages féeriques tels que Le feu, L'eau, L'air ou Le rêve aussi bien que Don Juan, un véritable ballet d'action issu de la Commedia dell'arte, sont des oeuvres révolutionnaires dans l'histoire de la danse. Alors qu'au XVIIe siècle, la danse était inséparable de la voix parlée ou chantée, avec Rebel et Gluck, on passe vers le ballet tel qu'on le connaît aujourd'hui. C'est pour avoir créé Don Juan pour la première fois, il y a cinq ans, à Sablé, avec l'orchestre tchèque de musique ancienne, Collegium Marianum, et aussi parce que l'Europe centrale est le berceau de ce ballet d'action du XVIIIe siècle, que la chorégraphe et danseuse Marie-Geneviève Massé a voulu présenter ce spectacle à Prague. Elle explique :

« La France avait une grande tradition à l'opéra, il fallait continuer dans ce que Lully avait fait. En dehors de la tradition, point de salut. Alors beaucoup d'artistes sont partis, en Angleterre par exemple, et aussi en Europe de l'Est où le ballet était quelque chose de vivant, comme on le voit avec l'architecture. Les danseurs devaient s'y retrouver. Il y a des dynasties qui ont traversé le monde et se sont croisées. Angiolini était en Italie... Ça fourmillait énormément ! Il n'y avait pas les médias comme maintenant, donc pour savoir ce qui se passait dans le monde, il fallait se déplacer. La France a été pendant longtemps le point de référence pour l'art baroque, en ce qui concerne la musique et la danse. Les autres pays ont voulu à la fois l'imiter et y emmener leur propre culture et inventivité. »

Comment faites-vous pour recréer un ballet baroque ? Y a-t-il des chorégraphies de l'époque qui ont été conservées ?

« Nous avons des chorégraphies qui vont de 1700 à 1725-30. Après, il y en a encore quelques-unes, mais très peu. Les chercheurs, comme Francine Lancelot qui était mon maître, se sont appuyés sur tous les traités pour pouvoir réinterpréter ces chorégraphies. Je continue à faire ce travail, dans le cadre de notre atelier qui est plus ou moins régulier. Mais de Rebel, de Don Juan et de plein d'autres ballets, nous n'en avons pas les chorégraphies. Voilà ce qui est séduisant pour un créateur : je m'appuie sur mes connaissances de ces grands classiques (comme un architecte ou un écrivain) et selon la demande, selon le contexte dans lequel je dois faire le ballet, j'essaie d'être la plus rigoureuse possible par rapport à une recréation (non pas reconstitution) de l'oeuvre. Je veille à ce qu'elle soit au maximum en harmonie avec son cadre historique. Parfois, je peux prendre beaucoup plus de liberté. En tout cas pour le Don Juan et le Rebel, je n'ai pas cherché à faire quelque chose de fantaisiste, à y mêler des choses contemporaines. En fait, j'écoute beaucoup la musique et elle me dicte ce que je dois faire. »

Qu'est-ce qui vous fascine, en fait, dans la danse baroque ?

« Pour moi, la musique, c'est ma vie. Quand j'ai découvert cette danse ancienne, en 1980, avec Francine Lancelot, il s'est passé quelque chose dans mon corps, une sensation liée à la musique que je n'ai trouvé ni dans le classique ni dans le contemporain. C'est quelque chose de très intime. Dans la danse ancienne, du temps par temps, du demi-temps par demi-temps, il se passe quelque chose en relation avec la musique. Ce n'est pas des grandes phrases musicales comme en classique, où vous entendez un, deux, trois, quatre, cinq, six et à huit vous faites le grand jeté. Et les sept temps qu'il y a eu avant, c'était un peu du remplissage...Je suis peut-être méchante, mais c'est comme ça que je le ressens. Tandis que dans la danse baroque on est tout le temps dedans, on s'appuie vraiment sur la musique... C'est comme ça que je le vis et que j'essaie de le faire passer aux autres. »

Y a-t-il un grand intérêt pour la danse baroque chez les professionnels français ?

« Oui, manifestement. Paradoxalement, elle attire plus les danseurs contemporains que les danseurs classiques. Comme s'ils voulaient y retrouver leurs racines, analyser l'espace, la relation à la musique qu'ils ont perdu, pour beaucoup. Au lieu de passer par le classique, un peu rigide peut-être à leurs yeux, avec le baroque, ils découvrent l'histoire. Je pense que nos générations sont très penchées vers le passé, la recherche de nos références. Pour moi, en dehors de l'émotion que je ressens en dansant, il y a tout l'aspect intellectuel qui m'intrigue, je crois que si je n'avais pas été danseuse, je m'aurais spécialisé dans l'histoire. Je crois que tous les danseurs y retrouvent cette complémentarité entre ce côté intellectuel et le côté physique qui n'existe pas forcément dans beaucoup d'autres danses. »

« Si je disais qu'en République tchèque, il y a une quinzaine de danseurs qui se spécialisent dans la danse baroque, ce ne serait qu'approximatif. Il se peut qu'ils soient plus nombreux, sauf que je ne les connais pas, » explique Jana Semeradova, flûtiste et danseuse occasionnelle qui est à la tête du prestigieux ensemble Collegium Marianum. Les adeptes de la danse baroque peuvent d'ailleurs se former au centre culturel pragois éponyme, ou encore à l'étranger : à l'Académie Internationale de Musiques et de danses Anciennes de Sablé, par exemple, qui est liée, ainsi que tout le Festival de Sablé, d'un partenariat privilégié avec la République tchèque On écoute le directeur du festival, Jean-Bernard Meunier :

« Avec la République tchèque, j'ai voulu entamer une collaboration qui s'inscrive dans la durée. C'est l'Institut français de Prague qui a défini les éléments en nous disant : il y a ici de vrais problèmes de formation de musiciens qui sont en attente, il y a du travail de recherche et de diffusion... Les ensembles tchèques de musique ancienne sont excellents, mais ils ne peuvent pas tout faire. Nous organisons alors, à chaque fois que nous pouvons, des master class avec des artistes français à Prague, nous y envoyons des artistes français pour faire des recherches, nous montons des programmes de musique tchèque donnés, bien sûr, en première à Prague ou dans d'autres pays et que nous redonnons à Sablé, ainsi que dans d'autres festivals. Il nous semble important de travailler sur la mixité des ensembles. J'invite depuis deux ans Musica Florea à Sablé, en lui donnant pratiquement une carte blanche. Nous avons aussi un grand projet avec Collegium 1704 qui devrait être créé l'année prochaine à Prague et accueilli ensuite à Sablé. J'espère que nous pourrons faire l'enregistrement d'une messe votive de Zelenka, dans la collection de disques de Sablé. »

Ajoutons qu'il existe d'autres projets encore entre Sablé et Prague : celui d'y délocaliser certains cours de l'Académie. Pour revenir à la Compagnie L'Eventail : dans les mois à venir, elle donnera son « Don Juan » à l'Opéra de Rennes ou encore à l'Opéra royal de Versailles. Enfin, les Festivités d'été de musique ancienne se termineront le 6 août, à Prague, par l'intermezzo « La serva padrona » de Pergolèse, interprété par le Collegium Marianum et les solistes Marie Fajtova, Tomas Kral et Laurent Charoy. La mise en scène est signée Jean-Denis Monory. Pour plus de détails : www.collegiummarianum.cz.