La ferme des frères Mašín bientôt transformée en lieu de mémoire de la résistance tchèque
Ils font partie des personnalités tchèques les plus controversées de l’histoire du XXe siècle : les frères Mašín, qui ont activement lutté contre le régime communiste, les armes à la main, sont considérés tantôt comme des héros, tantôt comme des assassins. Aujourd’hui, l’ancienne ferme familiale de Lošany (Bohême centrale) fait l’objet d’un projet de reconstruction et de transformation en lieu de mémoire.
La petite maison, lieu de naissance du père des frères Mašín, Josef, est aujourd’hui en ruines. Conséquence de la nationalisation et de la collectivisation des terres agricoles après le Coup de Prague de 1948, l’état de délabrement est largement dû à l’absence totale d’entretien lorsque la maison était la propriété de la coopérative agricole sous le communisme. La révolution de Velours de 1989 n’y a rien changé : il y a deux ans de cela seulement, un tribunal a tranché en faveur de la restitution de ses biens à la famille Mašín.
C’est dire que la création d’un lieu de mémoire entre ces murs s’apparentera davantage à une transformation complète qu’à une restauration. D’ailleurs, c’est aussi le sens du projet gagnant de deux étudiantes de l’Université technique de Prague, comme le décrit Jiří Klepsa, vice-président de l’association qui gère l’ancienne ferme :« Le projet prévoit de conserver les murs extérieurs de la maison. Tout un pan du bâtiment sera sans toiture et en lieu et place de la pièce qui s’y trouve actuellement, il devrait y avoir de l’herbe ainsi qu’un arbre, un mûrier. »
Le bâtiment de l’ancienne exploitation agricole proprement dite devrait être consacré à l’histoire de la résistance contre le nazisme et le communisme à laquelle toute la famille Mašín, parents et enfants, a participé.
Longtemps oubliés, les noms de Ctirad et Josef Mašín sont désormais connus. Dans la foulée de leur père, résistant torturé puis exécuté par les nazis, ces deux frères ont choisi de créer une organisation clandestine pour lutter contre le régime communiste instauré suite au Coup de Prague de 1948. Après diverses opérations subversives, ils fuient à l’Ouest par Berlin, les armes à la main, tuant plusieurs personnes sur leur passage, dont certaines victimes innocentes. Jusqu’à aujourd’hui, les Tchèques sont divisés sur la manière de considérer les deux frères : comme des héros ou comme des assassins ?Pour Jiří Padevět, écrivain et président de l’association La ferme Mašín, honorer la mémoire de ces résistants est une nécessité :
« Ce lieu de mémoire doit voir le jour. De manière générale, il faut des lieux de mémoire, il faut les préserver pour conserver le souvenir du passé. La famille Mašín est un symbole du XXe siècle en pays tchèques. Elle rappelle l’existence d’une résistance contre les deux totalitarismes ainsi que ce qui est au fondement de l’identité nationale tchèque. »Le projet de transformation de tout le site table sur un budget de 10 à 12 millions de couronnes. Hors de question cependant pour ses membres de faire appel à l’Etat : « Le Premier ministre actuel est un ancien agent de la StB, le gouvernement actuel est soutenu par les communistes, nous avons donc décidé de ne pas demander de fonds publics à l’Etat puisqu’en trente ans il n’a pas été capable d’apporter son aide, » a ainsi estimé l’historien Petr Blažek.
Le chef du gouvernement, Andrej Babiš, a toujours réfuté toute collaboration avec l’ancienne police secrète communiste. Mais pour l’association, le financement du projet se fera donc autrement : le 26 août prochain, elle prévoit ainsi de lancer une collecte publique afin de rassembler les fonds nécessaires à la mise en œuvre de ce lieu de mémoire qui devrait être prêt à accueillir ses premiers visiteurs en 2023.