La Fête nationale de Saint-Cyrille et Saint-Méthode
Une distance de plus de 11 siècles nous sépare d'un événement qui est inscrit, aujourd'hui, dans le calendrier tchèque comme la fête nationale de Saint-Cyrille et Saint-Méthode. Le 5 juillet a été établi fête à la mémoire de deux apôtres de Salonique, /l'actuelle Grèce/, les saints Cyrille et Méthode, venus vers 863 dans l'Etat de Grande Moravie pour y propager la foi et la culture chrétienne dans la langue slave. Puisque cette fête est jour férié en République tchèque, nous vous proposons, au lieu de Faits et événements, un programme spécial sur une grande oeuvre d'évangélisation entreprise il y a 1139 ans...
La musique qui nous accompagnera est tirée de la Messe glagolitique de Leos Janacek qui, enfant, participait au couvent de Brno aux festivités du millénaire de la mort de Méthode. Ce n'est qu'à l'âge de 72 ans, que l'idée lui est revenue d'incarner sa profonde impression qu'il en avait gardé dans son oeuvre monumentale, la Messe glagolitique.
Avant de commencer une excursion dans la profondeur des temps, sur les traces de la mission des saints Cyrille et Méthode, rappelons qu'il s'agissait de la première traduction de la bible et de textes liturgiques rédigés jusqu'alors en latin uniquement, dans une langue et une écriture slaves. Rappelons aussi que la mission des apôtres de Salonique, l'antique Thessalonique, était liée avec l'existence de la première formation étatique commune des Tchèques et des Slovaques sur notre territoire - la Grande Moravie, créé en 863. Avec la dislocation de cette dernière, la mission a pris fin, sans être pour autant perdue. L'élément byzantin oriental s'étant montré étranger et éloigné, le pays allait retourner à la liturgie chrétienne occidentale. Il n'empêche que la mission a laissé une empreinte profonde et que, en son temps, elle était d'une importance énorme, au point de vue religieux et culturel, mais aussi politique. Quelle était donc la situation avant l'arrivée de deux missionnaires sur notre territoire?
En 845, 14 princes tchèques se sont converti au christianisme pour renforcer leurs pouvoirs à la tête des différentes principautés. Au fur et à mesure, celle de Moravie devient un centre autour duquel une nouvelle formation étatique - le premier Etat des Tchèques, Moraves et Slovaques - la Grande Moravie, est née. Cet état va s'appeler la Grande Moravie. Ses princes doivent tenir tête aux efforts systématiques des Francs germaniques visant à dominer le pays sur le plan politique mais aussi spirituel. Face à ces conquêtes expansionnistes, les princes cherchaient un appui auprès du puissant Empire romain de Byzance: ainsi le prince morave Rastislav adresse à l'empereur byzantin, Michel III, une requête, pour obtenir l'envoi d'un évêque et maître qui puisse expliquer à ses peuples la vraie foi chrétienne dans leur langue.
On choisit deux frères érudits, Cyrille et Méthode, qui acceptent de se rendre, probablement dès 863, de Salonique en Grande Moravie, carrefour des influences réciproques entre l'Orient et l'Occident. Ils ont entrepris une mission à laquelle ils ont consacré tout le reste de leur vie, marquée par des voyages, des privations, des souffrances, des hostilité et des persécutions qui sont allées, pour Méthode jusqu'à une captivité. Bien préparés à leur tâche, ils ont apporté les textes de la sainte Ecriture indispensables à la célébration de la sainte liturgie, préparés et traduis par eux en langue vieille-slave, écrits avec un alphabet nouveau, conçu par Cyrille et parfaitement adapté à la phonétique de cette langue.
L'activité missionnaire des deux Frères a connu un succès considérable, mais aussi des difficultés inévitables auxquelles se heurtait le processus de christianisation, antérieurement accomplie par les Eglises latines limitrophes. Car il ne fait pas de doute que le christianisme existait sur le territoire de notre pays avant l'arrivée des missionnaires. Les débuts de christianisation de la Grande Moravie étaient liés à une mission antérieure, celle de l'épiscopat bavarois, réalisée sur injonction de Charlemagne après la défaite des Avares, en 796. Les textes religieux fondamentaux, par ex. le Credo, le Pater, les voeux du baptême et les prières de confession avaient été traduits dans le dialecte des Slaves occidentaux par les prêtres bavarois déjà au début du 9e siècle. Une légende de la vie de Cyrille affirme qu'à l'époque où ce dernier est venu en Moravie, des "prêtres francs et latins" y exerçaient déjà leur activité. On sait aussi qu'il y avait des missionnaires originaires du territoire adriatique, de Dalmatie. Ce sont les fouilles archéologiques réalisées en Moravie du sud et près de Nitra, en Slovaquie occidentale, qui ont définitivement confirmé que le christianisme a commencé à se propager dans le pays dès le début du 9e siècle et que, dans la première moitié du 9e siècle, le pays a été déjà, au fond, un pays chrétien.
Pendant leur séjour en Grande Moravie, Cyrille et Méthode ont rédigé les premiers textes juridiques slaves sous le nom de Zakon sudnyj ljudem. Mais ce code civil n'est jamais entré en plein usage parce qu'il se heurtait en maintes choses, notamment en ce qui concerne les lois sur la vie conjugale, au droit coutumier du pays et devenait une source de divergence entre Méthode et les princes moraves. Cyrille a inventé pour l'usage des Slaves l'écriture glagolitique, nommé d'après lui l'alphabet cyrillique. Plus tard il a traduit les 4 Evangiles, les Epîtres du Nouveau Testament et les Actes des Apôtres de même qu'une partie des Psaumes. De son côté, Méthode a fini la traduction du grec en vieux-slave du Vieux Testament. Au moyen âge, c'était la seule traduction de la Bible dans une langue nationale.
En traduisant la bible et les textes liturgiques, les apôtres ont jeté les bases de toute une culture autonome. Les disciples des deux frères ont créé, eux, les légendes racontant la vie de leurs maîtres. Les biographies de Cyrille et Méthode comptent parmi les plus anciens souvenirs littéraires originaux slaves de la fin du 9e siècle. Un nombre suffisant de prêtres se sont appropriés la langue vieille-slave, en la propageant dans leurs prières.
Arrêtons-nous un instant sur la langue créé par Cyrille et Méthode. Pour base, ils ont pris l'alphabet grec, en empruntant certaines lettres au glagolitique employé en Bulgarie. Pourquoi, peut-on se demander, un élément au prime abord aussi étrange à nos peuples, proches plutôt de la culture latine occidentale? Compte tenu du contexte historique, la mission avait pour objectif, nous l'avons dit, de créer une liturgie autonome face à l'élément germanique expansionniste. L'émancipation religieuse à l'égard de l'empire franc a été la première et principale raison pour laquelle l'écriture et la langue vieille-slave ont été créées.
Les deux frères ont accompli leur mission en 867: la bible, les textes liturgiques, de même que des traités juridiques ont été traduits dans l'écriture cyrillique et le vieux-slave est devenu une langue de la liturgie chrétienne. Sous le règne du puissant prince Svatopluk, l'essor de l'Empire de Grande Moravie a atteint son apogée: à l'est, son empire s'étendait jusqu'à la Lusace, tandis qu'à l'ouest, c'était toute la Slovaquie occidentale et une partie du territoire de Pannonie, une région sur le Danube. Hélas, cet essor n'a pas duré longtemps...
Cyrille et Méthode ont quitté la Grande Moravie et pris le chemin de Rome. Leur itinéraire passait par Venise où l'on discutait publiquement les principes novateurs de leur mission. A Rome, le Pape Adrien II, les a accueillis avec beaucoup de bienveillance. Il a approuvé les livres liturgiques slaves qu'il a ordonné de déposer solennellement sur l'autel de l'église Sainte-Marie-Majeure, en recommandant d'ordonner prêtres leurs disciples. Or Méthode a dû repartir seul pour l'étape suivante, son frère, malade, meurt le 14 février 869, à Rome.Après la mort de Cyrille, l'oeuvre des deux saints traversait une crise grave et la persécution contre leurs disciples est devenue si forte qu'ils étaient contraints d'abandonner le terrain de leur mission. Fidèle aux paroles que Cyrille lui avait dites sur son lit de mort, Méthode a poursuivi son activité apostolique, étant nommé légat pontifical pour les peuples slaves et consacré archevêque pour le territoire de Pannonie. Hélas, il est captivé, et libéré seulement sur intervention personnelle du pape. Après avoir sacré les dernières années de sa vie à d'autres traductions de la sainte Ecriture et de textes liturgiques, Méthode meurt, le 6 avril 885.
Par sa mort, les problèmes au sein de la Grande Moravie culminent. L'attachement à la liturgie slave provoquait, déjà de sa vie, des litiges avec l'épiscopat bavarois. Dans l'espoir d'atténuer ces conflits, le prince Svatopluk a interdit la liturgie slave et chassé les disciples de Méthode du pays. Ces derniers ont trouvé un refuge en Croatie et en Bulgarie, d'où leur culture allait se propager vers la Russie. Les mesures sévères prises par Svatopluk n'ont cependant pas pu détourner l'éclatement de son Empire: face aux attaques franques, et finalement face à une invasion dévastatrice des troupes magyares, l'Etat de Grande Moravie n'arrive plus à résister. Après 906, les sources historiques ne font plus mention de la Grande Moravie.
La valeur de l'oeuvre évangélisatrice de Cyrille et Méthode vient de ce qu'ils ont comme premiers essayé de réunir les éléments orientaux et occidentaux, tâchant en même temps de respecter la culture indigène. Paradoxalement, c'est en Bulgarie et en Russie que leur oeuvre s'est enracinée et développée, en laissant des traces jusqu'à nos jours dans l'Eglise orthodoxe, pas dans les pays pour lesquels elle était destinée. Alors que l'alphabet cyrillique s'est conservé en Russie et en Bulgarie, dans nos pays il a cédé la place à l'écriture latine. La valeur de l'oeuvre de Cyrille et Méthode réside également dans le fait qu'ils ont compris l'épanouissement du christianisme en tant qu'épanouissement de l'érudition ce qui était vraiment unique à l'époque. Tout à fait exceptionnel et surprenant a été le radicalisme avec lequel ils défendaient l'idée humaniste de l'égalité en droit des peuples devant Dieu.
La mission cyrillo-métodienne a laissé une empreinte durable sur notre territoire: que ce soit sous forme de coexistence parallèle, pendant des siècles à venir, de la liturgie latine occidentale et de celle slave orientale, ou dans les manuscrits et chants anciens, sans oublier leur influence sur la construction des monastères et églises fidèle à la tradition byzantine. Ainsi, mentionnons le monastère de Sazava en Bohême centrale, l'un des plus influents à l'époque, construit en 1070 en forme de la croix grecque. Le Monastère d'Emaüses de Prague est lui-aussi lié à la tradition cyrillique. D'autres enclaves de la culture slave orientale se trouvent à Rajhrad, à Veliz, à Ostrov, toujours avec un important rayon d'action parmi les croyants.
Les célébrations de saint Cyrille et saint Méthode ont lieu traditionnellement à Velehrad, lieu de pèlerinage réputé par sa basilique monumentale, autrefois centre politique et administratif de la Grande Moravie, comme le prouvent des fouilles archéologiques. Un concert des hommes de bonne volonté, le soir du 4 juillet, et un pèlerinage national, le 5 juillet, sont les points d'orgue des festivités cyrillo-métodiennes à Velehrad.