La galanterie : une invitation à la femme à se sentir bien
«La galanterie française», tel est le titre d’un livre paru chez Gallimard et dont la traduction tchèque vient de sortir aux éditions Academia. C’est à cette occasion que nous avons accueilli à Prague Claude Habib, auteure de ce livre qui révèle et illustre des aspects insoupçonnés de la galanterie, la situe dans son contexte historique, social et artistique et la confronte avec les modèles de comportement de notre temps. Voici la reprise d’un entretien que Claude Habib a accordé à Radio Prague en octobre dernier :
Qu’est-ce que la galanterie ? Peut-on donner une définition du phénomène ?
« C’est un phénomène qui s’est épanoui au XVIIe siècle et qui s’est développé dans l’entourage de Louis XIV, du jeune roi. En 1661, quand il prend le pouvoir, il a 23 ans, il est très facilement amoureux des femmes et il impose à sa cour un hommage et un respect général pour les femmes. Donc pas seulement pour les femmes dont il est amoureux mais pour toutes les femmes. On doit se découvrir devant les femmes, on doit mettre les femmes sur une espèce de piédestal. Et cette manière respectueuse et amoureuse à la fois de traiter les femmes devient une sorte de définition du génie national. Les Français sont ceux qui traitent bien les femmes. »
En quoi donc cette galanterie diffère de la courtoisie ou de la chevalerie du Moyen-âge ?
«Je crois qu’elle diffère parce que c’est aussi une espèce de plaisanterie. Bien sûr que les valeurs de la chevalerie et de la courtoisie sont au fond de la pratique der la conversation galante, mais la grande différence c’est que maintenant les femmes sont là pour de bon. Dans les cours du Moyen-âge, sauf si vous avez un phénomène de régence, une reine douairière qui prend les commandes, normalement les cours ne sont pas mixtes. Elles ne sont pas mixtes jusqu’au XVIe siècle. C’est François Ier qui introduit les femmes à la cour. Alors la différence de la galanterie, c’est que maintenant les femmes sont là, et c’est avec elles qu’on joue ce jeu de l’hommage. Ce n’est pas envers une femme invisible qu’on voit une fois de loin, à l’église et qu’on adore de loin, c’est avec les femmes de plein pied qu’on va jouer ce petit jeu de l’hommage et de la flatterie.»
Votre livre s’appelle la Galanterie française. Pourquoi la galanterie s’est- elle développée justement en France?
Je crois qu c’est par propagande monarchique. Je crois que Louis XIV a fait de cette manière spéciale de traiter le mieux possible les femmes une vitrine de son pouvoir. Après tout il est roi absolu. Il aurait pu être totalement despotique, or il s’agit de donner une autre image, l’image à la fois d’un prince chrétien et d’un prince soumis au charme, je ne dirais pas au pouvoir, au charme des femmes. Un roi qui s’agenouille devant la beauté. C’est une décision du jeune roi de mettre les femmes sur un piédestal, de leur donner cette importance, cette visibilité … et puis cette importance politique. A la fin de son règne Mme de Maintenon assiste au Conseil et donne son avis. »Dans votre livre vous évoquez d’abord et surtout le XVIIe siècle. Cette époque est-elle vraiment l’apogée de la galanterie française ?
«Je crois que c’est un moment de relative stabilité, c’est-à-dire que, par la suite, le phénomène demeure dans les mots mais dans l’esprit ça change beaucoup puisqu’il y a le libertinage même dans les hautes sphères, libertinage qui touche même les dames très haut titrées dans l’entourage du régent. Des femmes comme la future Mme de Luxembourg, Mme du Deffend sont les maîtresses du régent. Il y a quelque chose qui change après la mort de Louis XIV, il y a vraiment un basculement dans la joie de vivre et le libertinage qui fait que ça ressemble dans les formes mais dans l’esprit c’est déjà beaucoup plus sexualisé, beaucoup plus instable. Donc oui, s’il y a un âge d’or, c’est sans doute le XVIIe siècle.»
Et comment la galanterie a évolué au XVIIIe, XIXe et même au XXe siècle?
« Elle s’est certainement fossilisée. C’est-à-dire pour le XIXe siècle c’est une série de tours, d’hommages qui sont très fossilisés, comme le baisemain. Il y a une manière de s’adresser aux femmes qui est assez codée. Ce qui me frappe au XVIIe siècle c’est le moment de l’invention. Dans le moment de l’invention tout est possible. Vous savez, au XVIIe siècle on a voulu faire entrer une femme, Mlle de Scudéry, à l’Académie française. C’est elle qui a refusé. Trois siècles avant Margueritte Yourcenar, on demande à Mlle de Scudéry d’entrer à l’Académie. Donc il y a une ouverture vraiment prodigieuse de la France aristocratique au féminin, je ne parle pas de ce qui se passe dans les campagnes ou dans les bourgs. C’est une ouverture au féminin absolument inédite et soudaine qui rend les femmes très heureuses. Voilà c’est le moment dont je voulais parler.»Vous parlez de ce que la galanterie a apporté aux femmes. Qu’est-ce qu’elle a apportée aux hommes ?
« Je crois qu’on gagne toujours à se civiliser. Elle a apporté aux hommes d’abord une joie de vivre avec les femmes, une mixité qui n’est pas une mixité d’individus, une mixité égoïste, chacun pour soi, mais une mixité joueuse, érotique, stylée. Je crois que c’est toujours agréable d’avoir un comportement inventif et civil. Je crois que les hommes ont gagné en joie dans cette approche de femmes. Et puis, rendre une femme heureuse ça donne la tonicité, ça donne un humour érotique que vous trouverez en France même tard. Quand vous regarder les films de Sacha Guitry, la galanterie est là. On est trois siècles après, mais la galanterie est toujours là, toujours joueuse, qui fait des clins d’œil et qui s’amuse.»Vous venez d’utiliser le mot «mixité». Est-ce que vous pouvez l’expliquer ?
« Oui, je sais qu’en tchèque le mot n’existe que comme adjectif. La mixité, c’est le fait que les hommes vivent avec les femmes. C’est le fait de partager le même espace, il n’y a plus de séparation. Vous savez, au XVIIe encore, les hommes sont d’un côté à l’église et les femmes de l’autre. La séparation dans l’espace est très visible mais ils commencent à se mélanger, à avoir des rapports qui ne sont pas indignes, qui ne sont pas des rapports brutaux et humiliants pour les femmes. Ce sont les rapports euphorisants, les rapports qui rendent heureux. »Il y a donc la mixité sous l’Ancien régime et il y a la mixité d’aujourd’hui. Quelle est la différence ?
« Nous promouvons la mixité depuis longtemps. Depuis les années soixante, on l’impose dans les lycées et dans les écoles primaires. Maintenant nous voulons que les hommes et les femmes se retrouvent de plein pied pour qu’ils aient l’habitude de se considérer comme des individus égaux. Alors qu’au XVIIe siècle les femmes sont dans une subordination, il n’y pas de doute, elles se perçoivent comme inférieures aux hommes. Elles sont dans la mixité mais c’est une mixité érotique. Elles sont à la cour mais comme objets de désir. C’est une grande différence avec aujourd’hui. Aujourd’hui, on a la tendance d’aller vers une mixité desérotisée, mixité où l’on ne doit surtout pas avoir un comportement indiquant que l’autre peut vous plaire ou vous charmer, on n’a pas le droit de le toucher. Si l’on fait des déclarations, on peut être accusé de harcèlement sexuel. Vous voyez, maintenant il y a une retenue, on se fait taper sur les doigts, alors que dans la galanterie il y a au contraire une invitation à parler d’amour des deux côtés, mais d’un amour retenu, en principe. »
Aujourd’hui la galanterie est considérée comme dépassée et l’homme galant devient presque ridicule. Est-ce que la galanterie est encore possible dans une société qui cherche à parvenir à l’égalité des sexes ?
« Oui, les vieux aspects de la galanterie, tout le code qu’on a hérité du XIXe siècle est passé de mode. Encore que si un très joli jeune homme s’en serre, ça fait de l’effet. Mais je crois que d’autres traits beaucoup plus importants, comme la retenue masculine, le fait de ne pas abuser d’une femme, le fait de la laisser passer devant soi, le fait de l’aider à vivre, de l’aider à prendre sa place, tout ce qui dans la galanterie invite les femmes à se sentir bien, à avoir de l’estime pour elle-même, à avoir de l’assurance, ça, c’est loin d’être passé. Je crois que c’est toujours très apprécié. »
Est-ce que le féminisme et la galanterie sont des phénomènes inconciliables ?
« Si je dis oui, il y a des tas de féministes qui vont se révolter. D’ailleurs, j’ai reçu des courriels de femmes disant: ‘Je suis très féministe et mon mari m’adore, il est extrêmement galant.’ Je ne sais quoi vous dire. Je ne suis pas dans tous les ménages féministes, et s’il y en a qui y arrivent, tant mieux. Mais je pense que le féminisme dans ses versions agressives et radicales, mettant toujours l’amour en cause comme un piège pour opprimer les femmes, (on fait semblant de les aimer, on fait semblant de les servir mais c’est pour mieux les boucler) et tous ces soupçons qui ont été pratiqués contre les hommes, je crois que ça rend les chose incompatibles. C’est difficile d’attendre de la galanterie de quelqu’un qu’on traite comme un ennemi. Donc, dans les versions les plus radicales du féminisme, je crois bien qu’il y a incompatibilité. Malheureusement.»