La gestion des écosystèmes forestiers en Tchéquie : entre réalités économiques et écologiques
Pris en étau par les crises climatiques et d’extinction de la biodiversité, les acteurs de la gestion des écosystèmes forestiers sont traversés par d’importants débats en Tchéquie. Avec 34% de surface forestière, le pays présente de nombreux écosystèmes qui se diversifient surtout en fonction de l’altitude. Cependant, depuis plusieurs décennies, beaucoup de forêts de basse altitude sont dominées par les épicéas et les pins, dont la production est plus rentable. Un choix économique remis en question par les réalités du changement climatique.
Pour Miroslav Svoboda, président du département d’écologie forestière à la Faculté des sciences du bois et des forêts de l’Université des sciences de la vie de Prague, les forêts d’exploitation ne sont pas adaptées pour faire face au changement climatique :
« Le principal problème auquel nous ferons face à l’avenir est l’augmentation des périodes de sécheresse et de leur intensité. Pour les arbres, le manque d’eau disponible entraîne un stress hydrique qui affecte leur développement et peut causer leur mort. Nos forêts d’exploitation, principalement composées de pins et d’épicéas, ne sont pas adaptées à nos sécheresses actuelles et la situation va s’aggraver. »
« Nous devons diversifier nos forêts avec d’autres essences naturelles plus adaptées au changement climatique, suivre les dynamiques naturelles des forêts et changer nos stratégies de gestion pour rendre ces écosystèmes plus résistants et résilients face aux sécheresses. »
Il ne faut pas non plus oublier que nous sommes parallèlement confrontés à l’extinction de notre biodiversité. Protéger les forêts, cela revient aussi à protéger toute la biodiversité qui la compose. »
La sécheresse a également des effets secondaires. Ainsi, depuis 2023, l’Europe connaît sa plus grande contamination aux scolytes de son histoire. Ces insectes d’à peine quelques millimètres sont naturellement présents dans les forêts mais prolifèrent à la faveur des températures plus élevées et ravagent les forêts d’épicéas. Depuis plusieurs années déjà, la Tchéquie est le pays qui a été le plus touché, à cause précisément de la grande proportion de plantations d’épicéas.
La position ambivalente de l’exécutif tchèque
À quoi servent nos forêts ? Cette question, simple en apparence, est l’essence des débats qui polarisent la gestion des écosystèmes. Ces réflexions et ces tensions se retrouvent dans l’organisation même de l’exécutif, comme l’explique Miroslav Svoboda :
« Il y a actuellement un grand débat sur la part de forêts d’exploitation que nous devrions avoir. Les forêts protégées sont en partie gérées par le ministère de l’Environnement et les forêts d’exploitation par le ministère de l’Agriculture. Ce dernier a une approche plus conservatrice, basée sur l’exploitation du bois, tandis que le ministère de l’Environnement essaie de défendre une gestion favorisant la biodiversité. Mais concrètement, l’entreprise publique qui gère toutes les forêts appartenant à l’État dépend surtout du ministère de l’Agriculture. Beaucoup d’ONG, d’associations et de particuliers participent également à ces débats, à la fois locaux et nationaux. »
« Je pense qu’il faut mieux protéger les forêts naturelles, notamment les plus anciennes, et augmenter le nombre de forêts protégées. C’est d’ailleurs un point sur lequel l’Union européenne est vigilante avec tous les États membres. Il faudrait également mettre en place de meilleures stratégies pour protéger la biodiversité, notamment dans les forêts de basse altitude. »
Autre exemple de débat parmi les des gestionnaires forestiers : le bois mort. Alors qu’il est resté longtemps mal vu essentiellement pour des considérations économiques et esthétiques, son utilité est reconsidérée depuis quelques années. Selon l’Institut national français de l’information géographique et forestière, la vie de 25% des espèces animales et végétales strictement forestières dépend directement du bois mort qu’elles trouvent autour d’elles. Miroslav Svoboda :
« On ne trouve du bois mort que dans certaines forêts spécifiques. Il nous faut mieux faire, et cela devrait même être une des priorités dans les forêts publiques. Nous essayons de mettre en place une méthodologie pour les gestionnaires de manière à ce qu’ils puissent s’adapter dans leurs pratiques. Nous savons tout ce qu’apporte le bois mort en termes de biodiversité et de fertilisation des sols, il faut donc désormais implémenter cela dans la pratique. »
Héritage bienvenu du communisme, 55% des forêts en Tchéquie sont gérées par une société publique. Une réalité qui permet de mieux contrôler l’évolution de ces écosystèmes à une large échelle. En comparaison, la France, par exemple, ne possède que 25% de forêts publiques sur son territoire.
Par conséquent, la gestion des forêts est une problématique qui concerne la société tchèque dans son ensemble. Tout en faisant face à un grand défi écologique, la Tchéquie a également besoin de produire du bois. Une éventuelle augmentation des importations n’aurait que pour seule conséquence de déplacer toutes ces problématiques de gestion et de biodiversité dans d’autres pays, potentiellement moins soucieux, eux, de leur biodiversité.