La guerre des coûts

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Nous évoquions, dans notre rubrique du 17 octobre dernier, les premiers effets de la crise économique sur les entreprises étrangères implantées en République tchèque. Dans l’une d’entre elles, la politique de réduction des coûts avait été présentée à tous les employés dans une transparence apparemment absolue. Nous y sommes retournés pour constater les effets concrets de ces mesures d’anticipation.

Les effets des nouveaux choix sont clairement perceptibles en ce qui concerne les employés, dont de nombreux bénéfices ont été rognés : la fête de Noël est désormais payante et on demande aux employés de financer dorévavant eux-mêmes les déjeuners d’entreprise. Plus important, les programmes de trainings ont été supprimés.

Cette situation ne touche pourtant pas tout le monde de la même manière, à croire qu’il existe un budget à deux vitesses. Consultants et managers en déplacement, eux, n’ont pas vu leurs dépenses se réduire, ce serait même plutôt le contraire. Il y a quelques semaines, un employé de la comptabilité fournisseurs, a écrit un e-mail explosif au management, exprimant un agacement partagé par de nombreux employés. Nous en reproduisons ici quelques extraits :

« Nous avons tous entendu parler des réductions de coûts et on nous a même sollicités pour participer à cette politique. Nos bénéfices, comme les programmes éducatifs et les cours de langue, ont subitement été stoppés afin d’aider l’entreprise à réduire ses dépenses. C’est pourquoi j’aurais apprécié quelques explications sur les dépenses de certains managers, qui semblent parfois oublier le contexte exceptionnel de crise dans lequel nous nous trouvons et qui dépassent les plafonds dans le cadre de dîners, d’événements, d’hôtels, de limousines et d’autres dépenses luxueuses.

Nous qui travaillons à la comptabilité fournisseurs, nous savons mieux que quiconque ce que nous payons chaque jour ! En voici un exemple, avec cette facture arrivée hier, concernant des jouets pour enfants. Quelqu’un pourrait-il me dire s’il s’agit là d’un programme de charité ou d’un autre exemple de gaspillage financier sans contrôle responsable ? Ces jouets ont coûté à l’entreprise près de 7 000 euros ! »

Et effectivement, il s’avérera qu’il s’agissait bien d’un cadeau de charité. Ce qui permettra à la direction de répondre diplomatiquement à l’employé, le remerciant pour sa diligence et l’engageant à ne pas baisser son attention ! Un vrai conte de fées. Sauf qu’en coulisses, la tension fut palpable lors de la convocation de l’employé par des managers directs, ainsi que témoigne Stéphane, employé dans cette compagnie :

« Ils n’avaient pas l’air énervés mais un peu excités quand même, on sentait qu’ils discutaient ferme. » Qu’a-t-on reproché à l’employé ? Entre autres qu’il avait employé, dans son e-mail, la première personne du pluriel, laissant ainsi entendre que d’autres employés pensent comme lui, ce que, entre parenthèses, Stéphane nous a confirmé.

« Il n’a pas le droit de parler au nom de tout le monde parce que les gens ne pensent pas forcément comme lui, il fallait qu’il parle seulement à la première personne. Ils ont dit aussi qu’il avait envoyé les reçus dans une boîte qui était apparemment confidentielle, ce sont des documents qu’il n’a pas le droit d’envoyer comme ça. Ils cherchent les failles. »

Chercher des failles pour sauver l’image. Car ici, concernant les réductions de coûts, le fossé entre les paroles et les actes est parfois net.

« C’est de la fausse transparence. Le management essaye de garder son image de manager à l’écoute de ses employés. A son niveau, il ne peut de toute façon rien faire et c’est pas lui qui va demander aux différentes filiales de réduire leurs dépenses. S‘il commence à faire des scandales, il risque aussi de perdre sa position ».

Le hic, ce sont les dépenses des consultants en déplacement, qui se situent au-dessus des plafonds autorisés. Les employés chargés d’approuver leurs notes de frais doivent les rappeler constamment à l‘ordre. Il y a quelques mois, l’entreprise en a intégré une autre, avec de nouveaux consultants et donc la migration de leurs notes de frais. Jusqu’à présent, les procédures n’ont pas encore été transférées à ces nouvaux consultants, qui ne connaissent aucune limite de plafond dans leurs dépenses. Pour Stéphane, cela va changer mais c’est particulièrement lent.

«Ca se prépare, il a y avoir des réunions. Oui, je crois qu’il va y avoir des changements. En revanche, j’imagine qu’il faudra aussi éduquer plein de consultants, qui sont habitués à faire n’importe quoi, devoir leur rappeler la procédure et leur envoyer des e-mails ou les appeler...»

« Je pense qu’ils auraient dû prévoir depuis longue date. Depuis cet été, ils savent très bien que le rachat à grévé leur budget donc pourquoi est-ce si lent à mettre en place ? C’est comme une administration, c’est hyper-lent. Dès qu’on veut faire un petit changement de règles, ça doit être approuvé par 50 personnes, qui n’ont pas le temps, donc tout prend beaucoup de temps ».

La lenteur bureaucratique de certaines grandes entreprises ne change pourtant un phénomène de fond : l’heure est à la réduction des coûts et, dans ce contexte, ce sont les cabinets d’audit, qui ont le vent en poupe. Parmi eux, les cost-killers, les tueurs de coûts, sont promis à un bel avenir tant que la crise durera. KPMG, pour ne citer qu’elle, est une grande société d’audits possédant une filiale à Prague. Il y a encore deux ans, ce qu’elle contrôlait, dans le cadre de ses audits, c’était le respect des procédures administratives et financières. Aujourd’hui, à la demande des entreprises elles-mêmes, ce sont de plus en plus les coûts.