La journée européenne de la culture juive
Le week-end écoulé, l'attention des Pragois et des touristes étrangers séjournant dans la capitale tchèque a été attirée par les manifestations organisées dans le cadre de la Journée européenne de la culture juive. Plusieurs monuments juifs, normalement inaccessibles, ont été ouverts au public à l'occasion de cette Journée, à laquelle 230 villes européennes dans 22 pays se sont jointes. Ainsi, à Prague, on a pu visiter l'ancien cimetière juif de Zizkov et les synagogues qui ne s'ouvrent qu'à certaines occasions. Je vous invite à une promenade à travers les principaux monuments juifs de Prague, avec un peu d'histoire, pour commencer.
Les Juifs seraient arrivés à Prague, après la destruction du Temple de Jérusalem et depuis, ce peuple est resté une composante essentielle de l'amalgame culturel dont Prague est toujours pénétré. Géographiquement, l'ancien ghetto de Prague était compris entre les rues bornant la place de la Vieille-Ville et les quais de la rivière Vltava. Il était l'un des plus anciens d'Europe centrale, et le chef-lieu des autres communautés de Bohême. L'existence d'une communauté juive à Prague est mentionnée en 965, dans un récit de voyage rédigé par Ibrahim ibn Jacob, marchand juif envoyé à Prague de Tortosa en Espagne. Cette première communauté a été installée au pied du château de Hradcany. Une autre colonie a aussi été implantée, vers 1091, sur la route de Vysehrad. Finalement, au XIIème siècle, apparaît une troisième colonie, à proximité de la place de la Vieille-Ville, sur le site de Josefov. C'est cette troisième colonie qui forme, aujourd'hui, la fameuse cité juive pragoise.
Son aspect actuel est, cependant, bien différent de celui de l'ancien ghetto: une architecture labyrinthique aux ruelles étroites et sombres, aux baraques entassées, tel était le visage de cette partie pragoise, encore au début du XXème siècle, avant que le ghetto ait été démoli. On l'appelle ainsi parce que les Juifs y vivaient complètement isolés de la population chrétienne de la Vieille-Ville: ils avaient leur propre administration, mais pratiquement jusqu'en 1848, ils n'avaient pas de droits politiques, ils souffraient de pogromes et, à plusieurs reprises, ils étaient contraints de quitter Prague. En dépit des revers du sort, la population juive a gardé sa culture spécifique à Prague. En 1850, le Ghetto a été supprimé pour devenir le 5ème quartier de la ville de Prague, du nom de Josefov, à la mémoire de l'empereur Joseph II. A la charnière des XIX-XXèmes siècles, presque tous les bâtiments originels de ce quartier ont été démolis, dans le cadre d'un assainissement complet de la cité juive qui n'avait pas de canalisation et son état hygiénique était désastreux. A la place des maisons démolies, on a construit les maisons d'habitation en style Art nouveau et en styles historisants qui font, aujourd'hui, la fierté du quartier.
La fameuse cité juive de la Vieille-Ville de Prague se compose de six synagogues, de l'hôtel de ville et du vieux cimetière. Ce dernier abrite, entre autres, le tombeau du savant Jehuda ben Bezabel, dit Rabbi Löw, qui s'est fait remarquer au début du XVIème siècle comme créateur du personnage légendaire de Golem destiné à protéger la communauté juive. Selon la légende, Golem n'a pas disparu de la surface de la Terre, mais il reste caché dans un endroit inaccessible, le plus probablement sous le toit de la synagogue Vieille-Nouvelle. Ce plus ancien et plus précieux monument du quartier juif, de style gothique primaire datant des années soixante-dix du XIIIème siècle, reste, lui aussi, entouré de légendes qui lui prêtent différentes origines. Pour les uns, la Synagogue Vieille-Nouvelle a été érigée avec les pierres du Temple rapportées par les Juifs de Jérusalem, pour d'autres, ce sont les anges protecteurs de l'église qui en ont transporté les pierres. La synagogue Vieille-Nouvelle formant le centre du ghetto, s'appelait initialement Nouvelle Ecole et, quand de nouveaux temples ont été édifiés, elle est devenue Vieille-Nouvelle. Contrairement aux autres édifices religieux, elle n'a jamais été enserrée dans un pâté de maisons, de sorte qu'elle a toujours échappé aux incendies. Cet édifice est un lieu de culte actif. La synagogue est séparée du front de bâtiments Art nouveau de la rue Parizska - de Paris, par Cervena ulice - la rue Rouge, qui est la rue la plus courte de Prague et sans doute la plus mystérieuse: en réalité, c'est plutôt un passage étroit terminé par un escalier et qui, à droite, descend jusqu'à l'entrée de la synagogue. On dit qu'en se promenant, à l'aube, on peut y apercevoir l'ombre du Golem... Je dirais que c'est l'esprit de Kafka qui est bien présent dans cet endroit. Le clocher de l'hôtel de ville juif porte une horloge à chiffres hébraïques et dont les aiguilles tournent en sens inverse: de droite à gauche, ce qui ne fait que compléter cette ambiance d'un monde kafkaïen...Le ghetto de la Vieille-Ville n'était pas l'unique territoire de Prague habité par les Juifs. Une autre colonie a vu le jour, à la moitié du XVIème siècle, sur le territoire de l'actuel quartier de Liben, dans le 8ème arrondissement de Prague. En 1595, Liben avait plus d'habitants de culte juif que chrétien. Les Juifs y avaient leur école, leur hôtel de ville, leur synagogue. La colonie de Liben se trouvait à proximité étroite de la rivière Vltava, ce qui est devenue fatal pour elle, au moment des grandes inondations ayant envahi Prague en 1845. Les eaux déchaînées ont emporté la vieille synagogue et endommagé les immeubles peu solides. L'archiduc Etienne, qui a alors visité Liben, n'a pas autorisé la construction de nouvelles maisons.
La communauté juive a reçu en compensation un terrain un peu plus éloigné de la Vltava sur lequel, la première pierre de la nouvelle synagogue a été posée, le 23 novembre 1846. Une importante aide financière à l'achèvement de sa construction a été apportée par l'entrepreneur de Holesovice, Dormitzer. Au début du XIXème siècle, on y a ajouté le rabbinat et la communauté juive de Liben a été élargie d'un bazar: c'était des maisons d'un étage alignées devant la synagogue. Elles abritaient toute sorte de magasins. Parmi les plus réputés: un buffet de Frantisek Leibl et une pâtisserie - confiserie de Rudolf Pachl. La Deuxième Guerre mondiale a mis fin à l'existence de la communauté juive de Liben.
Aujourd'hui, seule la synagogue en est restée. Le week-end écoulé, on a pu la visiter, dans le cadre de la Journée européenne de culture juive. La synagogue de Liben est un bâtiment néo-roman typique, orienté de l'Ouest à l'Est, avec un escalier en colimaçon sur la galerie réservée aux femmes. La nef principale est divisée par 10 piliers, en partie centrale et deux parties latérales. Au moment de la construction de la ligne B du métro pragois, la synagogue devait être éliminée. Heureusement, elle a été sauvée grâce à une intervention des conservateurs et du département des soins au patrimoine. Aucunes décorations intérieures ne s'y sont pas conservées. La synagogue sert de salle d'expositions et de concerts.
Une autre synagogue qu'on a pu visiter est presque ignorée des Pragois eux-mêmes. Elle se trouve également dans le 8e arrondissement de Prague, mais dans le quartier de Karlin, le plus sinistré par la crue d'août 2002. La synagogue est réparée, mais elle ne sert pas à sa mission initiale. Depuis 1945, elle est utilisée par l'Eglise hussite tchécoslovaque comme lieu des prières.