La marine tchécoslovaque

Photo: www.bastl.cz
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Une fois n’est pas coutume, nous nous penchons aujourd’hui sur l’histoire de la marine tchécoslovaque. Et pas la marine fluviale mais bien la marine maritime. Oui, vous avez bien entendu ! La Tchécoslovaquie avait beau se situer à 800 kilomètres de toute côte, avec l’Elbe comme seul accès, sa flotte marchande compta l’une des plus importantes flottes d’Europe durant les années 60 !

Les débuts de la navigation tchèque remontent à assez loin puisque ses premières mentions datent du Moyen-âge : des Tchèques employés sur des bateaux militaires reliant l’Autriche, navigation fluviale, on s’en doute.

Car c’est son manque d’accès à la mer qui détournera peu à peu la Bohême-Moravie des nouveaux courants commerciaux. Ainsi, en Méditerranée, ceux reliant le Proche-Orient à l’Occident par l’intermédiaire des républiques italiennes. Après la découverte de l’Amérique par Colomb en 1492 et l’exploration de l’Afrique occidentale, les grands flux commerciaux se déplacent vers l’Atlantique. Sous le règne de Charles Quint au XVIème siècle, la Bohême en ressent directement les effets : le centre de gravité de la monarchie des Habsbourg s’oriente vers Madrid. Les Habsbourg d’Autriche, quant à eux, gèrent un domaine désormais considéré comme secondaire.

Sous la première République tchécoslovaque, entre 1918 et 1938, une amorce est prise. Mais les initiatives concernent essentiellement des bateaux de petite taille, appartenant à des entrepreneurs privés, comme Baťa.

Il faut attendre la période communiste pour voir la marine tchécoslovaque passer du quasi-néant à l’une des flottes les plus importantes d’Europe ! C’est en 1959 que naît la CNP, sigle que l’on peut traduire par Association des armateurs tchécoslovaques. On peut difficilement parler de Marine nationale puisque le statut évoque une société commerciale et internationale à actions. La CNP exploite des bateaux pour l’Etat tchécoslovaque mais aussi bientôt pour la Chine.

En juin 1953 est signé avec la jeune République populaire de Chine un traité maritime prévoyant l’utilisation de bateaux chinois sous pavillon, et de manière formelle, sous propriété tchécoslovaques. Cette collaboration entre deux pays du bout du monde, dont l’un n’a aucun accès à la mer, est plutôt insolite ! Elle n’en durera pas moins 14 ans, jusqu’en 1967. Les motivations en sont autant économiques que politiques. En 1953, la République populaire de Chine, n’a que 4 ans, et elle est isolée sur le plan international. Faire battre des navires chinois sous pavillon permet tout simplement de contourner les diverses interdictions mises en place par les pays occidentaux. La Tchécoslovaquie s’était déjà fait les dents sur les livraisons rapides et difficiles avec les livraisons d’armement à Israël en 1947 !

Des navires de fort tonnage comme le Julius Fučík, acquis en 1954 par la société Čechofracht, étaient ainsi chinois. De même pour le Lidice ou encore le Dukla, acquis en 1958. Ces navires chinois étaient eux-mêmes construits sur des chantiers navals internationaux.

Durant les années 60, le nombre et le tonnage des navires augmente à telle vitesse que la Tchécoslovaquie s’impose comme l’une des plus grosses flottes en Europe. Une véritable affaire gérée par les autorités communistes et qui aura été apparemment rentable. Durant son existence, de 1959 à 1990, les investissements effectués dans ce secteur ont été vite amortis et très fructueux. En tout cas, le succès est tellement flagrant que le régime de Novotný peut sans complexe lancer une campagne de timbres à la gloire de la marine tchécoslovaque en 1960, célébrant ses barges, ses remorqueurs et ses cargos. L’importance du bateau monte avec la valeur du timbre !

En 1966, la Révolution culturelle bat son plein en Chine, plongeant le pays dans le chaos. La confrontation sino-soviétique, larvée depuis la fin des années 50, tourne désormais à un affrontement direct entre les deux Etats. On peut imaginer également que Moscou ne regardait guère d’un bon œil cette collaboration maritime entre Prague et Pékin. Outre qu’il s’agissait d’un rival, les conditions de partenariat, basées sur des échanges équitables, étaient sûrement meilleures que les échanges avec Moscou.

La Tchécoslovaquie s’aligne sur le grand frère soviétique et en 1967, le traité, qui touche à sa fin, n’est pas renouvelé. Après cette date, la flotte tchécoslovaque se réduit considérablement, la plupart des bateaux étant propriété chinoise. Les marins, eux, ne sont au courant de rien et sont sans doute les premiers surpris de la réduction d’activité. Le partenariat entre les deux pays aura été intense : on estime, chaque année, que 80 bateaux de type Liberty étaient ainsi frétés, ne serait-ce que pour les transports en provenance de Chine. Le volume des échanges augmentait de telle façon dans les années que l’on faisait appel, en plus des effectifs tchèques et chinois, à des marins de tout le bloc soviétique, Polonais, Bulgares, Hongrois et même Russes.

Durant les années 90, les flottes maritimes et fluviales tchèques sont privatisées. Elles se dispersent ainsi aux quatre vents, passant aux mains d’acheteurs de tous les pays. Les années 60 auront été cet âge d’or méconnu de la marine tchécoslovaque. Mais aurait-ce été le cas sans l’aventure chinoise ?