La marionnette, son maître et la mort (I)
Le festival international du film de Karlovy Vary s’est achevé voici un mois. Radio Prague, présent lors de l’événement cinématographique le plus important de République tchèque, a ramené plusieurs entretiens dans ses valises. Aujourd’hui, nous vous proposons ainsi de découvrir Wiktoria Szymańska, une artiste touche-à-tout, venue en Bohême pour présenter son deuxième documentaire, « The man who made angels fly », un portrait poétique du grand marionnettiste Michael Meschke. Première partie de cet entretien autour de ce film doux et beau.
C’est d’ailleurs un film où la mort est très présente. Michael Meschke en parle beaucoup. Il dit que quand il refermera les boîtes contenant ses marionnettes, ce sera terminé pour lui. C’était voulu cette omniprésence de la mort ?
« Oui, je voulais au départ faire un film sur la mort au même moment où je rencontrais Michael Meschke. Parce qu’il a vu mon film précédent « Themerson & Themerson », il l’a beaucoup aimé et il voulait faire un film avec moi. Je lui ai dit que le prochain projet n’était pas vraiment… C’était un projet sur la mort. Et là il m’a parlé de la marionnette en me disant que c’était vraiment un sujet proche de la mort parce c’est une vie très fragile pendant un certain moment et qui se termine par la mort. Mais la marionnette peut mourir plusieurs fois. »
La marionnette peut ressusciter…
« Voilà et donc forcément, le sujet de la mort est omniprésent parce que la marionnette représente un peu ça. Aussi bien sûr, Michael Meschke a un vécu, il a 84 ans maintenant. Ce n’est pas quelqu’un qui est en train encore de faire du théâtre. C’était aussi un adieu à une certaine époque. Cet adieu, ce retour pour la dernière fois, c’était vraiment un thème que je voulais exploiter pour le film. »Parce que vous connaissez Michael Meschke depuis longtemps ? On a l’impression que vous l’aimez beaucoup…
« Oui, en fait je ne le connais pas depuis très longtemps, depuis 3,4 ou 5 ans. Justement quand il a vu mon film précédent… »
Qui était aussi un portrait d’artistes…
« Oui, mais un film qui était un peu différent, peut-être un peu plus expérimental finalement que celui avec Michael Meschke. Quand je l’ai rencontré, j’ai vu par exemple la marionnette du Petit Prince, et j’ai compris que c’était des marionnettes que j’avais vu quand j’étais toute petite dans un petit théâtre. Et cela m’était toujours resté en tête, une espèce de message qui me donnait envie de devenir citoyenne du monde, une chose que j’ai toujours voulue être. J’ai toujours voulu partir ailleurs de Pologne mais être libre de vivre entre trois pays – Pologne, France, Angleterre – et avoir cette facilité de ne pas être piégée dans les limites. »
Vous avez justement plusieurs points communs avec Michael Meschke. Lui-aussi partage sa vie entre plusieurs pays. Il est polyglotte et touche à plusieurs domaines artistiques comme vous avec le théâtre ou le cinéma expérimental. Donc vous êtes assez proches…
« Oui, c’est assez extraordinaire. Pas seulement dans l’esprit, dans l’idée, il y a un écart d’âge entre nous supérieur à cinquante ans mais il y a vraiment quelque chose de très commun. D’autant plus que Michael Meschke est né au même endroit que moi, à Gdansk, sauf qu’à l’époque pour lui c’était en Allemagne. C’est extraordinaire de passer par les mêmes routes où il est né alors que moi je suis née à Gdansk, dans les années 1980 en Pologne communiste. C’est aussi ça qui fait ce destin que l’on a partagé quelque part. J’ai découvert plein de choses comme cela en faisant le film. »Il y a peu d’éléments biographiques dans le film. C’est surtout le maître marionnettiste et son art. On apprend qu’enfant, Michael Meschke et sa famille sont forcés de quitter l’Allemagne pour la Suède à cause des nazis. Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur la vie de Michael Meschke ?
« Michael Meschke est né en Poméranie aujourd’hui, en Allemagne à l’époque. Sa famille a réussi à partir au dernier moment pour la Suède avant que le nazisme ne l’emporte à Gdansk et dans la région. C’est après son départ que son parrain lui a fait parvenir un petit mot dans lequel il lui disait qu’il serait un jour marionnettiste. Son parrain a envoyé cela juste avant sa mort parce qu’il n’était pas d’origine juive mais sa femme l’était et cela suffisait… »
Dans sa relation aux marionnettes, il y a quelque chose qui relève du charnel quand il les anime…
« Ce qui m’a vraiment fasciné, c’est qu’il y a quelque chose de presque organique et physique… Il y a l’art de la marionnette, la perfection avec laquelle il crée les marionnettes, chaque fil… Il y avait vraiment une pensée derrière son savoir-faire. Il y a à chaque fois une grande pensée de gestes, de mouvements. Mais il y a aussi une union incroyable entre lui et le maître – il se donne avec tout son corps, avec tout son souffle – et la marionnette, comme s’il passait la vie à cette créature. Pour moi c’était extraordinaire quand je l’ai vu pour la première fois chez lui et qu’il a voulu me montrer « La danse de Baptiste », « La mort de Baptiste ». J’ai trouvé extraordinaire, l’énergie, la force vitale qu’il peut transmettre aux marionnettes et comment cela résonne dans leurs mouvements. La matière dans laquelle sont faites les marionnettes est presque toujours différente mais l’impression que cela nous donne à l’écran ou en vrai est à chaque fois vraiment humaine. Il y a quelque chose de bizarre. C’est pour cela aussi que je voulais que les marionnettes prennent la parole, qu’elles s’échappent dans la rue et qu’elles vont y faire leur histoire comme si elles avaient vraiment une deuxième vie à eux. »Il y a ce thème de la mort et de la vie. Il y a un autre qui revient souvent chez Michael Meschke, c’est celui du passage à l’âge adulte. Il a presque envie de rester toujours un enfant, une sorte de syndrome de Peter Pan…
« Oui, j’adore cela parce que je pense c’est encore un point que l’on partage, cette fascination, cette naïveté mais en même temps une énorme passion qui est un peu une passion d’enfant. Croire en l’impossible. Je crois que cela le définit très bien et c’est pourquoi à la fin du film j’ai voulu lui donner une parole d’enfant, lui donner la parole de quelqu’un qui peut vraiment revenir vers l’enfance. Quelque chose dont il a peut-être plus besoin à l’âge qu’il a aujourd’hui qu’auparavant. Je pense que c’est cela, cette croyance à l’impossible, cette croyance de pouvoir dépasser tout, de pouvoir s’envoler dans cet imaginaire. Ce sont vraiment des choses très liées avec la façon dont on peut animer les marionnettes. »