La petite âme de maman

Mateřídouška, photo: Vojtěch Zavadil, Creative Commons 3.0
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Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Aujourd’hui, nous allons revenir sur le thème des plantes pour nous consacrer à l’une d’entre elles, le serpolet, dont le nom tchèque, mateřídouška, provient d’une poésie triste du XIXe siècle.

Le serpolet, mettons-nous dans l’ambiance : cette plante aromatique basse, tapissante, couverte l’été de petites fleurs bleues, soulageant les digestions difficiles et répandant des senteurs de garrigue…

L’explication de l’appellation tchèque du serpolet est l’occasion de vous présenter une des œuvres poétiques les plus importantes de la littérature romantique tchèque du XIXe siècle : Kytice. Kytice– « Le bouquet » est un recueil de poésies écrit par Karel Jaromír Erben, publié en 1853. Un bouquet de ballades romantiques, inspirées de mythes issus de la culture populaire. Maternité et patriotisme, peurs et croyances, culpabilité et châtiment, destins et amours tragiques…

Autant de thèmes traités par les récits habités par des personnages comme vodník - l’ondin, polednice - la fée de midi, holoubek - le jeune pigeon, věštkyně - la sibylle, mais aussi vrba - le saule, lilie - le lys, zlatý kolovrat - le rouet d’or...

C’est l’ouverture du recueil qui donna son nom tchèque au serpolet : la ballade d’ouverture, le Serpolet, Mateřídouška, conte l’histoire d’une mère qui meurt. Ses enfants, orphelins, visitent sa tombe chaque jour. Ecoutons plutôt le début du poème… (Précisons que la traduction du poème n’est pas la traduction française officielle du poème mais une traduction personnelle).

Zemřela matka a do hrobu dána

siroty po ní zůstaly

i přicházely každičkého rána

by matičku svou hledaly.

La mère est morte, elle est dans la tombe

Elle a laissé des orphelins

Ils y viennent chaque matin

Chercher leur petite maman.

Jusqu’ici, difficile encore de faire le lien avec notre plante aux petites fleurs bleues... Notons la jolie manière d’Erben de nommer la mère : matička– la petite maman, diminutif de matka– la mère. Ecoutons donc la suite.

I zželelo se matce milých dítek

duše její se vrátila

a vtělila se v drobnolistý kvítek

jimž mohylu svou pokryla.

La mère a pitié de ses gentils enfants

Son âme est revenue

Et s’est incarnée dans la petite fleur aux petites feuilles

Qui couvrait sa tombe

Le lien commence à s’éclairicir... Vous avez peut-être reconnu la petite fleur aux petites feuilles... Et peut-être même relevé le mot duše – l’âme. Ecoutez plutôt la clarification :

Poznaly dítky matičku po dechu

poznaly ji a plesaly

a prostý kvítek, v němž majíc útěchu

mateří-douškou nazvaly.

Les petits enfants ont reconnu leur maman à l’odeur Ils l’ont reconnue et ont sauté de joie

Et la simple petite fleur, source de leur réconfort

Ils l’ont appelée la petite âme de maman

Mateřídouška,  photo: Vojtěch Zavadil,  Creative Commons 3.0
Il faut croire que la maman sentait la guarrigue... Quoi qu’il en soit, la formation du mot serpolet – mateřídouška, apparaît tout d’un coup limpide. Mateří est une racine dérivée de matka, la mère, ou de l’adjectif mateřský - maternel. Quand à –douška, encore un diminutif, que vous aurez peut-être reconnu, du mot duše relevé dans la deuxième strophe du poème, désignant l’âme.

Un mystère reste à élucider – comment les Tchèques désignaient-ils le serpolet avant le poème de Karel Jaromír Erben ? Avis aux tchécophiles… Nous publierons avec plaisir vos suggestions. Et c’est sur cette question ouverte que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». En attendant de vous retrouver la semaine prochaine, portez-vous donc du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !