La petite Bretagne : « Nous sommes revenus à Prague après la révolution parce que les clients étaient ici. »

Photo: www.vinecko-bretagne.com

Mme Sirany dirige un restaurant de cuisine française, la Petite Bretagne, à Prague. D’origine tchécoslovaque, le couple Sirany a vécu pendant près de 30 ans en France où ils ont tenu plusieurs restaurants, avant de revenir en République tchèque au début des années 1990. Mme Sirany nous raconte son métier de restauratrice, en France et en République tchèque.

« Nous sommes arrivés en France en 1969, parce que mon mari était un sportif, un basketteur. J’ai commencé la restauration par le biais d’un ami. J’ai découvert que finalement, c’est ma vocation. Quand j’ai commencé à travailler, je me suis bien sentie. J’aime le contact avec les gens, et c’est peut-être pour cette raison que je suis tombée dans cette branche. Il est vrai que la restauration est un métier difficile et un travail complet, parce qu’il faut savoir cuisiner, apprécier les plats, savoir manger, savoir servir et avoir un bon contact avec les gens. »

Vous avez tenu des restaurants en France, sur la côte d’Azur. Pouvez-vous nous raconter ?

« Mon premier restaurant était à côté du Casino à Menton. Ce n’était pas un restaurant gastronomique mais une pizzeria snack comme il y en a beaucoup en bord de mer, sur toute la riviera française. Ensuite, nous avons eu un autre restaurant à Monaco, avec un niveau plus élevé. Nous avions une très bonne clientèle. Mais peu importe si les gens mangent des pizzas ou autre chose, je ne fais pas de différence entre la grande cuisine et une pizzeria. L’important, c’est que la cuisine soit faite avec des produits frais. Et plus la cuisine est simple, meilleure elle est. »

Vous êtes revenus après la révolution. Vous avez ouvert un restaurant qui s’appelait le St-Jacques et qui a fermé il y a relativement peu de temps. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

« Cela va faire exactement treize ans que nous sommes arrivés à Prague. Une des raisons pour lesquelles nous avons quitté la France est que nous avons travaillé beaucoup moins quand les frontières se sont ouvertes. Mon mari et mes enfants sont venus visiter Prague et ils se sont rendus compte que tous les clients étaient à Prague. Et nous avons donc décidé de venir aussi. De plus, c’était plus facile pour nous pour commencer quelque chose parce que nous parlions la langue. Pendant douze ans, nous avons eu le restaurant le St-Jacques. C’était un très bon restaurant et un des premiers restaurants français à Prague. Je crois que les clients étaient très contents. Il y avait de la musique tous les soirs, c’était la fête. C’était un restaurant qui donnait envie de manger, de s’amuser, et de passer de bons moments. Mais il y a deux ou trois ans, la fréquentation a commencé à baisser. Les clients étaient plus stressés. Je me suis demandée ce qu’il se passait, et j’ai découvert que l’époque avait changé. Il y avait quelque chose que je sentais arriver à grands pas et je ne me suis pas trompée, c’était vraiment la crise. Les gens mangeaient différemment, vivaient différemment, ils s’amusaient différemment et nous avons vendu le restaurant St-Jacques il y a bientôt un an. Nous avons rouvert un restaurant français, beaucoup plus petit, dans un style différent, avec des plats plus simples, mais ce n’est pas pour autant que c’est moins bon. »

Est-ce plus difficile de faire des profits avec un restaurant plus modeste qu’avec un restaurant gastronomique ?

« Avec un restaurant gastronomique, c’est plus facile parce qu’on a une clientèle différente. Ici, dans ce restaurant, la Petite Bretagne, on est obligé de forcer un peu les clients à goûter les plats, alors que les clients du St-Jacques avaient l’habitude de voyager et connaissaient la cuisine française, qui est selon moi la meilleure du monde. Ici, je dois un peu forcer les clients, leur faire goûter les plats, qui sont simples, mais bons, réalisés avec des produits frais, avec des produits de saison, des poissons, de la viande ou seulement des légumes qui n’ont pas tellement l’habitude d’être mangés en République tchèque. »

Est-ce qu’il est facile de trouver tous ces produits frais, et notamment les poissons, en République tchèque ?

« Au début c’était très difficile, quand nous avons ouvert le St-Jacques, parce qu’on avait une clientèle très exigeante et on servait beaucoup de poisson mais finalement, nous avons trouvé une solution pour que ça arrive de Rungis, à Paris. A l’époque, c’était vraiment un gros problème mais maintenant, on peut commander deux ou trois jours avant, même à la demande des clients, et on reçoit une livraison de poisson frais. Parfois, il m'arrive de dire que le poisson à Prague est beaucoup plus frais qu’à Menton, en France. »

Sur votre métier de restauratrice, vous avez monté des restaurants en France puis en République tchèque. Y-a-t-il un pays où ouvrir un restaurant est plus difficile que dans un autre et quelles sont les différences ?

« Je crois qu’en France, il y a quand même des statuts pour l’ouverture des restaurants, pour l’hygiène, pour les placements et les licences, qui sont tout à fait différents qu’en République tchèque. En République tchèque, je n’aime pas trop parce que c’est un peu désordonné. Les restaurants et les bars sont ouverts un peu n’importe où. Il n’y a pas de logique, il n’y a pas de contrôle. Des restaurants sont ouverts dans des villas, dans des jardins privés, dans des garages, et je n’aime pas trop cela. Je crois que pour chaque bar ou restaurant ou tout ce qui est lié à la restauration, il faut un placement, des choses à respecter. On ne peut pas ouvrir n’importe comment, n’importe où, et jusqu’à n’importe quelle heure. A Prague, ça commence un peu à s’améliorer mais il y a encore beaucoup d’efforts à faire. Et comme vraie professionnelle – je fais ce métier depuis 40 ans – je n’aime pas trop cela. »

Y-a-t-il beaucoup de contrôle en République tchèque ?

« Il y en a beaucoup moins qu’en France. Néanmoins, en France, parfois, je n’aimais pas comment cela se passait. Les contrôles étaient effectués l’été, pendant les services, ils arriveraient à l’improviste. C’est pour cela qu’on les appelait souvent la gestapo. C’était très exagéré. Mais ici par contre, c’est un peu trop laxiste. »

Vous venez d’ouvrir la Petite Bretagne depuis quelques mois. Comment cela marche-t-il ?

« Ca fait trois mois que nous sommes ouverts. La clientèle augmente un peu, nous voyons les clients qui reviennent. Mais l’hiver, ce n’est pas évident à Prague, et en plus il y a la crise. On a compté avec, on s’est dit que ça nous prendrait trois ou quatre mois, mais ça augmente néanmoins. Et surtout, ce qui me satisfait, c’est que tous les clients qui partent d’ici sont contents. »