Restauration : une crise comparable en France et en Tchéquie
Les restaurateurs ont été particulièrement touchés par les restrictions sanitaires dues à la pandémie. Fermés pour la première fois le 14 mars 2020 en Tchéquie et le lendemain en France, ils ont depuis connu réouvertures, re-fermetures, couvre-feux et jauges de clients à respecter. Selon bon nombre d’associations, cette crise a profondément bouleversé le secteur de la restauration, allant même jusqu’à remettre en cause certaines pratiques.
Martin Streško est propriétaire du Martin’s Bistrot dans le troisième arrondissement de Prague :
« Mes employés ont trouvé un nouveau travail pendant le confinement. Certains sont revenus à la réouverture, mais pas tous. Beaucoup ont quitté le secteur de la restauration. Vous savez, dans ce cas, vous prenez le premier travail qui vous permettra de vous nourrir. Beaucoup de restaurateurs employaient des étudiants et des personnes jeunes, mais ils trouvent maintenant des postes dans de grandes entreprises où le travail est moins stressant. Je pense qu’il faut juste du temps pour que le marché de l’emploi se rééquilibre et que les salariés reviennent travailler dans les restaurants. »
En République tchèque comme en France, les restaurants ont été vus comme les entrepreneurs parmi les plus impactés par les confinements, beaucoup de professionnels envisageant des fermetures. Historien des pratiques culinaires et alimentaires basé à Paris, Patrick Rambourg n’est toutefois pas d’accord avec ce constat alarmiste :
« Il faut relativiser le fait que la restauration serait l’un des secteurs les plus touchés par la pandémie. D’autres commerces ont été beaucoup plus touchés. Les métiers de la restauration ont reçu beaucoup d’aides de l’Etat. 2,56% des cafés, bistrots ou restaurants ont fermé en France depuis avril 2019. C’est vraiment très peu, les aides de l’Etat ont très bien fonctionné (prêts garantis par l’Etat, chômage partiel, report des charges sociales, fonds de solidarité qui a été très utilisé…). »
150 000 : voici un chiffre qui illustre bien la mutation qui est en train de s’opérer dans le secteur de la restauration. 150 000 salariés français se sont reconvertis dans une autre branche d’activité depuis mars 2020, faute de pouvoir travailler dans les restaurants.
Mais des solutions existent pour attirer les jeunes vers des métiers qui recrutent, comme cuisinier, serveur ou encore commis de cuisine. Patrick Rambourg :
« Il y a trente ou quarante ans, on pouvait demander aux gens de travailler un certain nombre d’heures, les week-ends, les soirs et les jours fériés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, les restaurateurs doivent s’adapter pour proposer des solutions honorables pour que les employés puissent avoir une vie à côté de leur travail. Or, la restauration a un rythme décalé par rapport aux autres métiers, surtout en soirée, pendant les vacances et dans des zones touristiques. Ce sont donc des métiers toujours durs, quoiqu’un peu moins qu’avant. Beaucoup de jeunes des écoles hôtelières ne réalisent pas les efforts et les privations demandés avant de commencer leurs études. Il faut être passionné, dans le cas contraire on change forcément de métier à un moment ou à un autre. »
Pérennisation du ‘click-and-collect’ ?
Pendant les confinements, les restaurateurs ont dû s’adapter et trouver de nouveaux moyens pour continuer à fonctionner. Numérisation et livraison ont été les grandes gagnantes de la crise et des remèdes, quoique modestes, pour garder quelques rares clients. « Cinq ans de numérisation en trois mois » : c’est ainsi que le créateur de la start-up ‘Smart Food Paris’, qui accompagne les entreprises pour leur développement sur le web, résume l’explosion du nombre de restaurateurs qui ont créé leur site Internet dès les annonces de fermetures. La livraison a aussi connu un essor fulgurant, encore faut-il que les plats soient facilement transportables et se conservent suffisamment longtemps.
De Deliveroo en France à Wolt en Tchéquie, les plateformes de livraison ont dû faire appel à des milliers de coursiers pour répondre à la demande. Le ‘click-and-collect’ ou vente à emporter s’est également beaucoup développé, en témoigne la ‘Journée des fenêtres’ organisée le 7 novembre dernier à Prague. Mais cela n’a souvent pas suffi à remonter le moral des restaurateurs qui ont vu leurs salles vides pendant des mois, comme en témoigne Martin :
« Pendant les confinements, nous avons fait de la vente à emporter et de la livraison nous-mêmes, mais c’était une période difficile mentalement sans accueillir personne à l’intérieur. Ça va mieux maintenant que nous avons rouvert, nous avons l’impression de reprendre goût à la vie. Mais nous avons toujours à payer les dettes et les dépenses que nous avons faites pendant un an et demi. Les aides financières de l’Etat nous ont aidés mais ce n’est pas suffisant. C’est pour cela que nous allons continuer à faire de la vente à emporter pendant longtemps, car c’est avantageux pour nous. »
Les attentes des clients ont changé elles aussi. Avec le boom du télétravail, les salariés sont de plus en plus adeptes des repas sains et rapides pouvant être avalés au bureau. Martin Streško observe aussi que les gens passent plus de temps à table pour discuter avec leur famille ou leurs amis.
Le restaurant : un lieu culturel avant tout
Le Covid-19 a finalement bousculé tout un secteur qui a dû se réinventer pour continuer à exister tant bien que mal. Martin explique sa vision de la gastronomie tchèque :
« Ces trente dernières années, la place du restaurant dans la culture tchèque a beaucoup changé. Avant, on parlait surtout de la bière alors que maintenant, le vin a une grande place aussi. La nourriture prend également de l’importance. C’est un grand changement car les gens sont de plus en plus soucieux de la qualité de ce qu’ils mangent. »
Si c’est donc surtout la bonne nourriture qui, selon Martin Streško, aurait manqué aux Tchèques quand les restaurants étaient fermés, Patrick Rambourg explique que c’est également la sociabilité associée au repas au restaurant qui a manqué aux clients :
« Beaucoup de Français ne s’en rendent pas compte car c’est naturel pour eux d’aller au restaurant et de s’asseoir à la terrasse d’un café pour prendre une bière en fin de journée. Chacun a ses habitudes dans tel café, à tel moment et pour telle consommation. Quand les terrasses ont rouvert le 19 mai, tout le monde s’y est précipité. Pendant la fermeture, c’était un manque flagrant pour la population française. C’est assez paradoxal de voir que c’est la fermeture des restaurants qui a permis de se rendre compte de leur importance dans la culture française. »