La poésie de Noël, une fée farouche
Le Noël tchèque est inimaginable sans les sapins, les étrennes, les chants et les productions musicales de toute sorte. Pendant plusieurs semaines qui précèdent les plus belles fêtes de l’année on peut déjà entendre les chants de Noël dans les supermarchés, sur les places publiques, partout où les gens se rencontrent et se réunissent. Les sapins de Noël, ces symboles inévitables et omniprésents, se multiplient, nous signalent l’approche de l’Avent et nous rappellent qu’il faut acheter et préparer des cadeaux pour nos proches. Cependant, cette profusion de symboles de Noël, tous ces chants que personne n’écoute vraiment, ces arbres surchargés de décorations et ces éclairages splendides, cette accumulation de belles choses, ne provoque pas toujours l’impression souhaitée et souhaitable.
Au lieu de créer une atmosphère magique, ces décorations éblouissantes et cette musique tonitruante finissent par nous lasser, par nous déranger et nous agacer. Au lieu de créer la poésie, elles la font fuir. Essayons donc aujourd’hui de créer, le temps d’un programme, un doux refuge où la poésie de Noël, cette fée farouche, pourrait se sentir chez elle. Essayons de trouver une musique qui pourrait lui plaire, la flatter et la faire s’épanouir. Nous aurons besoin pour cela non seulement de belle musique mais aussi et surtout de l’envie de nous arrêter et de nous reposer, une envie d’évoquer quelques souvenirs de beaux Noëls d’antan, une envie de rêver. Je vous propose de faire ce voyage dans le temps avec les solistes, le chœur et l’orchestre Musica bohemica placé sous la direction de Jaroslav Krček. Cet ensemble a enregistré entre autres un chant de Noël tirée du cantionnaire Capella Regia Musicalis que nous devons à Václav Karel Holan Rovenský, une personnalité remarquable de la musique et de la poésie tchèques de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle
Compositeur, organiste et poète, Václav Karel Holan Rovenský a été au cours de sa vie mouvementée maître d’école, maître de chapelle et tailleur de pierre. Né à Rovensko en Bohême du Nord en 1644, il est d’abord organiste dans sa commune natale, puis dans la ville de Turnov avant de fuir à Prague pour échapper à son seigneur féodal. Dans la capitale il réussit à obtenir le poste d’organiste à l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Vyšehrad. Mais son tempérament ne lui permet pas de rester longtemps sur place et au début des années 1690 il se trouve déjà à Rome où il étudie la musique italienne. Revenu dans sa région natale, il se retire de la société, devient ermite et vit loin des foules dans les ruines du château de Valdštejn. Le début du XVIIIe siècle apporte encore un tournant dans sa vie, car il revient à Rovensko, son village natal, pour y exercer le métier de tailleur de pierre. C’est dans l’église de Rovensko qu’il sera inhumé après sa mort survenue en 1718.
La carrière du jésuite Matěj Václav Šteyer a été plus simple et plus droite. Né en 1630 à Prague, il mourra dans la même ville en 1690. Entré dans les ordres dès l’âge de 17 ans, il se fait connaître en tant que prêcheur, traducteur, écrivain religieux, linguiste et professeur des collèges jésuites. Il fait partie d’un groupe de puristes qui veillent sur la pureté de la langue tchèque. Nous lui devons entre autres le Cantionnaire tchèque d’où ont été tirées deux chansons enregistrées par l’ensemble Musica Bohemica de Jaroslav Krček.
Un des plus beaux et des plus anciens cantiques de Noël tchèques est l’œuvre d’Adam Václav Michna d’Otradovice, fils d’une famille de hobereaux, né avec le siècle, en 1600. La personnalité d’Adam Michna marie deux talents. Il est considéré comme le meilleur compositeur et aussi le meilleur poète tchèque du XVIIe siècle. Nous ne disposons que de très peu d’informations sur sa vie, mais nous savons qu’il était affligé par la situation de son peuple livré, après la bataille de la Montagne blanche en 1620, à la recatholisation, à la germanisation et à l’oppression par la maison des Habsbourg. Le déclin de la vie nationale est cependant pour Adam Václav Michna aussi une impulsion pour se lancer dans la création artistique. Il passe pratiquement toute sa vie dans la ville de Jindřichův Hradec en Bohême du Sud où il est né et où il mourra en 1676. Auteur de musiques vocales et instrumentales, il met en musique notamment ses propres textes et c’est donc dans ses propres compositions qu’il peut mettre en valeur aussi son œuvre poétique. Il laissera à la postérité notamment trois recueils des compositions hymniques « La musique mariale tchèque », « Le Luth tchèque » et « La Musique de l’année sainte ». Sa composition intitulée « La Nuit de Noël » qui évoque la Vierge Marie berçant le petit Jésus est un des cantiques de Noël tchèques les plus célèbres et les plus populaires et pour beaucoup, il est un véritable symbole de Noël.
Pendant toute sa vie, donc entre 1644 et 1716, le prêtre Jan Josef Božan a rassemblé des chansons pour son cantionnaire, livre qui n’était pas destiné seulement à l’église mais aussi à l’usage des laïques. Il a réussi à réunir dans ce livre 830 chansons pour une voix seule, pour duo ou pour un petit ensemble qui peut avoir jusqu’à cinq chanteurs, avec accompagnement à l’orgue : il s’agit de chants de l’Avent, de Noël, de Pâque et d’autres fête religieuses de l’année chrétienne. Jan Josef Božan étant un prêtre pauvre, c’est grâce au comte František Antonín Špork que le cantionnaire intitulé « Le rossignol du paradis » a été finalement publié. Cet événement heureux pour la musique tchèque n’a eu lieu cependant qu’en 1719 donc quatre ans après la mort de Jan Josef Božan. 12 000 exemplaires de ce livre fondamental ont été imprimés et certains exemplaires se sont conservés jusqu’à aujourd’hui dans des bibliothèques, des curées et dans des collections privées. L’ensemble Musica Bohemica a choisi dans ce recueil le chant intitulé « Le Nouvel an arrive ».
C’est grâce à l’ensemble Musica Bohemica dirigé par le chef d’orchestre et compositeur Jaroslav Krček que toute cette musique presque oubliée peut resurgir du passé. Trois tendances principales se détachent dans l’œuvre de Jaroslav Krček né en 1939 à Čtyři Dvory près de la ville de České Budějovice. Ce compositeur et chercheur a consacré une grande partie de sa vie et de son œuvre au folklore, à la musique anonyme et à la musique ancienne. Fondateur des ensembles Chorea Bohemica et Musica Bohemica il cherche dans les archives de vieux chants et compositions instrumentales, les ressuscite et les interprète avec ses chanteurs et ses instrumentistes pour le public contemporain. Il a déployé aussi des efforts considérables pour la résurrection des vieux chants de Noël et de la musique de la Nativité. Avec son ensemble il a enregistré toute une série de disques de vieux cantiques qu’il a rajeunis par une instrumentation très stylée et une interprétation pleine de tempérament et d’humour dont un vieux chant tiré du cantionnaire de Jistebnice de la moitié du XVe siècle.
C’était donc un voyage dans le passé avec la musique de l’ensemble Musica Bohemica de Jaroslav Krček qui nous a emmenés loin dans le temps : aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, dans la Bohême ensevelie par la neige, où Noël était encore une fête de la joie mais aussi un temps magique. Que cette magie reste avec vous et que Noël vous apporte santé, calme, bonheur… et poésie.