La présidentielle française vue par une journaliste tchèque
Kateřina Etrychová travaille depuis plusieurs années pour ČT24, la chaîne d’information en continu de la Télévision publique tchèque. Parfaitement francophone, elle suit avec passion la campagne de l’élection présidentielle française, dont le premier tour se déroule dimanche prochain. Quel est l’intérêt des Tchèques pour ce scrutin très ouvert ? La mobilisation des Français installés en Tchéquie ? Son impression sur cette élection ? Kateřina Etrychová a répondu à nos questions.
Une campagne suivie par les Tchèques
« C’est vraiment une campagne exceptionnelle parce que généralement, il y a des candidats de droite, les Républicains, et des candidats de gauche, les socialistes. Cette année, c’est tout à fait différent, nous observons des phénomènes comme Emmanuel Macron. Il est un ex-socialiste, mais il est aussi très jeune… Jusqu’alors, certaines personnes disaient : ‘Valéry Giscard d’Estaing était notre plus jeune président, il était super jeune’. Mais il avait 48 ans ! Alors que maintenant, Emmanuel Macron a 39 ans, ce qui était auparavant inimaginable pour la France. Et puis Marine Le Pen est très forte… Elle est maintenant à la première place selon certains sondages. Donc il est vraiment intéressant de suivre les résultats des élections. »Qu’est-ce qui intéresse les Tchèques, les téléspectateurs Tchèques avec lesquels vous êtes en contact ? Quelles sont les questions qu’ils posent ?
« La question qu’ils posent le plus souvent est : ‘Qui va gagner ?’. Mais je réponds toujours de la même manière, je ne sais pas du tout. Chaque jour, il est encore plus difficile de répondre car personne n’en sait rien, les sondages évoluent quotidiennement. Nous voyons bien que les résultats des candidats dans les études d’opinion sont de plus en plus serrés, donc il est vraiment de plus en plus difficile de dire qui va gagner. Les Tchèques sont aussi très intéressés par le phénomène Marine Le Pen. Cela est peut-être dû au fait qu’elle a été la seule candidate à se rendre en Tchéquie (en mai 2015, ndlr)… »
De façon générale, diriez-vous que les Tchèques sont intéressés par cette campagne ou pensez-vous que c’est un public spécifique qui s’intéresse à cette élection ?
« En général, ils sont intéressés par cette élection car elle est très importante, elle peut changer l’image de l’Europe. Par exemple, si Marine Le Pen gagne, elle peut changer beaucoup de choses. Le ‘Frexit’ pourrait survenir, et elle peut vraiment changer l’image de l’Europe, donc cela touche aussi les Tchèques. Même si bien sûr, pour les Tchèques, l’importance est moindre que pour les élections présidentielles tchèques. »Quels sont les impacts possibles de cette élection sur la République tchèque et sur l’Europe ? Quelles peuvent être les conséquences de l’élection de tel ou tel candidat pour la République tchèque ?
« Cela dépend vraiment. Par exemple, si Emmanuel Macron gagne, je pense que rien ne changera vraiment. L’image de la France restera identique, donc de mon point de vue, cela n’aura pas un grand impact. Mais si Marine Le Pen gagne, cela peut changer beaucoup de choses, car même ici, certains Tchèques ont les mêmes idées que le Front national. »
Entre affaires et nouveaux mouvements politiques, la drôle de campagne
Vous suivez cette élection, vous avez aussi suivi les débats entre les candidats, des débats comme on a pu en voir en République tchèque, notamment lors de la dernière élection présidentielle en 2013. Qu’avez-vous pensé des débats entre les candidats organisés en France ?
« Cela dépend. Il y a eu des débats pendant les primaires, et maintenant il y a le ‘grand débat’. Les débats des primaires étaient un peu particuliers, parce que c’est tout à fait nouveau en France. La France n’organisait pas de tels débats auparavant. De mon point de vue, et aussi selon beaucoup de Français, c’était un peu ennuyeux. Parce que lorsque des candidats du même parti ou du même spectre politique débattent, qu’ils soient de gauche ou de droite, ce n’est pas vraiment une bataille, donc il est un peu compliqué de suivre ces débats pendant plusieurs heures, ce n’est pas très intéressant. D’un autre côté, c’était très professionnel. Les hommes politiques, les candidats, étaient très professionnels, tout comme les journalistes.
Je pense que les débats en France sont très bien organisés. J’aime beaucoup le fait que plusieurs médias organisent un débat ensemble parce que cela permet de voir plus des journalistes très compétents ensemble sur un plateau, alors qu’au quotidien, ils sont en concurrence. Lors du grand débat, j’ai beaucoup aimé Ruth Elkrief et Laurence Ferrari… C’était quelque chose ! Le grand débat était plus vivant, car les candidats étaient vraiment différents. Puis pour le dernier débat, les petits candidats étaient aussi présents, ce qui était très intéressant. »
Les affaires secouent la campagne en France. Deux candidats sont concernés par des affaires : François Fillon et Marine Le Pen. Comment voyez-vous cette situation ? Comprenez-vous que François Fillon ait continué sa campagne malgré sa mise en examen ?
« C’est une très bonne question. L’affaire François Fillon, c’est quelque chose que l’on a déjà vu avec Dominique Strauss-Khan, ce n’est pas la première affaire qui touche un candidat. Les cas Fillon et Strauss-Kahn sont tout à fait différents… mais quand même. A propos de François Fillon, ce qui m’intéresse beaucoup, c’est de savoir qui a déclenché cette affaire. Je pense que François Fillon s’intéresse aussi beaucoup à cette question. Pour moi le problème, c’est qu’il a dit que s’il était mis en examen, il abandonnerait sa candidature, ce qu’il n’a pas fait. Mais il y a aussi d’autres promesses non tenues : il a dit qu’il allait annoncer le nom de son premier ministre, mais il ne l’a pas fait. J’ai parlé avec les Républicains basés à Prague, et j’ai été étonnée, car j’ai l’impression qu’ils ne sont pas touchés par tout cela. J’ai aussi l’impression qu’il y a beaucoup de Français qui sont des Républicains ‘de cœur’, donc finalement, ils vont voter François Fillon car ils sont Républicains, même s’ils ne l’aiment pas. C’est peut-être la raison. A propos de Marine Le Pen, je pense que c’est une autre histoire, car les affaires qui la touchent sont liées à l’Union européenne, et les électeurs de Marine Le Pen sont contre ce système, donc si Marine Le Pen décide de toucher ce système… »Mais ce sont tout de même les impôts des contribuables européens, dont les contribuables français. Et Marine Le Pen est aussi touchée par une affaire de financement de son micro-parti, donc il y a aussi des affaires en France…
« Oui bien sûr, il y a plusieurs affaires. Mais j’ai l’impression que généralement, les électeurs de Marine Le Pen sont spécifiques, et sont sûrs de leur choix. Un soutien de Marine Le Pen m’a dit : ‘Nous sommes avec Marine, et nous savons pour qui voter’. »
Nous avons parlé de Marine Le Pen et de François Fillon. Il y a deux candidats qui font campagne hors des partis, qui ont créé leur mouvement pour cette campagne. C’est Emmanuel Macron avec En Marche ! et Jean-Luc Mélenchon avec les Insoumis. Comment voyez-vous ces deux candidats ?
« Emmanuel Macron, c’est vraiment un phénomène. Premièrement, il y a sa jeunesse, critiquée par certains mais d’un autre côté, beaucoup de jeunes le suivent parce qu’il est jeune. Ils ont l’impression que, peut-être, il comprend beaucoup mieux les problèmes de la jeunesse. Par ailleurs, c’est un ancien socialiste et il est difficile pour lui de dire aux gens qu’il va tout changer. Il a déjà eu cette opportunité parce qu’il était au gouvernement, il était le ministre de l’Economie. C’est vraiment difficile pour lui. D’un autre côté, il a le soutien même de socialistes. Il y a beaucoup de gens qui le suivent et ils n’ont pas vraiment de problème avec cela. Je pense que ce qui intéresse aussi les Français, de plus en plus, c’est sa vie privée.En ce qui concerne Jean-Luc Mélenchon, en République tchèque, je pense qu’on a vraiment commencé à suivre ce candidat avec son hologramme, utilisé lors d’un meeting. C’était une très bonne idée parce qu’au moment où il a fait cela, il y avait des meetings de Marine le Pen et d’Emmanuel Macron. Or généralement tout le monde suit ces deux-là et avec cet hologramme, il a vraiment capté l’attention. Il y a beaucoup de gens qui ont commencé à le suivre ici. En France, c’est assez différent. Il est également assez spécifique, c’est un phénomène un peu comme Macron parce qu’il a aussi été socialiste pendant des dizaines d’années. Peut-être qu’il est une alternative pour les personnes de gauche qui n’aiment pas Macron. »
Et puis il y a d’autres alternatives, à savoir les « petits candidats ». Quelle impression vous font-ils, les François Asselineau, Philippe Poutou, Nathalie Arthaud ou bien Jacques Cheminade ?
« C’est absolument remarquable ! Mais j’ai beaucoup aimé le débat où il y avait vraiment les onze candidats parce qu’ils ont un peu modifié l’image des candidats connus. Par exemple à côté d’Asselineau ou de Cheminade, Le Pen n’apparaissait pas extrême ou radicale. Même chose pour la gauche, avec Philippe Poutou et Nathalie Arthaud, Benoit Hamon est presque de droite ! Même s’ils n’ont pas vraiment de chance de gagner la présidentielle, c’est peut-être quelque chose qui fait de ces élections un peu un show ! »Faire campagne en Tchéquie
Ici en République tchèque, vous avez rencontré des soutiens des différents candidats. Comment vivent-ils la campagne depuis la République tchèque ?
« Je pense qu’ils sont très actifs ici et je prévois un reportage sur ce sujet. Il y a des représentants de plusieurs partis et ils organisent des débats, des rencontres. Il n’y en a pas beaucoup mais certains distribuent quand même les tracts des candidats. Et je pense que quelques-uns sont vraiment en contact régulier avec Paris. Disons qu’ils sont très convaincus. Personnellement, je n’ai jamais vu quelque chose comme cela avec des Tchèques à l’étranger. Donc c’est vraiment très intéressant. »
Cette année est aussi marquée par des élections en République tchèque. Il y a des législatives à l’automne. En janvier prochain, il y aura la présidentielle. Voyez-vous des parallèles avec l’élection française, qui sera suivie des législatives, et les élections à venir en République tchèque ? Ou bien voyez-vous deux mondes politiques très différents ?
« Pour moi, ce sont vraiment des mondes politiques assez différents. Déjà, pour avoir parlé à des hommes politiques français, je pense qu’ils sont beaucoup plus professionnels. C’est aussi lié au fait que la tradition de ces politiques professionnels est beaucoup plus ancienne en France qu’en République tchèque. Il y a toujours de grandes différences et j’ai l’impression que le monde politique tchèque a beaucoup de choses à apprendre, non seulement en France, mais aussi ailleurs. En plus, les hommes politiques français, et c’est aussi important, sont souvent des énarques, ils ont étudié dans des grandes écoles, ils savent comment parler, ils savent très bien comment se présenter. Ce que j’adore en tant que journaliste, c’est qu’ils savent comment parler avec les journalistes. Quand on pose une question, on obtient la réponse et c’est super. »