La presse tchèque, l'une des plus libres du monde selon Reporters sans frontières

Reporters sans frontières a publié la semaine dernière son cinquième classement mondial de la liberté de la presse. La République tchèque, qui en 2002 pointait à la 41e place de ce classement, se classe cette année en cinquième position, juste derrière la Finlande, l'Irlande, l'Islande et les Pays-Bas, premiers ex-aequo sur un total de 168 pays pris en compte.

Selon Reporters sans frontières, « ce classement permet de mesurer l'état de la liberté de la presse dans le monde. Il reflète le degré de liberté dont bénéficient les journalistes et les médias de chaque pays et les moyens mis en oeuvre par les Etats pour respecter et faire respecter cette liberté. »

Dans le tableau final, une note et une position sont attribuées à chaque pays. Ces deux éléments sont des indicateurs complémentaires permettant d'apprécier l'état de la liberté de la presse dans un pays. Selon l'organisation basée à Paris, « c'est une photographie de la situation à une période donnée ».

Alors est-ce une photographie réaliste ? L'excellent classement de la République tchèque, devant la Suisse et la Suède notamment, correspond-elle à la réalité ? Ecoutons l'opinion d'Eric Best, un journaliste américain installé depuis de nombreuses années à Prague :

« La place de la République tchèque dans ce classement est quelque peu surprenante, surtout quand on a entendu ces derniers jours que l'ancien Premier ministre voulait poursuivre en justice la chaîne de télévision Nova et qu'une commission d'enquête allait être créée concernant la fuite de certaines informations. Mais d'un autre côté, je pense que tout cela était lié aux campagnes électorales et qu'après ces élections cela va devenir plus rare. Je pense que la situation des journalistes tchèques est vraiment bonne. »

Pour certains journalistes tchèques, l'excellente cinquième place attribuée à la République tchèque est à ce point surprenante qu'elle ne peut correspondre à la réalité et qu'il faut se pencher sur la méthodologie utilisée pour établir ce classement mondial de la liberté de la presse.

Afin d'établir ce classement, Reporters sans frontières a réalisé un questionnaire reprenant les principaux critères - 50 au total - permettant d'évaluer la situation de la liberté de la presse dans un pays donné. Ce questionnaire recense l'ensemble des atteintes directes contre des journalistes ou contre des médias (censures, saisies, perquisitions, pressions, etc.). Il note également le degré d'impunité dont bénéficient les auteurs de ces violations de la liberté de la presse. Ce questionnaire a été adressé aux organisations partenaires de Reporters sans frontières, à son réseau de 130 correspondants, à des journalistes, des chercheurs, des juristes ou des militants des droits de l'homme. Pour Jakub Patocka, rédacteur en chef de l'hebdomadaire culturel Literarni noviny, la méthode n'est peut-être pas la mieux adaptée à un pays comme la République tchèque :

« Je dirais que cela correspond aussi à une mesure du conformisme des journalistes et du conformisme de ce genre d'organisations. Je vois un grand problème dans le fait que les journalistes ne sont pas capables de porter un jugement sur leur environnement, alors que cet environnement ne correspond pas à ce dont ont besoin les journalistes pour faire leur travail. L'impression générale que donne la presse tchèque est très condamnable ; les médias tchèques participent de facto aux campagnes de propagande organisées par de puissants sujets économiques, ce qui n'a rien à voir avec la liberté de parole. Je dirais que chez nous, celui qui a de l'argent a une grande liberté de parole, celui qui n'a pas d'argent n'en a pratiquement pas. »

Marius Dragomir est expert en questions médiatiques pour le magazine Czech Business Weekly. Selon lui, il est plus important de regarder vers le bas de ce classement établi par RSF que vers le haut :

« Cet index de la presse dans le monde est plus à même de désigner les mauvais exemples. Si vous vous penchez sur la méthodologie employée ou sur les questions posées pour établir le classement final, cela est davantage fait pour identifier les pays qui ont de réels problèmes avec la liberté des médias. Je dirais donc que c'est un classement utile pour recenser les attaques les plus dures contre la liberté de la presse. »

Et les pays dans lesquels ces attaques ont été les plus dures cette année sont la Corée du Nord, dernière de ce classement, le Turkménistan, l'Erythrée, et Cuba. Si la liberté de la presse tchèque est sans aucune comparaison possible avec la presse dans ces régimes totalitaires ou quasi-totalitaires, la presse tchèque est-elle réellement plus libre que la presse américaine, allemande ou française ? Janek Kroupa est reporter pour la chaîne de télévision privée Nova :

Janek Kroupa
« La question clé est de savoir pourquoi nous sommes si bien placés dans ce classement. Est-ce parce que nous sommes réellement une démocratie de style occidentale libre et accomplie ou bien est-ce parce que ceux à propos de qui nous écrivons ou filmons sont tellement sans scrupules qu'ils savent que, de toutes façons, rien ne peut leur arriver et qu'ils n'exercent en conséquence pas de pression. Il y a toujours une certaine pression, mais en revanche je n'ai pas encore rencontré de cas dans lequel cette pression aurait été exercée jusqu'au bout. Donc c'est vrai que nous arrivons à résister en quelque sorte à cette pression. »

Dans ce classement, la République tchèque se place devant tous les autres pays post-communistes. A titre de comparaison, la Pologne et la Roumanie pointent à la 58e position. Pourtant, selon Marius Dragomir, lui-même journaliste roumain installé en République tchèque, la différence entre les pays de la région est loin d'être aussi flagrante :

« Je ne vois pas une énorme différence entre la République tchèque et d'autres anciens pays communistes. Tous ont dû faire face ces dernières années aux mêmes problèmes, aux mêmes tentatives d'entrave à la liberté de la presse. La plupart d'entre eux ont fait de gros progrès dans ce domaine. Mais je ne dirais pas que la République tchèque est beaucoup plus avancée que d'autres pays post-communistes. »

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