La République tchèque bien placée dans la mise en place des politiques de développement local
L’introduction d’un nouveau modèle de développement local en Europe centrale et en République tchèque, c’est le thème de la rubrique économique de cette semaine, avec Pascal Chevalier, géographe et maître de conférence à l’Université de Montpellier.
Pascal Chevalier, vous êtes maître de conférence à l’Université de Montpellier. Vous êtes à Prague pendant quelques jours pour travailler sur un projet collectif qui s’intéresse au développement local en Europe centrale…
« Ce projet de recherche, financé dans le cadre de l’agence nationale de la recherche en France, a pour objectif de regarder la façon dont le développement local – cette nouvelle façon de penser le développement des campagnes – est en train de se mettre en place en Europe centrale, et particulièrement en République tchèque, en Pologne, en Hongrie, en Lituanie, et dans les anciens Länder d’Allemagne. L’objectif de ce programme est double : d’une part, voir comment aujourd’hui, d’un point de vue institutionnel, au niveau des collectivités locales, se mettent en place ces nouvelles procédures de développement local, c’est-à-dire comment aujourd’hui, après le retour à l’autonomie financière et de gestion des communes, elles se saisissent d’un nouvel outil, qui permet de monter des projets. Et le deuxième objectif est justement de voir quels sont ces nouveaux projets aujourd’hui qui émergent de ces territoires locaux, qui sont portés par les élus, portés par les entreprises ou les associations locales, et de voir si finalement, elles constituent en soi, un élément explicatif d’un renouveau des campagnes qui commence à s’amorcer en Europe centrale. »
Vous travaillez sur une zone géographique où les pays étaient autrefois sous des régimes communistes et qui évoluaient selon un modèle étatique très centralisé et qui ont peu connu le développement par le local…
« Effectivement, la situation est complètement inédite dans ces pays puisque le développement rural de manière générale, qui n’était d’ailleurs que du développement agricole dans la période communiste, était géré par le haut. C’est-à-dire qu’on était véritablement dans une logique hyper-centralisée où les initiatives locales étaient complètement bafouées. C’est donc vraiment une originalité, un nouveau mode de gouvernance qui se met en place sur le modèle de ce qui s’est déjà mis en place il y a une vingtaine d’années en Europe occidentale. »
En République tchèque, quels types de projets voyez-vous émerger ?
« En République tchèque, qui est dans le cas de ces pays d’Europe centrale peut-être celui qui est le plus avancé dans la mise en place des politiques de développement local, on voit finalement fleurir une multitude d’initiatives, allant aussi bien de projets de développement touristique, qui ont été en général les premiers projets qui ont été portés par les initiatives de développement local – on pourrait faire référence à des projets de la route des vins par exemple en Moravie, des projets de pistes cyclables et pédestres dans le massif de Sumava, des initiatives plutôt de type agro-touristiques, toujours en Sumava. On est donc quand même encore sur une initiative qui est initiative très touristique mais on commence aussi à voir fleurir, notamment dans les régions des Sudètes, dans les monts métallifères, des petits projets autour du renouveau des traditions locales. Que ce soit sur le folklore de manière générale, et que ce soit aussi sur les activités traditionnelles comme la porcelaine ou la cristallerie, qui commencent à rentrer aussi dans ces démarches de petite unité portées par des initiatives de développement local. »Vous dites qu’il y a beaucoup de disparités, et que parmi les différents pays étudiés, la République tchèque est bien avancée. Mais comment s’expliquent ces disparités ?
« Ces disparités s’expliquent de deux manières. La première, c’est la façon dont les Etats laissent la liberté aux collectivités locales et au local de s’organiser. En République tchèque effectivement, il y a un fort degré de liberté et une incitation de l’Etat à ce que les collectivités montent elles-mêmes les projets dans un degré de liberté que je dirais très large. Alors que dans d’autres pays, c’est notamment le cas en Hongrie, on est sur un modèle qui est très encadré institutionnellement et administrativement, ce qui le rend beaucoup plus lourd. Et les contrôles du système central sur le développement local sont extrêmement contraignants. Et ça inhibe un peu les possibilités de développement.Le deuxième point, c’est ce qu’on appelle le capital social, c’est-à-dire la façon dont les territoires foisonnent d’initiatives endogènes – d’associations, d’entreprises etc. Et là, tous les territoires ne sont pas égaux, ils ont tous une histoire, des héritages différents. Ce qui fait que dans des territoires où il y a une forte identité, où il y a beaucoup d’associations, et des forces vives, on a tendance à avoir beaucoup plus de projets. Mais dans des territoires par exemple en Lituanie qui ont été complètement réorganisés sous l’époque soviétique où on a regroupe les habitants, où on a créé des sociétés totalement artificielles sans véritable lien social, le tissu entrepreunarial ou associatif reste tellement faible que les initiatives locales ont du mal à démarrer. »
Ces programmes de soutien au développement local sont-ils financés par l’Union européenne ?
« Ils sont en partie financés par l’Union européenne dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), et pour être exact, du deuxième pilier de la PAC. Ce sont des projets qui en général sur 50% sont financés par l’Union européenne, les autres 50% étant financés par les Etats membres. Mais par contre il est vrai qu’ils s’inscrivent dans une véritable logique d’européanisation de la politique de développement rural qui impulse aujourd’hui, plus que tout, cette dimension du local. »Une des particularités de ce nouveau modèle de soutien au développement local est cette volonté de développement « par le bas »…
« Le développement local, tel qu’il est conçu et pensé par l’UE a bien sûr pour vocation de développer les campagnes, d’un point de vue économique, social, culturel etc. Mais je dirais qu’avant tout, une des missions du développement local est de lancer une méthodologie de travail en commun au niveau des territoires. Bien sûr, la plus-value économique est importante dans l’ensemble des projets, bien sûr la plus-value sociale est importante, mais ce qui compte avant tout, c’est de permettre à des territoires de se reconstruire et de pouvoir aider à ce que les acteurs commencent à travailler ensemble dans le cadre d’une véritable démocratie participative. C’est un peu la base du développement local bien avant le développement de type économique. »
Pour terminer, revenons sur votre programme de recherche. C’est une recherche qui est menée sur quatre ans. Vous en êtes à la moitié de la recherche. Quels sont les résultats que vous imaginez obtenir à la fin de ce travail ?
« On est à la fois sur un travail qui est un travail à l’échelle globale de l’ensemble de nos cinq pays et à la fois un travail au niveau local puisqu’on travaille pas mal par enquêtes au niveau d’une dizaine de groupements d’action locaux (GAL), qui portent les projets LEADER. A terme, ce que nous souhaiterions, c’est de pouvoir arriver à comparer les différentes mises en œuvre des programmes LEADER et, pourquoi pas, établir une typologie de l’organisation du développement local. On commence à le voir aujourd’hui : entre des GAL lituaniens ou des GAL tchèques ou hongrois, on a à la fois des éléments comparables, mais on a aussi des trajectoires de recomposition du développement local qui sont extrêmement différenciés. Et donc à terme, ce qu’on aimerait pouvoir voir, c’est quels sont ces modèles qui se mettent en place et le rapport qu’ont ces modèles au territoire dans lequel ils s’appliquent. »