La satire politique tchèque : minimaliste et populaire
Une satire a pour objectif non seulement de se moquer mais aussi de provoquer un changement de la situation de laquelle elle se moque. La satire politique se trouve ainsi à la frontière entre l’art et un appel à l’action politique ou citoyenne. Depuis dix ans, ce genre théâtral minimaliste se développe en République tchèque surtout en réponse aux différentes affaires de corruption. A chaque fois, le succès est garanti d’avance. Est-ce une expression du cynisme de la nation du bon soldat Švejk ou bien un signe de la sensibilité citoyenne ?
« Vous avez vu la reconstruction de l’affaire Opencard. Il y avait un fonctionnaire de la mairie qui était censé de signer le contrat, mais comme on a vu, c’était en réalité le maire Pavel Bém qui l’a signé. Et le fonctionnaire qui a alerté la police a fini par être arrêté et condamné. En réalité, c’est exactement comme ça que tout cela s’est passé. »
Les auteurs de ce happening ont déjà organisé plusieurs manifestations au sujet de l’affaire Opencard et leurs activités à cet égard s’intensifient car la date de prescription des crimes s’approche. Après septembre 2016, plus personne ne pourrait être accusée dans le cadre de ce dossier. Tereza Kněžourková explique pourquoi la mise en scène en forme d’une courte satire politique a été choisie :
« Il y a deux raisons pour cela. Nous avons choisi une forme visuelle qui est très proche aux médias. Les journalistes peuvent prendre des photos et c’est très efficace car si vous voyez Monsieur le maire qui signe le contrat pour Opencard à la place d’un fonctionnaire, vous voyez tout de suite où est le problème sans devoir l’expliquer longuement. »
La satire sur l’affaire Opencard, préparée pendant trois jours a donc eu sa première et en même temps sa dernière performance dans les rues de Prague. L’attention qui lui était dédiée dans les médias se base néanmoins sur une tradition de farce politique très populaire en République tchèque.
Le symbole des satires, c’est une lecture scénique de l’acteur Petr Čtvrtníček qui réagissait à la publication des écoutes policières des deux personnages centraux d’un scandale de corruption au sein du football tchèque. La pièce reprend les dialogues téléphoniques entre Milan Brabec, ex-vice-président de la Fédération tchèque de football, et Ivan Horník, ex-manager du club de Viktoria Žižkov. Les acteurs Jiří Lábus et Petr Čtvrtníček ont fait le tour du pays avec ce spectacle s’intitulant « Ivánku kamaráde můžeš mluvit ? » ou approximativement « Ivan mon pote tu peux parler ? ». La lecture scénique a été si populaire qu’une version avec traduction simultanée en français a même été publiée.
Quand en 2011 un autre groupe d’acteurs annonçait une satire politique au sujet d’une affaire impliquant la député du parti Affaires publiques, Kristýna Kočí, la parallèle a vite été faite et les gens se réjouissaient de voir un spectacle « Ivan mon pote » numéro 2. Avant d’évoquer ce projet avec la protagoniste principale, l’actrice Barbora Poláková, écoutons un extrait de la chanson qui clôture la pièce dénommée « La Bête féroce blonde » :« Je suis innocente, je suis innocente… » Ce sont les paroles de cette chanson qui résument l’idée principale du spectacle. En effet, en 2011, un membre du parti Affaires publiques, à l’époque parti membre de la coalition gouvernementale, a enregistré sa rencontre avec la jeune député Kristýna Kočí. Dans cette rencontre, la femme politique affirmait ses plans de fonder un nouveau parti et dévoilait les dynamiques cachées de la scène politique ainsi que ses rapports intimes avec certains de ses représentants à l’époque. Barbora Poláková explique l’origine de l’idée d’en faire un spectacle :
« L’idée est venue du metteur en scène et acteur Ondřej Pavelka suite à la parution dans les journaux des retranscriptions d’une réunion entre Kristýna Kočí et deux autres membres du parti Affaires publiques. Ondřej Pavelka a apporté le texte à notre répétition d’un spectacle, « Miel » (Med), qui se joue encore au « A Studio Rubín ». A la base, l’objectif n’était pas de créer un spectacle pour le public ordinaire. Au contraire, c’était un jeudi et nous avons décidé de faire une blague pour nos amis le dimanche. »
Mais en très peu de temps, leur aventure a gagné la popularité nationale et Barbora Polívková explique pourquoi :
« Nous n’avons pas joué beaucoup de reprises, au maximum six. La popularité que cette lecture scénique a gagnée découle de l’intérêt accru de la part des journalistes. Si dans l’A Studio Rubín, il y a quelques 65 places, lors de la première, il y avait 60 journalistes et plusieurs hommes politiques. Si au départ on voulait le faire pour des amis, il est clair qu’ils ne sont pas rentrés dans la salle ce jour-là, tellement elle était blindée. Mais nous avons joué la pièce seulement quand la thématique était d’actualité. Au bout d’un mois, il y avait tellement d’autres affaires que celle de Kristýna Kočí n’était plus à l’ordre du jour. »
Barbora Polívková remarque aussi que jouer la jeune député était une expérience professionnelle très particulière :
« Kristýna Kočí est venue une fois assister au spectacle et je me sentais très mal à l’aise. Imaginez que la personne dont vous vous moquez vous regarde en même temps. En plus c’était dans une salle pour 300 personnes, alors vous avez 300 personnes qui rigolent grâce à vous sur son compte. Même si j’avais ma propre opinion sur cette affaire, j’étais triste pour elle. Mais quand elle n’était pas présente, on rigolait bien. Ces écoutes étaient extrêmement drôles déjà sur papier. »
Après quelques reprises, le spectacle s’est arrêté, seulement pour reprendre un an plus tard, en 2012 sur une thématique similaire :« Pendant un an, nous n’avions pas eu de raison pour revenir à ce spectacle, mais à peu près un an plus tard, l’affaire du député social-démocrate David Rath a éclaté. Ainsi est venue l’inspiration pour le second épisode de la Bête féroce qui avait à nouveau peu de reprises, entre huit et dix. A nouveau, la logique était dictée par l’actualité. »
David Rath, accusé de corruption et de manipulation d’offres publiques, a été arrêté en mai 2012. Relâché en novembre 2013, après plus d’un an de détention préventive, son procès ne s’est toujours pas achevé. Les acteurs se sont concentrés cette fois-ci sur la reconstruction du moment de son arrestation. David Rath était en effet attrapé par la police tchèque en possession d’une boîte dans laquelle se trouvaient sept millions de couronnes (280 000 euros environ), de l’argent qui venait de lui être remis sous forme de pot-de-vin. Le député affirmait qu’il n’était pas au courant de la présence de l’argent dans son sac, il considérait qu’il y avait une bouteille du vin. Dans le spectacle, les acteurs ont ainsi engagé le magicien Roman Štabrňák, qui a dû prouver en session plénière de la Chambre des députés qu’il était possible de transformer le vin en argent.
Ces satires, jouées systématiquement à guichet fermé et ayant une longue vie sur les réseaux sociaux, sont donc très populaires. Mais leurs réalisateurs visent non seulement la moquerie, mais aussi un remède à la situation, nous écoutons Barbora Poláková :
« Nous aimons bien rigoler de ces choses-là, mais je crains que cela s’arrête un peu là. En tant qu’acteurs de cette satire, nous avions voulu attirer l’attention sur ces pratiques de corruption et des calculs politiques pour que quelque chose change, pour révolter les gens. Mais jusqu’à aujourd’hui je ne suis pas sûre si nous avions pu avoir une influence quelconque. »
Cela pose donc la question de l’efficacité d’un engagement des acteurs en faveur d’une cause, limitée peut-être par le caractère minimaliste de ces spectacles montés en quelques jours et performés une dizaine de fois seulement. En même temps leur caractère éphémère renforce encore leur message qui se rapporte fortement à l’actualité du jour.
Certains ont néanmoins voulu maintenir ces spectacles, notamment le réalisateur et acteur, Tomáš Svoboda. Au prix de les transformer en un divertissement des masses, Tomáš Svoboda a lancé en 2013 un cabaret politique qui se tient dans les grandes salles de théâtre et du cirque. Au cœur de la pièce qui s’intitule « Miloš Ubu presque roi » est le chef d’Etat Miloš Zeman apparenté au personnage principal d’Alfred Jarry, le père Ubu. En voici un petit extrait :
Cette scène fait référence à un épisode désormais notoire quand le chef d’Etat Miloš Zeman perd son équilibre au moment d’une cérémonie officielle. Les nombreux observateurs dénoncent qu’il était ivre à ce moment-là, ses assistants en revanche assurent que le président avait de la fièvre.Le journaliste tchèque Petr Fischer apprécie ce nouveau format du cabaret politique sous la direction de Tomáš Svoboda :
« Si nous connaissons la très célèbre pièce Roi Ubu jouée à Prague à Činoherní klub depuis des années, il est facile de se rendre compte que ce personnage caricatural ressemble pas mal au chef d’Etat tchèque. A mon avis, la pièce Miloš Ubu est la première tentative de transposer la politique tchèque dans un contexte artistique plus large. Jusqu’à lors nous avions vu des projets qui mettaient fidèlement en scène les événements réels. Le spectacle Miloš Ubu nous offre la possibilité de réfléchir de manière plus globale sur ce qui se déroule dans ce pays. »
A la fin du mois d’avril, le cabaret de Tomáš Svoboda a inauguré le second épisode de « Miloš Ubu » qui inclut plusieurs d’autres personnages. Le réalisateur explique les raisons d’être de cette nouvelle adaptation :
« Nous avons tenté de créer notre propre pièce de théâtre basée sur l’originel d’Alfred Jarry. Mais nous avions vite compris que le personnage du Roi Ubu, plus précisément donc de Miloš Zeman, cède la place sur la scène politique aux autres acteurs, comme Andrej Babiš, Tomio Okamura ou même Vladimir Poutine. Nous avons ainsi créé ce second épisode de Miloš Ubu afin de refléter ces évolutions. Et notre cabaret vise dans l’avenir à réagir à l’actualité politique. »
A voir donc où ce format populaire de la satire politique évoluera. Il est clair désormais qu’il a aussi ses adversaires qui opteront dans l’avenir pour les manifestations ponctuelles, plus éphémères mais aussi plus spontanées.