« La situation sanitaire est une opportunité pour améliorer nos relations sociales »
Une étude récente de l’Institut national pour la santé mentale a montré que la situation sanitaire du printemps en Tchéquie a fait tripler le nombre de personnes aux tendances à la dépression ou au suicide. Et selon une récente enquête de l’OMS menée dans 130 pays, la pandémie de COVID-19 a entraîné des perturbations ou une interruption des services de santé mentale essentiels dans 93 % des pays, alors que la demande de soins augmente. Si la demande de soins augmente, c’est que la pandémie et toutes ses conséquences sociales et économiques ont un impact sur le psychisme des populations. Comment gérer en son for intérieur le caractère anxiogène de la situation sanitaire actuelle ? Quelles peuvent être ses conséquences sur nos rapports sociaux ? Quelles méthodes utiliser afin d'alléger, au quotidien, le poids que représente l'incertitude de l'avenir que le coronavirus a imposé dans nos vies. De tout cela, nous avons parlé avec Monika Stehlíková, thérapeute de l'ACT (Thérapie d'acceptation et d'engagement) , pédagogue, spécialiste des enfants et des adultes doués, qui dans sa pratique thérapeutique, a recours à la méthode dite de la pleine conscience (mindfulness en anglais).
« Je pense que c'est une situation sans précédent. Cela fait des décennies que nous n'avons pas été confrontés à une telle situation. On est soudain privés de nos besoins fondamentaux, on est forcés à rester à la maison, seuls, quelque fois sans travail, et on vit dans une énorme incertitude. On ne sait pas de quoi sera fait le lendemain. Je pense qu'il faut réagir, que chacun doit prendre soin de soi actuellement. D'un côté, je suis une personne qui, depuis toujours, qui adore la liberté humaine. »
« Je pense qu'il y a quelques démarches que l'on peut faire dans cette situation. Premièrement, se faire une opinion sur la situation. Quelle est ma propre opinion ? Qu'est-ce que je pense vraiment ? Même si je suis seul(e) avec mon opinion et que les autres ne la partagent pas, quelle est mon attitude ? Je ne dois pas forcer les autres à penser la même chose, mais cela peut calmer les différentes contradictions dans le psychisme ? Qu'est-ce que je pense moi de cette situation ? »
« Deuxièmement, qu'est-ce que je peux faire activement sur la base de mon opinion ? Si je ne suis pas d'accord avec les restrictions, le lockdown, la fermeture des services et de la culture, que puis-je faire réellement ? J'imagine que la plupart des gens qui nous écoutent ne sont pas des politiciens... Donc, que faire en tant que citoyen, en tant qu'être humain ? Que puis-je faire dans mon champs de contrôle ? Et comment le faire paisiblement ? »
Ce qui s'avère difficile quand on se retrouve confronté au télétravail, à l'école à distance pour ceux qui ont des enfants... Comment trouver le temps de cette réflexion ? Comment plonger en soi pour déterminer comment on se sent dans cette situation ?
« Il faut se donner quelques minutes par jour, s'arrêter, réfléchir. Vous donnez des exemples liés à la charge de travail, mais pour beaucoup de personnes il y a plus de temps libre aussi. Dans ce temps libre aussi, au lieu d'être inefficace dans ses actions, au lieu de déployer son agressivité sur les sites Internet, on peut réfléchir sur les actions efficaces. Vous savez, je respecte les émotions négatives dans tout un chacun : elles font partie de notre humanité. La peur, la frustration, l'inquiétude, l'angoisse, l'agressivité. En tant que thérapeute, je respecte l'existence de ces émotions-là. Mais elles ne sont pas efficaces, si je veux changer quelque chose. »
« Il faut donc être actif là où est mon champ de contrôle. Et le reste, il faut l'accepter. Il faut travailler sur l'acceptation de ses émotions négatives parce qu'avant tout, cela me détruit moi, personnellement. La peur, l'angoisse, la frustration, la colère, ça se retourne contre moi, contre ma santé, car il y a une étroite liaison entre le corps et le psychisme. Ce que je ne peux pas changer autour de moi, alors que j'ai fait tout mon possible, je dois l'accepter, pour prendre soin de moi et de mes proches. Et là, on peut utiliser la méthode de la pleine conscience pour travailler sur ces émotions, pour les accepter. L'acceptation ne veut pas dire être d'accord ou être passif. L'acceptation signifie accepter ces émotions-là et les transcender. »
La colère et l'agressivité, c'est la partie émergée de l'iceberg. Il y a des émotions beaucoup plus profondes, intimes, qui peuvent mener non pas vers un débordement d'émotions vers l'extérieur – vous évoquiez l'agressivité sur les réseaux sociaux – mais il y a des personnes qui gardent tout cela en eux ce qui peut conduire à des troubles dépressifs, des pensées suicidaires. Cela ne se gère peut-être pas de la même façon...
« L'anxiété et la dépression sont un ensemble de sentiments que l'on peut gérer de la même façon, avant que cela ne devienne une maladie psychique bien sûr. On parle de prévention. Donc, avec la pleine conscience. Si vous êtes en pleine présence, chez vous, avec vos proches éventuellement, si vous vous faites un café, vous regardez autour de vous, vous sentez la vraie présence – je ne parle en aucun cas d'ésotérisme – si vous êtes vraiment dans le moment présent, il n'y a pas d'émotions négatives. Il n'y a pas cette situation désastreuse. Si vous quittez ce moment présent, ces émotions peuvent encore une fois vous coincer. Ce que je recommande à mes clients doués, c'est de s'épanouir, même dans le cadre de ces restrictions, de vivre en phase avec ses valeurs : la nature, la lecture, l'art, etc. Cela ne veut pas dire que j'appelle à une forme de passivité, à de l'ésotérisme. On parle d'une activité efficace. »
L’humain est un être social, or la pandémie a changé les rapports sociaux – limité les interactions, interdisant le contact physique même. Comment créer du lien avec les êtres chers lorsqu’il n’est pas possible de se prendre dans les bras, de s'embrasser – je pense notamment aux rapports petits-enfants/grands-parents puisque les seniors sont une catégorie à risque ?
« C'est très lourd à supporter pour ces personnes en effet. Il faut chercher d'autres moyens pour être en contact, en ligne par exemple, et conserver l'espoir que cela va vite passer, qu'on pourra être en contact physique avec les autres. Il faut se dire chaque moment de l'histoire a passé. La vie n'est jamais pareille. Il faut garder un fort espoir que c'est une situation passagère. »
C'est la différence entre temps court et le temps long de l'histoire...
« Voilà. Et même si on n'est pas d'accord avec les restrictions, essayons de faire de notre mieux dans ce cadre qui nous est imposé. En tant que thérapeute, j'y vois une grande opportunité pour améliorer les relations. Vous savez, pas mal de personnes avant le Covid-19 étaient par exemple dans des relations toxiques. Or maintenant, c'est rompu. Donc on est seuls. Les pervers narcissiques ne peuvent plus nous influencer car il y a une distance. Voyons aussi le côté positif. Bien sûr, cette situation est globalement négative. Mais il y a quand même de petits côtés positifs. Voyons tout cela. Si on est seul pour un certain temps, on peut ensuite être beaucoup plus reconnaissant de renouer les contacts, d'avoir des relations. On peut être davantage bienveillant envers autrui. On peut changer nos relations. Disons-le franchement : avant, les relations sociales étaient pleines de préjugés, de stéréotypes, d'illusions... Espérons que grâce à cette opportunité d'être seul, on peut changer nos relations, les rendre plus profondes et plus pleines de sens. »
Retrouvez Monika Stehlíková dans une de nos prochaines émissions pour évoquer son travail avec les adultes et enfants doués.