La station fantôme de Klárov, l’un des secrets les mieux gardés de la Tchécoslovaquie communiste

L'entrée de la station Klárov

Le métro de Prague a 50 ans ! Le 9 mai 1974, le premier tronçon était inauguré par le président tchécoslovaque Gustav Husák. À cette occasion, nous vous invitons à découvrir une station un peu particulière du réseau métropolitain de la capitale. Classée confidentielle pendant près de soixante ans, Klárov a été l’un des secrets les mieux gardés de l’ère communiste. Radio Prague Int. vous retrace l’histoire de cette station pas comme les autres, jamais ouverte au public.

« Příští stanice : Klárov ! » Vous empruntez fréquemment le métro et pourtant cette annonce ne vous dit rien ? C’est normal. Inutile de vérifier le plan du réseau de Prague, vous ne trouverez aucune trace de cette station. Et pour cause : bien qu’elle existe, elle n’a jamais été ouverte au public.

L’histoire de la station Klárov remonte aux années 1950. Klement Gottwald est alors à la tête de la Tchécoslovaquie pour quelques années encore et le monde se déchire progressivement en deux blocs antagonistes. À Prague, le projet de la construction d’un réseau ferré souterrain revient une énième fois sur la table. À cet effet, des experts sont missionnés pour se rendre à Budapest afin d’étudier la façon dont leurs confrères hongrois s’attellent à la construction d’une seconde ligne de métro. De retour dans la capitale tchécoslovaque, les ingénieurs tracent les plans des futures lignes.

Le plan des futures lignes du métro de Prague de l'année 1953 | Photo: Archives de DPP

Les travaux préparatoires avancent bon train quand, du jour au lendemain, le projet est finalement rangé au placard sur ordre du Kremlin. Si la nomenklatura soviétique salue l’idée de construire un métro à Prague, elle rappelle aussi aux dirigeants tchécoslovaques que la république satellite ferait mieux de s’atteler à résoudre les problèmes économiques auxquels elle est confrontée plutôt que d’entreprendre un chantier aussi dispendieux. Ainsi, à l’instar des projets antérieurs de la fin du XIXe siècle, de l’entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale, toutes les études préliminaires sont une nouvelle fois encore abandonnées et ajournées sine die… Toutes ? Non ! Une station échappe à la vigilance de Moscou. Cette station, c’est Klárov, et c’est dans le plus grand secret que le ministère de l’Intérieur tchécoslovaque ordonne la poursuite de sa construction.

Klárov alias K 111

Photo illustrative: FOTO:FORTEPAN / Szent-tamási Mihály,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Le chantier de la station Klárov débute en 1953. Le gouvernement profite de la construction concomitante du monument à Staline quelques centaines de mètres plus à l’est pour restreindre l’accès au quartier et dévier le tracé des lignes de tramway, évitant ainsi les regards indiscrets sur la nature du chantier alors en cours dans le secteur.

Personne ne doit être au courant de la construction de cette station. Le projet est classé top secret, le plus haut degré de confidentialité, et reçoit le nom de code obscur de « Bâtiment K 111 ». Sa construction sera achevée quelques années plus tard, en 1957 ou 1959 selon les sources.

La construction de la station Klárov | Photo: Archives de DPP

Une station, un abri, ou les deux ?

La station Klárov | Photo: Pavel Fojtík,  DPP

Encore aujourd’hui, la fonction originelle du « Bâtiment K 111 » revêt une part d’ombre. Le souterrain de Klárov avait-il vocation à être une station de métro ? Un abri antiaérien ? Ou les deux à la fois ? Pour Martin Karlík, guide du métro de Prague, la dernière hypothèse doit être privilégiée :

« Dans les années 1950, les autorités ont commencé à réfléchir en secret à la construction d’abris antiaériens. La guerre froide battait son plein, la situation géopolitique se dégradait. Les stations de métro auraient ainsi permis à la population de s’y réfugier en cas de guerre. Cependant, il n’y avait pas suffisamment d’argent dans les caisses de l’État pour construire un réseau de métro complet avec des stations et des tunnels. Il a donc été convenu que la priorité serait donnée à la construction des stations qui pourraient servir d’abris. Les tunnels seraient creusés dans un second temps, une fois les fonds nécessaires disponibles. Les autorités ont donc commencé par construire un premier abri, juste en face de l’Académie Straka où siège le gouvernement. La station Klárov était censée être un abri pour ce dernier et c’est pour cette raison que le projet a longtemps été tenu secret. »

L'Académie Straka et la villa Kramář | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

De fait, la station Klárov se situe à un emplacement stratégique, à l’intersection de l’actuel quai Edvard Beneš et de la rue U Bruských kasáren, en contrebas, donc, de la villa Kramář où réside désormais le Premier ministre et en face de l’Académie Straka. La construction d’une station de métro dans cet endroit en retrait et peu fréquenté de la ville accrédite la thèse selon laquelle le projet avait avant tout pour vocation, ne serait-ce que dans un premier temps, à servir d’abri aux hauts dignitaires du Parti.

L'Académie Straka | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

En 2002, les premières spéculations…

La station Malostranská | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

Dans les années 1960, le projet de construction d’un réseau ferré souterrain à Prague refait à nouveau surface. Le 9 mai 1974, le premier tronçon de la ligne C entre Sokolovská (aujourd’hui Florenc) et Kačerov est inauguré en grande pompe. Suivront le premier segment de la ligne A quatre ans plus tard, puis la ligne B en 1985. La station Klárov ne sera finalement jamais desservie par le métro. Pour des raisons à la fois techniques et financières, il est en effet décidé que la ligne A s’arrêtera dans le quartier quelques centaines de mètres plus à l’ouest, à Malostranská.

L'entrée de la station Klárov | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.

Le secret de la station Klárov aurait pu être préservé encore de longues années si la crue historique de la Vltava en 2002 n’avait pas semé le doute dans les esprits. Cette année-là, la montée des eaux de la rivière atteint des niveaux records. Des quartiers entiers se retrouvent inondés et pas moins de seize stations de métro sont complètement submergées. Les dégâts sont considérables. Plusieurs mois sont nécessaires pour évacuer l’eau, nettoyer les stations et enfin rétablir le service sur les différentes lignes.

C’est dans ce contexte que de fins observateurs remarquent que les volumes d’eau pompés dans le quartier de Malá Strana sont anormalement supérieurs à ce qu’ils devraient être. Il n’en faut pas davantage pour attiser les rumeurs sur l’existence de passages souterrains à Prague méconnus du grand public. Ce n’est toutefois que dix ans plus tard que le voile sera définitivement levé sur la station Klárov. Le dossier du « Bâtiment K 111 » est déclassifié et les Pragois découvrent enfin la vérité sur cette station secrète, construite dans les années 1950 et jamais ouverte au public.

La station Klárov | Photo: Pavel Fojtík,  DPP

Un accès encore fortement limité

De nos jours, l’entrée de la station Klárov, en face du siège du gouvernement, reste encore sous haute surveillance. Les caméras quadrillent les lieux et les policiers, qui montent la garde à l’Académie Straka voisine, continuent de scruter du coin de l’œil les curieux qui s’approcheraient un peu trop près de l’entrée du souterrain.

L'entrée de la station Klárov  (à gauche) et l'Académie Straka  (à droite) | Photo: Paul-Henri Perrain,  Radio Prague Int.
La station Klárov | Photo: Robert Mara,  DPP

Contactée par nos équipes pour savoir si une visite de la station était possible, la Société des transports de Prague (DPP), responsable des lieux depuis les années 1970, a répondu par la négative, invoquant des « raisons de sécurité ». L’espace sert actuellement de centre technique à l’entreprise publique pour gérer à distance le réseau du métro de la capitale tchèque. Il y a quelques années, néanmoins, la société a autorisé la diffusion de rares images de l’intérieur de la station, suffisantes pour se faire une idée de l’envers du décor. Derrière les portes massives se trouvent en réalité un escalier métallique en pente raide et un monte-charge.

La station, à proprement parler, se situe à environ cinquante mètres de profondeur. Plusieurs salles y ont été aménagées, mais seuls les tunnels semblables à ceux d’un métro en construction, sans rail ni aucun débouché, rappellent la fonction qu’aurait pu avoir cette station finalement restée secrète.

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