La styliste Kateřina Geislerová : « Les Tchèques disent que l’habit fait l’homme, mais c’est faux »
Kateřina Geislerová est styliste et créatrice de mode tchèque installée depuis bientôt vingt ans à Paris. Nous l’avons récemment rencontrée à Prague, où elle est venue présenter sa nouvelle collection de prêt-à-porter printemps-été 2012, une collection très féminine et élégante, inspirée du style d’Audrey Hepburn. Dans de ce nouveau numéro des Tchèques célèbres et moins célèbres, Kateřina Geislerová évoque, certes, la mode telle qu’elle l’aime et qu’elle la propose aux femmes françaises et tchèques, mais également ses débuts de styliste en France ou encore Prague qu’elle trouve plus dynamique que Paris…
« Ma boutique se trouve toujours à la même adresse. A l’époque, je venais juste de lancer mes premières collections de prêt-à-porter, alors qu’avant, j’avais surtout créé des pièces uniques, des séries limitées. C’était plus un travail… non pas de haute couture, mais de couture. Le prêt-à-porter, c’est un autre monde, une autre façon de penser le vêtement. Les concepts sont complètement différents, le rythme du travail aussi, car les collections sont présentées deux fois par an. Ce qui a également changé, c’est que grâce à ces collections de prêt-à-porter qui sont fabriquées à Prague, je reviens beaucoup plus souvent en République tchèque. »
Qui sont vos clientes en France ?
« Etonnamment, il n’y a pas d’âge pour mes clientes. La femme qui s’habille chez moi aime des vêtements originaux, l’élégance, mais pas exagérée, plutôt nonchalante, ainsi que des éléments qui peuvent surprendre. Je tiens à ce que mes pièces aient toujours un détail un peu étonnant, inhabituel. J’ai remarqué que les femmes tchèques n’aimaient pas cet aspect-là. Elles n’aiment pas trop être le centre de l’attention. C’est dommage. Je pense qu’elles devraient prendre plus confiance en elles. »Quel est votre style préféré ? Comment vous-même, vous aimez vous habiller ?
« J’ai un drôle de mélange de pièces d’Alexander McQueen dont les créations sont très féminines et les matériaux superbes, et de vêtements de la marque Comme des garçons qui, elle, n’a rien à voir avec Alexander McQueen… J’aime aussi Junya Watanabe, donc un style déconstruit, déchiré, sans aucune forme, avec des matières brutes… »
Vous avez débarqué à Paris au milieu des années 1990. Vous aviez 19 ans et un petit ami français, n’est-ce pas ?
« Oui, mais je l’ai rencontré à Prague. »
Votre histoire est celle de beaucoup de jeunes filles tchèques de l’époque …
« Tout à fait. Maintenant, j’ai l’impression que c’est l’inverse : souvent, les femmes tchèques s’installent avec leurs fiancés français en République tchèque. Moi, à l’époque, je suis tombée amoureuse d’un Français, c’était un coup de foudre. Je venais juste d’avoir mon baccalauréat, alors j’étais libre de partir. J’ai fait ensuite toutes mes études en France. Notre relation a duré huit ou neuf ans, c’était une belle histoire d’amour. »
A Paris, vous avez fait des études assez variées : vous avez étudié le français, l’histoire de l’art, vous avez ensuite tenté des études européennes, avant, finalement, de vous consacrer à la création de mode à l’Institut Supérieur des Arts appliqués. Qui est-ce qui vous a poussé à faire ce choix ? Vous souvenez-vous d’un moment ou d’une rencontre décisive ?« Il est vrai que j’ai beaucoup hésité sur mon futur métier. Ce qui me paraissait le plus accessible, c’était décoratrice intérieur. Je ne sais pas pourquoi, mais la directrice de LISAA, quand elle m’a vue, m’a dit : ‘Je ne te vois pas décoratrice, essaie la mode.’ Cela m’était égal, je voulais juste, après mon parcours universitaire, étudier quelque chose de plus artistique. C’était donc la première rencontre importante qui a déterminé mon choix. Et je suis très contente d’avoir opté pour la mode qui est une vraie passion pour moi. Ensuite, à la fin de mes études, j’ai remporté un prix de ma promotion. Parmi les membres du jury, il y avait Eliette Abécassis, une jeune écrivaine reconnue. Elle est tombée amoureuse de ma collection qu’elle a ensuite achetée presque dans son intégralité. Cela m’a donné un vrai coup de pouce. Je me suis dit que si quelqu’un pouvait craquer à ce point-là pour ce que je fais, cela valait le coup de continuer. Même si tout le monde me disait que j’étais folle, que je ne pouvais pas créer ma marque sans expérience, après deux ans d’études. Mais j’ai voulu essayer quand même : j’avais d’abord un show-room où je recevais mes clientes sur rendez-vous et, en 2007, j’ai ouvert ma boutique à Paris. »
Y a-t-il quelque chose qui vous manque en France ? Dans vos débuts, vous n’aviez jamais envie de revenir en République tchèque ?« J’ai mis trois ans à m’habituer à vivre à Paris. Je ne trouvais pas les Parisiens très avenants. Je ne parle pas des Français, mais des Parisiens. Jusqu’à maintenant, je n’ai jamais eu envie de revenir à Prague… Il est vrai que ces derniers temps, je ressens le besoin, inexplicable, de venir ici plus souvent et de rester plus longtemps qu’avant. Peut-être que c’est dû au fait qu’à présent, je vends mes robes à Prague. Je trouve que c’est une ville plus dynamique que Paris qui, elle, s’endort un peu sur ses lauriers. Bien sûr, la nourriture tchèque me manque toujours en France. Et puis, j’aime les Tchèques, je les trouve sincères, francs. Cela me manque chez les Parisiens. »
On dit souvent qu’il est possible de deviner le caractère d’une personne selon la manière dont elle s’habille. Est-ce vrai, selon vous ?
« C’est un cliché total. Il y a des gens qui n’en n’ont rien à faire de bien s’habiller, mais cela ne veut pas dire qu’ils se négligent, il y en a d’autres qui n’ont pas d’argent… Vous ne pouvez même pas comparer les Pragoises et les Parisiennes : la Pragoise peut choisir entre dix boutiques, alors que la Parisienne en a des milliers dans sa ville. En tchèque, on dit que ‘l’habit fait l’homme’, mais ce n’est pas vrai. »