La Tchéquie « après Havel »

Václav Havel, photo: ČT
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L’ex-président tchèque Václav Havel aurait célébré ce 5 octobre ses 80 ans. Nous vous présenterons quelques extraits de textes parus dans la presse à la veille de cet anniversaire. Trois autres sujets également au menu de cette nouvelle revue de presse : les résultats des « élections estudiantines » dont est sorti à nouveau vainqueur le parti des Pirates, les interrogations autour de la présence à Prague de « gardes territoriales » et les nouvelles perspectives pour la profession de vendeur en magasin.

Václav Havel,  photo: ČT
« En évoquant le souvenir des gens disparus qui ont à leur actif des choses hors du commun, on devrait se rappeler en quoi leur excellence consistait au lieu de se chagriner. Cela est entièrement vrai pour Václav Havel qui a fait le maximum pour offrir à la société tchèque la perspective d’un avenir meilleur. » C’est ce que remarque l’éditorial de la dernière édition de l’hebdomadaire Respekt qui a consacré une trentaine de pages spéciales à l’anniversaire posthume de l’ex-président tchèque, Václav Havel, qui aurait célébré ce 5 octobre ses 80 ans. Le journal a entre autres publié les réponses de différentes personnalités de la vie publique à la question de savoir comment la Tchéquie a évolué après la disparition de Havel en décembre 2011. La réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, qui a fait ses études à Prague a répondu :

« La Tchéquie après Havel, mais aussi la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et, bientôt, peut-être aussi l’Autriche, la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis, sont entre les mains de ceux qui ne prennent pas la démocratie au sérieux. Ils peuvent alors presque tout faire, proliférer des mensonges, la haine et la peur. Et lasse de sa liberté permettant de faire des choix, lasse de sa responsabilité et des impératifs moraux, la population est prête à leur prêter l’oreille. »

Selon la jeune femme écrivain Kateřina Tučková, l’heure n’est pas pour autant au pessimisme. Avec le départ de Václav Havel, la République tchèque a évidemment changé en perdant « un penseur particulièrement érudit doté d’extraordinaires qualités morales, un symbole reconnu dans le pays et à l’étranger ». Mais, d’après elle, même s’il n’y a pas dans le pays une personnalité de son calibre pouvant occuper sa place, il y a beaucoup de personnalités de qualité qui, hélas, ne sont pas présentes dans l’espace public ou ne sont pas visibles dans les médias.

Pour beaucoup de personnes interrogées dans cette enquête lancée par l’hebdomadaire Respekt, le 80e anniversaire de la naissance de Václav Havel devrait être une occasion d’entamer un débat sérieux sur l’état de la société et de la politique et sur la façon dont lui-même l’aurait commenté. Hans-Jörg Schmidt, correspondant du journal Die Welt, exprime cela ainsi :

« Je serais très curieux de connaître le regard de Havel sur le présent de son pays, de savoir ce qu’il penserait d’une Europe désordonnée, ainsi que de la question des migrations. Il serait sans doute très bon d’avoir aujourd’hui un tel esprit critique, un animateur (aussi peu conformiste soit-il), quelqu’un qui soit à même de mener les gens vers la réflexion. Une personne qui réussirait une fois encore à les réveiller pour qu’ils se rappellent, par des temps difficiles, les vertus positives issues des heureux moments de la Révolution de velours. Quelqu’un qui saurait rendre à ce pays et à l’Europe un peu de raisonnement et d’éclat, des qualités qui sont en train de disparaître lors des combats à n’en plus finir de la politique ‘traditionnelle’ et qui n’apportent aucun fruit. Il se peut que l’Europe se trouve au seuil de sa dislocation. Je suis certain qu’avec Havel, les choses ne seraient pas allées si loin. »

L’espoir, le sourire et une approche positive, des caractéristiques qui ont toujours été propres à Havel, sont aujourd’hui désespérément confrontés à une résignation triste et apparemment fataliste. C’est ce que remarque un texte publié dans l’hebdomadaire économique Hospodářské noviny. Selon son auteur, ce constat n’est point étonnant car le paysage politique tchèque représente un espace qui n’est guère colonisé par les idées de Havel. Et de noter qu’il existe aujourd’hui de nombreuses preuves de ce que la Tchéquie s’est éloignée de façon dramatique des idées politiques « havliennes » avant de conclure :

« Nous n’avons pas un conseiller plus qualifié que Václav Havel. Voilà pourquoi au lieu de nous rappeler avec nostalgie de son anniversaire, je suis en faveur d’une célébration du jour de sa naissance digne de ce nom. »

Les priorités politiques des jeunes Tchèques

Photo illustrative: Lucie Zemanová,  ČRo
Peu avant les élections régionales qui auront lieu en Tchéquie au début d’octobre, l’association à but non lucratif Člověk v tísni (L’Homme en détresse) a organisé des « élections estudiantines », un projet consistant à tester les priorités électorales hypothétiques des jeunes de plus de 15 ans. Près de trois cents établissements scolaires secondaires, lycées, écoles techniques et centres d’apprentissage, ont participé à ce test s’inscrivant dans le programme éducatif « Un monde dans les écoles ».

Très proches de ceux obtenus lors des élections précédentes, leurs résultats n’ont pas apporté de révélations surprenantes, car les jeunes ont en premier lieu une nouvelle fois accordé leur confiance au parti des Pirates. Le mouvement ANO et le parti TOP 09 bénéficient ensuite de leur soutien. Une grande partie des jeunes, notamment parmi les apprentis, ont aussi donné leurs voix à des partis d’extrême droite. Le sociologue Jan Herzmann a commenté cette tendance sur les pages du quotidien Lidové noviny :

« Il n’est pas très étonnant que les jeunes soutiennent de tels groupes, car le radicalisme a toujours eu un certain attrait pour les jeunes. Ce qui surprend davantage, c’est l’absence sur la scène politique de groupes d’extrême gauche qui pourraient attirer les jeunes qui ne s’identifient pas avec les accents nationalistes de l’extrême droite. En ce qui concerne la victoire des Pirates, elle est due dans une grande mesure au fait que leur parti est très présent sur internet. »

Le journal note également que dans l’ensemble des régions où les élections estudiantines ont eu lieu, les jeunes ont classé parmi les cinq premiers partis un mouvement affichant le slogan suivant : « Non à l’immigration illégale – de l’argent plutôt pour nos habitants ».

Les « gardes territoriales » à Prague

Photo: Kristýna Maková
« Des gardes de ‘patriotes usurpateurs’ se promènent, la nuit, dans les rues de Prague sans pour autant pouvoir trouver ne serait-ce qu’un seul adversaire, car les migrants illégaux sont absents de la capitale tchèque. » C’est ce qu’il était possible de lire dans une des récentes éditions du quotidien Deník, qui a précisé à ce sujet :

« Au total, on recense à Prague onze groupes qui sont organisés dans le cadre des ‘Gardes territoriales nationales’, dont chacune ne compte que quelques dizaines de membres. Leur but serait, d’après ce qu’ils prétendent, de défendre leur ville et le pays contre ‘l’invasion en masse de migrants’. Le tout dans une situation où, depuis le début de cette année, la police n’a appréhendé, à l’échelle nationale, que 420 migrants illégaux. Pourtant, ces groupes s’emploient à s’entraîner au tir et au mouvement sur le terrain. Outre le refus des migrants et de l’islam, ils défendent la sortie du pays de l’OTAN et de l’Union européenne. »

Soulevant la question de savoir s’il y a lieu de craindre ces gardes ‘patriotiques’ dont l’idéologie est proche, par exemple, de celle des gardes du parti extrémiste slovaque Notre Slovaquie qui sont cependant beaucoup plus nombreuses et plus actives, le journal a donné la parole à un spécialiste des questions de sécurité, Marian Brzybohatý :

« Un Etat démocratique qui dispose d’un système juridique standard, de la police et d’autres services est en mesure de gérer seul les menaces sécuritaires. L’expérience historique nous enseigne que des efforts proches tels que ceux déployés par les gardes territoriales aboutissent généralement à une idéologie extrémiste. En aucun cas, nous n’avons besoin de ces gardes. Mais tant qu’elles ne commettent pas de délits ou d’actes criminels, on ne peut rien faire. En plus, sur le plan politique, il s’agit d’une chose explosive. »

Le vendeur en magasin – une profession peu prestigieuse

Photo: Tomáš Adamec,  ČRo
Pourquoi les magasins dans les grands centres commerciaux sont-ils en manque de vendeurs ? Pour en savoir plus sur ce problème qui touche beaucoup d’entre eux, le quotidien Mladá fronta Dnes a posé la question à la chef de l’Union du commerce qui a expliqué :

« Le problème, c’est que travailler dans un magasin n’a jamais été perçu comme une profession idéale d’un point de vue salarial. Même aujourd’hui, cela ne représente pas une profession prestigieuse. Les gens qui ont des ambitions et une certaine qualification ne la choisissent pas en dépit de l’intérêt manifesté par les employeurs. A l’avenir, il faut donc s’attendre à ce que cette profession qui est très peu sollicitée soit dans une grande mesure remplacée par le travail des automates. Selon certaines prévisions, d’ici cinq ans, les grands magasins ne disposeront que d’une ou de deux caisses et de contrôleurs en charge de veiller sur leur fonctionnement. »

Les vendeurs quant à eux pourraient se transformer au fur et à mesure en des conseilleurs de vente qui aident les clients à faire leurs choix et qui les conseillent sur les marchandises qui pourraient leur convenir. Un rôle qui est en ce moment presque absent dans les grands magasins et que les clients ne cessent pourtant de réclamer.