La Tchéquie au seuil de l’an 2012... prête à adopter un dictateur ?
Bilans et perspectives. Tels sont, au début de cette nouvelle année 2012, les thèmes les plus fréquents traités par l’ensemble de la presse nationale, qu’il s’agisse des domaines politique, économique, société ou culturel. Nous en avons choisi quelques extraits.
« Nous entrons dans cette nouvelle année, affaiblis par la perte de Václav Havel, mais renforcés à la fois par la conviction que notre société possède un fondement avec lequel elle peut renouer », peut-on lire dans l’éditorial de l’hebdomadaire Respekt, dont l’auteur Erik Tabery constate :
« La Tchéquie et l’Europe ont devant elles, à certains égards, une année difficile, mais la perspicacité et le courage pourront contribuer à résoudre les problèmes auxquels nous serons confrontés. L’enjeu est de savoir si nous saurons être à la hauteur de la situation. » Plus loin, il précise :
« Nous avons besoin d’hommes politiques qui auront le courage d’éliminer les problèmes avant même qu’ils ne surgissent. Parmi d’autres exemples pertinents, j’indiquerais l’aide financière que l’on devrait accorder à l’Union européenne au moment de la crise écomique. Même si cela nous coûte de l’argent maintenant, à plus long terme cela permettra d’empêcher des pertes bien plus graves. Ou encore la restriction de certains acquis sociaux qui, aussi douloureuse soit-elle maintenant, permettra de stabilier le fonctionnement de l’Etat. »
« Qu’attendez-vous de l’année 2012 ? ». Rédacteur en chef du quotidien économique Hospodářské noviny, Petr Šabata est l’une des personnes interrogées dans les pages de Respekt :« Je pense que nous avons devant nous une année difficile, mais pleine d’intérêt, marquée par la condition de l’économie qui va se détériorer. Je crains que les leaders tchèques et européens ne sachent pas maîtriser pas la situation comme il le faudrait. J’espère que la misère économique ne débouchera pas sur des conflits sociaux ou autres, pires encore. »
C’est un peu dans cet esprit qu’est également portée une note du journaliste Martin Ehl publiée sur le site Ihned.cz dans laquelle il commente l’actuelle situation en Hongrie en la mettant dans un plus large contexte :
« En quelque sorte, la Hongrie matérialise des craintes qui ne sont pas forcément purement hongroises : la crainte de la crise du capitalisme et des marchés financiers, celle de la menace démographique, de la méfiance des uns envers les autres et de l’éveil des démons nationaux... Autant de peurs auxquelles s’ajoute la fatigue des Hongrois des vingt années de transformations et de la mauvaise situation économique, dont Viktor Orban a su profiter... J’ai le sentiment que l’évolution dont nous serons les témoins en Hongrie dans les prochains mois et prochaines années risque d’être une préfiguration de la situation dans toute l’Europe. »« En dépit du fait que son économie soit en baisse, la République tchèque reste attrayante pour les investisseurs étrangers », peut-on lire dans l’une des dernières éditions du quotidien Lidové noviny. Se référant aux évaluations des chefs d’une grande partie des entreprises industrielles, le journal constate que celles-ci attendent des recetttes stables, voire une faible croissance. Ainsi, « rien ne semble signaler une chute de la production industrielle pareille à celle des années 2008 et 2009 ».
Dans la page économique du journal, nous avons aussi pu lire :
« L’industrie recrute des gens. L’industrie licencie. Aussi contradictoires soient-elles, ces deux affirmations seront valables cette année. Avec une tradition remontant à la monarchie austro-hongroise et riche des investissements étrangers qui ont afflué dans le pays au cours des vingt dernières années, l’industrie tchèque possède tous les atouts pour survivre aux ébranlements, pour trouver de nouveaux marchés et pour s’inventer de nouveaux produits. »
Parmi les domaines censés éviter la crise cette année, le journal cite en premier lieu l’industrie des constructions mécaniques et l’industrie automobile. A titre d’illustration, le journal cite le constructeur Škoda Auto qui a présenté un projet ambitieux dont l’objectif, d’ici à 2018, est de doubler la production annuelle afin de pouvoir exporter près de 1,5 millions de véhicules par an.
La métallurgie et l’industrie alimentaire figurent en revanche parmi les branches qui seront touchées par la crise et dans lesquelles d’importants licenciements sont à attendre.
« Les Tchèques sont prêts à adopter un dictateur » : c’est ce qu’affirme dans une interview accordée à un des récents suppléments de Lidové noviny Pavel Kosatík, commentateur et auteur d’une série de livres dans lesquels il analyse les différentes personnalités et les moments-clés de la nouvelle histoire tchèque. Les titres de ces ouvrages, qui ont d’ailleurs suscité un vif intérêt auprès des lecteurs, sont on ne peut plus éloquents : ‘Les rêves tchèques’, ‘Les démocrates tchèques’, ‘L’Intelligentsia tchèque’, ‘Les moments tchèques’.Dans l’interview en question, Pavel Kosatík s’interroge sur la mentalité de sa nation, au sujet de laquelle il dit :
« Nous sommes beaucoup plus passifs et en même temps plus moutonniers que les autres nations. Il s’avère que nous n’arrivons pas à comprendre que nous sommes chacun responsables de ce qui se passe ici et que la responsabilité n’incombe pas seulement à ceux qui gouvernent. Un tel comportement augmente le danger de voir s’imposer un dictateur. »
Selon Pavel Kosatík, la société tchèque n’est pas une société stratifiée comme sous la Première République, où il existait pour les gens mille et une façons de se mettre en valeur. Il ajoute :
« Beaucoup de gens se comportent aujourd’hui comme s’il existait quelque part une majorité, un juge moral appelé à nous sauver. Mais rien de tel n’existe. De ce fait, les problèmes politiques s’accumulent au lieu d’être résolus. Les psychologues auraient probablement tendance à dire que la nation tchèque est névrosée. »
En conclusion, l’écrivain répond par l’affirmative à la question de savoir si les Tchèques ont quelque chose à offrir à l’Europe. Pavel Kosatík explique :
« Ce sont notamment les choses ordinaires dont le monde a toujours besoin. Il nous faut être fiables, bien faire notre travail, ne pas blâmer mais aider l’Europe. Il y a maintenant la crise. Nous nous plaisons à rouspéter en disant que les grands ne demandent jamais rien aux petits pays. Or, il y a maintenant une situation idéale pour soumettre de bonnes idées. Mais il n’en est rien. Je sais que les choses ne sont pas aussi faciles que ça, mais nous pourrions au moins faire preuve de notre soliarité, n’est-ce pas ? »
La dernière édition de l’hebdomadaire Respekt, déjà cité, a donné la parole à Ivan Havel, 73 ans, scientifique et philosophe, frère cadet de l’ex-président défunt, Václav Havel. Dans la dernière partie de sa longue interview, Ivan Havel évoque le milieu familial dont les deux frères sont issus. En voici les grandes lignes :
« En tant que famille, nous étions assez proches, pratiquement jusqu’à la mort de notre mère en 1970. Je me souviens que, durant les années 1950, notre père suivait attentivement les nouvelles internationales. Et lorsque Václav est devenu un dramaturge reconnu, il s’est habitué à suivre en détail et avec orgueil ses succès et leurs échos. Et notre mère a du coup compris que l’œuvre de Václav, auquel elle reprochait parfois sa vie de bohème, avait un retentissement mondial. Notre père, qui est mort en 1979, a encore connu les débuts de la Charte 77. Hélas, ni l’un ni l’autre n’ont vécu assez longtemps pour voir leur fils ainé devenir président de la République. Je pense qu’ils auraient eu du mal à croire qu’une telle chose puisse, si tôt, arriver. »