L’attentat contre Charlie Hebdo du point de vue des éditorialistes tchèques
Indignation, émotion, solidarité, compassion... C’est ce qui caractérise les réactions à l’attaque de ce mercredi contre Charlie Hebdo, qui n’ont pas tardé à apparaître sur les sites nationaux quelques heures à peine après la publication de la terrifiante nouvelle. Depuis, cet événement fait la une de l’ensemble de la presse du pays qui ne cesse d’offrir à ses lecteurs toute une gamme d’informations, de reportages, de commentaires et d’analyses se rapportant à cet acte terroriste. Nous vous en présenterons les grandes lignes.
« L’agression brutale contre la rédaction de la revue satirique Charlie Hebdo est une attaque brutale contre l’ouverture européenne, c’est-à-dire contre nous tous. L’assassinat de journalistes français va certainement constituer un tournant historique dans la lutte contre le terrorisme auquel le monde occidental est confronté. Les assaillants avaient pour but non seulement de punir les journalistes, mais aussi de semer la peur, les doutes et la haine... Nous ne devons pas pourtant réduire l’ouverture, le libéralisme, le sens de l’humour qui sont des qualités occidentales ou diriger notre haine vers les personnes qui n’ont rien à voir avec cet acte. De cette manière, on contribuerait à accomplir les objectifs des terroristes. L’unique solution possible, c’est de ne pas changer notre style de vie, ainsi que de poursuivre et de punir sans compromis ceux qui participent à la terreur. »
« La terreur à Paris », « L’humour assassiné », « Une attaque perfide au coeur de la France »... Tels sont quelques-uns des gros titres des éditions de ce jeudi des grands quotidiens locaux qui ont réservé plusieurs pages à l’attaque contre l’hebdomadaire satirique français, certains publiant également des reproductions de plusieurs dessins de la plume des dessinateurs défunts. L’éditorialiste du journal Lidové noviny, Petr Pešek, a tenu dans ce contexte à exprimer son admiration pour la vague de la solidarité qui s’est levée après la fusillade de mercredi, un acte décrit par lui comme barbare et cynique. Il remarque à ce sujet :
« Il n’y a aucun doute sur la sincérité de cette solidarité. Beaucoup de gens comprennent, et pour cause, qu’il ne s’agit pas seulement d’une attaque contre la liberté d’expression, mais aussi d’une attaque contre les valeurs occidentales, contre les idées d’humanisme. On peut également se féliciter de la rareté sinon de l’inexistence des voix abjectes et défaitistes prétendant qu’en quelque sorte, les provocateurs de cet hebdomadaire blasphématoire auraient été eux-mêmes coupables de ce qui leur est arrivé... Tant que la liberté, y compris la liberté d’expression, est indivisible, sa défense ne doit être accompagnée d’aucun ‘mais’. Et cela est valable non seulement pour l’admirable vague de solidarité portée sous le slogan Je suis Charlie, mais également pour les mois à venir où cette solidarité deviendra moins massive. »Sur le site aktuálně.cz, Martin Fendrych signale que l’attaque contre Charlie Hebdo, qu’il qualifie d’acte terrifiant et répugnant, avait pour but non seulement d’abattre les membres de la rédaction, mais aussi de déclencher la haine. A la lumière de certaines tendances fortement islamophobes qui commencent à se manifester aussi au sein de la société tchèque et qui sont soutenues par certaines formations politiques, dont en premier lieu le mouvement Úsvit (L’Aube) de Tomio Okamura, Martin Fendrych tient à souligner :
« La prolifération de la haine est une chose que l’on ne devrait pas admettre. Dans un tel cas, l’objectif visé par les terroristes serait accompli. Ils ne veulent pas la paix, mais la guerre. Pas nous. Pour cette raison, on ne devrait pas se laisser manipuler et accepter la haine. Le slogan ‘Je suis Charlie’, qui est aussi le mien, rolifère sur les réseaux sociaux. Et je voudrais y ajouter la phrase ‘J’aime les musulmans pacifiques’. Sinon, nous nous soumettrons aux terroristes. »
Dans l’édition de ce jeudi du quotidien Mladá fronta Dnes, l’éditorialiste Teodor Marjanovič estime en revanche que le massacre dont Paris a été le témoin met en évidence le besoin de dresser en Europe « un mur face aux musulmans », même si l’on se refuse à défendre le principe de la responsabilité collective et même si, comme il l’écrit, « la majorité d’entre eux sont pacifiques ». D’après ses propres paroles, cela n’empêcherait pas de voir émerger de cette population des tueurs comme ceux qui ont assailli Charlie Hebdo. Dans un texte qui prête à controverse, Teodor Marjanovič précise :« Les Etats européens ont su trouver un langage en commun pour résoudre tout un éventail de questions difficiles. Ceci dit, une solution au dilemme en rapport avec les vagues de réfugiés et d’immigrés musulmans n’a toujours pas été trouvée, bien qu’il soit d’actualité depuis plusieurs décennies déjà. Voilà pourquoi l’attaque de Charlie Hebdo devrait amener les politiciens à faire de la question de l’immigration une question prioritaire... Il y a quelques années, Israël a dressé un mur pour se protéger des attentats suicide. Il a essuyé pour cela des critiques, mais il a obtenu des résultats assez satisfaisants (ce mur a été déclaré illégal par la Cour internationale de justice, ndlr). Il se peut qu’aujourd’hui, le temps est venu d’avoir recours, dans notre région, à quelque chose de similaire, en dépit du fait que cela puisse susciter de fortes réactions désapprobatrices. »
Dans une note publiée le jour de l’attaque sur le site ihned.cz, Martin Ehl remarque que les Européens n’arrivent pas à trouver une réponse à l’Islam radical. Et tout en constatant que les Français et avec eux l’ensemble des Européens sont sous le choc, il rappelle les avertissements ayant précédé cet acte. Il écrit :
« Les politiciens défendent toujours l’idée du multiculturalisme et du compromis européen. Mais pour atteindre un compromis, il faut la volonté des deux parties... Même s’il est difficile de trouver une réponse à l’Islam radical, les gens s’y attendent. Les tueries commises à Paris demandent une réaction déterminée, mais non pas hystérique. En même temps, elles confrontent les électeurs à des questions auxquelles les leaders européens n’ont pas encore su répondre. »Dans une analyse pour le quotidien économique Hospodářské noviny, Adam Černý réfléchit sur la façon dont l’acte terroriste de mercredi dernier va se répercuter dans le climat au sein de la société française. Il s’interroge sur la façon dont le parti d’extrême-droite du Front national, qui représente selon ses mots une formation populiste, tentera de tirer profit de ce drame. Il émet l’hypothèse que les partis traditionnels, qui sont selon lui en ce moment décomposés, ne sont pas à même de faire front aux lepénistes. En outre, Adam Černý souligne :
« La question clé, c’est le prix de la liberté d’expression qui représente une des principales valeurs de la société occidentale, qui n’est pas en revanche reconnue par d’autres sociétés et régimes. Il ne s’agit pas là d’une notion dépourvue de sens, car sans la liberté d’expression, tout comme sans celle d’élections libres, justes et secrètes, on ne saurait critiquer et contrôler le gouvernement. Dans une société démocratique, le prix de la liberté d’expression fait l’unanimité à droite et à gauche. »
Le site aktuálně.cz a donné également la parole à Karel Randák, un ancien chef du service de renseignements tchèque. Une occasion pour lui de dire que l’attaque contre la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, aussi horrible soit-elle, ne l’a pas surpris, car ces derniers temps, les islamistes rechercheraient tout prétexte pour pouvoir attaquer. Il insiste en même temps sur le fait que nous ne devrions pas fléchir ou être intimidés et abandonner les principes démocratiques qui nous sont propres.