La Tchéquie se rappelle les valeurs de son appartenance européenne
En rapport avec la volonté du Royaume-Uni de sortir de l’Union européenne, la presse tchèque ne cesse de s’intéresser aux différentes causes de cette décision. Nous vous présenterons les grandes lignes de leurs analyses. Nous vous proposerons ensuite un extrait d’un entretien accordé par le théologien Tomáš Halík, fait récemment docteur honoris causa de l’Université d’Oxford.
« Pour nous, notre appartenance à l’Union européenne et à l’OTAN constitue une certaine garantie géopolitique. Ainsi, nous faisons partie d’une communauté dont nous partageons la majorité des valeurs et des intérêts, d’ordre politique et économique. Sortir de cette communauté signifierait s’ouvrir aux pressions et aux intérêts de certaines autres régions du monde, suite à quoi nous serions exposés à des risques que nous ne pouvons pas nous permettre d’affronter. »
Cet avis est exprimé, aussi, dans un éditorial du quotidien économique Hospodářské noviny. Nous citons :
« Les pays appartenant à la civilisation occidentale ne sauraient relever les défis actuels indépendamment, isolément ou en brûlant leurs vaisseaux. Le terrorisme global, l’impérialisme russe, l’appétit chinois de puissance ou encore les efforts en vue de la protection de l’environnement en accord avec le maintien de la prospérité. Autant de problèmes que l’on ne peut traiter autrement qu’ensemble. Pour le comprendre, on n’a pas besoin de développer des théories sophistiquées. »L’auteur d’une analyse mise en ligne sur le site aktuálně.cz estime que le Brexit renforcera les efforts en vue de la sortie de la Tchéquie de l’Union européenne. D’autant plus que chez nous il y a des lignes de démarcation entre les différents groupes de population semblables à celles qui existent au Royaume-Uni. Il conclut :
« Il est probable que l’on n’évitera pas un référendum sur la sortie du pays de l’Union européenne. Pour cette raison, les représentants du pays, Sobotka, Kalousek, Fiala, Babiš et d’autres, sont appelés à parcourir la République, à s’ouvrir aux gens en leur prêtant l’oreille et en leur donnant inlassablement des explications. Ils doivent savoir décrire aux gens la valeur que représentent pour la Tchéquie tant l’Union que l’OTAN et la communauté occidentale. »
Le site de l’hebdomadaire Reflex a demandé à Tomáš Prouza, secrétaire d’Etat pour les affaires européennes, ce que l’Union européenne devait faire pour défendre son existence et sa raison d’être. Il a répondu :« D’abord, elle devrait être plus humble et tenir compte du fait qu’elle doit servir ses citoyens. Mais je ne veux pas dire que l’Union européenne devrait changer. Ce sont prioritairement les Etats membres qui doivent changer. Il faut dire clairement que l’Union telle que nous la connaissons est finie. Non seulement à cause de la sortie du Royaume-Uni, mais à cause de la crise de confiance des Européens. Il faut alors faire savoir aux citoyens dans les pays membres que l’Europe n’est pas un projet d’un groupe élitaire de Bruxelles, mais qu’elle constitue l’unique garantie de la paix et de la prospérité par des temps qui sont agités sur le plan géopolitique. C’est grâce à l’Union européenne et en dépit de toutes ses erreurs que nous nous portons aujourd’hui mieux que jamais. »
« Nous aimons les Britanniques. L’influence de Londres va diminuer. Les négociations sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni vont alourdir l’Union qui est déjà surchargée. » Telles sont, selon l’éditorial de l’hebdomadaire Respekt, les trois principales raisons pour lesquelles les résultats du référendum britannique apportent une mauvaise nouvelle. Selon son auteur, il peut paraître paradoxal que tandis qu’une grande partie des Tchèques avait accueilli l’entrée du pays dans l’Union européenne à cause de leurs sympathies pour le Royaume-Uni, c’est l’immigration des habitants des pays de l’Europe centrale et orientale dont ils font partie qui constitue l’une des principales raisons du Brexit. Le texte souligne enfin :
« Les mois qui viennent seront pour notre continent décisifs et certainement très riches en émotions, voilà pourquoi il y a lieu de sauvegarder notre sang-froid. Tout en évitant l’hostilité à l’égard du Royaume-Uni, il faut faire clairement savoir qu’il n’est pas possible de se soucier uniquement de soi, de quitter un club et de vouloir garder tous ses privilèges. C’était beau, chère Grande-Bretagne, mais désormais nous devons penser à nous-mêmes. »
Finie la liaison tchéco-britannique au sein de l’Union européenne
Dans une de ses récentes éditions, le quotidien Lidové noviny s’est penché sur les liens politiques qui existaient dans un passé récent entre la Tchéquie et le Royaume-Uni. Il a d’abord rappelé plusieurs visites de David Cameron à Prague. Lors de celle qu’il y avait effectuée en tant que leader du Parti conservateur en 2009, il a voulu encourager la campagne du Parti civique démocrate (ODS) et son chef de l’époque, Mirek Topolánek. C’est d’ailleurs avec les eurodéputés de ce parti, ainsi qu’avec les eurodéputés polonais du parti Droit et Justice, que Cameron a fondé la même année un nouveau groupe au Parlement européen, le Groupe des Conservateurs et des Réformateurs européens. Et comme l’écrit le journal, c’est grâce au soutien britannique que l’eurodéputé Jan Zahradil est devenu, pour un certain temps, son chef. David Cameron n’a pas manqué non plus d’inviter en 2012 à Downing Street le Premier ministre Petr Nečas, de l’ODS lui aussi. Plus loin, le journal remarque :« Il s’agissait bien entendu d’une liaison rationnelle. Après la fondation du nouveau groupe au Parlement européen, la Tchéquie s’est concertée avec la Grande-Bretagne également au sujet du refus du pacte fiscal. Le partenariat a profité, aussi, aux Tchèques, car ils avaient alors un protecteur puissant au sein de l’Union européenne... L’âge d’or de l’alliance tchéco-britannique a pris fin il y a deux ans, avec l’instauration d’un cabinet de coalition dirigé par le social-démocrate Bohuslav Sobotka qui a non seulement signé le pacte concerné, mais qui a également annoncé que la Tchéquie voulait faire désormais partie du courant principal au sein de l’Union européenne. »
Ceci dit, l’alliance rationnelle entre les représentations politiques des deux pays s’est dans une certaine mesure poursuivie. Lidové noviny rappelle dans ce contexte le rôle de médiateur entre les camps opposés qui est incombé à Sobotka lors des négociations houleuses de février dernier à Bruxelles concernant la restriction de certaines prestations sociales bénéficiant à des travailleurs immigrés, imposée par la partie britannique. Le journal illustre cette affinité par une photo prise en janvier dernier et montrant Cameron et Sobotka, des chopes de bières dans la main, dans une brasserie de Prague.
Tomáš Halík : relire et savoir transmettre ses valeurs
« Nous devons apprendre à vivre ensemble et pas seulement l’un à côté de l’autre. Il s’agit là du plus grand défi de notre époque ». C’est ce qu’a déclaré dans un entretien accordé pour l’édition de ce lundi du quotidien Deník le théologien Tomáš Halík qui a été fait, la semaine dernière, docteur honoris causa de l’Université d’Oxford, en premier lieu pour ses efforts en vue d’un dialogue interreligieux. Il est la quatrième personnalité tchèque, après les présidents Tomáš Garrigue Masaryk, Edvard Beneš et Václav Havel, à être distingué par la prestigieuse université britannique. S’exprimant sur les transformations socio-culturelles que le monde actuel subit, Tomáš Halík a aussi dit :« On ne saurait sauver la civilisation ‘euroatlantique’ autrement qu’en relisant de façon nouvelle ses valeurs fondamentales et en les mettant dans la vie pratique de façon tellement convaincante que celles-ci deviennent attrayantes pour ceux qui viennent chez nous. Dans un passé lointain, on y est déjà une fois arrivé : après l’écroulement de l’Empire romain et la migration des peuples, l’Eglise catholique a réussi à transmettre aux ‘barbares’ non seulement sa foi, mais aussi la richesse de la culture antique, la philosophie grecque et le droit romain. Ainsi est née, au début du Moyen Age, la civilisation européenne. »
Plus loin, Tomáš Halík constate qu’avec le pape François, un nouveau chapitre dans l’histoire du christianisme a commencé, marqué par une réforme profonde de l’Eglise et par sa réorientation radicale vers l’esprit de l’Evangile.