La Vie, en gros : un film d’animation tchèque adapté d’un best-seller français
Prix du jury Contrechamp au dernier Festival d’Annecy, le long métrage d’animation « Život k sežrání » de la réalisatrice Kristina Dufková est sorti en salles en Tchéquie, quatre mois avant sa première en France, le 12 février prochain. Cette coproduction tchéco-slovaco-française est adaptée du livre à succès « La Vie, en gros », écrit par Mikaël Ollivier et paru en 1999.
Le film raconte l’histoire de Ben, un jeune musicien talentueux à l’humour vif mais avec aussi quelques kilos en trop. L’adolescent vit sa vie tranquillement jusqu’au jour où il tombe amoureux de Klára, une fille de sa classe. Tout bascule alors pour lui. Désormais gêné par son apparence physique, Ben décide de se mettre au régime…
Il y a treize ans de cela, Kristina Dufková est tombée sur le roman de Mikaël Ollivier. Un livre dont elle s’est inspirée pour son premier long-métrage réalisé en stop motion et accompagné d’une musique attachante.
Un film sur les tourments de l’adolescence
Kristina Dufková : « À l’époque, je cherchais un sujet pour mon film. Je savais que je voulais faire un film pour les enfants qui entrent dans l’adolescence, parce que ma fille avait justement cet âge-là. Après avoir lu ce roman avec ma fille, j’ai su que je tenais entre les mains le sujet que je voulais traiter. ‘La Vie, en gros’ me plaisait beaucoup, j’ai adoré l’ambiance de ce livre et son énergie. Ce qui m’intéressait, c’était le thème de la différence. Ma fille n’était pas obèse, mais elle était petite et menue pour son âge. Dans sa classe, les enfants étaient beaucoup plus grands et elle le vivait mal. C’est d’ailleurs aussi en pensant à cela que j’ai fait mes marionnettes. L’adolescence est une période où le physique change énormément, où tout à coup, on se retrouve avec de longues jambes et de longs bras. Et ces extrêmes, je les ai exprimés visuellement. J’ai quand même eu de gros soucis avec la marionnette de Ben, car il fallait qu’elle soit plus grande et plus lourde que les autres. Comme elle tenait difficilement debout, la filmer était compliqué… »
« Pour les besoins du long métrage, il nous a aussi fallu faire quelques modifications par rapport au livre, rallonger l’histoire et imaginer tout un univers autour de chaque personnage, autour de la mère de Ben qui est vétérinaire, autour de son père qui fabrique des prothèses… Je savais aussi que je voulais raconter cette histoire à travers des chansons pour obtenir un film plutôt joyeux et optimiste finalement. Je voulais surtout montrer aux adolescents qu’il ne faut pas qu’ils se sentent seuls et exclus, par exemple parce qu’ils doutent de leur apparence physique, car tout le monde a un jour été confronté à ce genre de problème. »
Traiter de l’obésité avec légèreté
Récompensé de nombreux prix, le roman « La Vie, en gros » est inspiré de la vie de son auteur, Mikaël Ollivier, qui a aussi écrit le scénario de l’adaptation de son livre pour la chaîne de télévision M6. À la mi-octobre, Mikaël Ollivier est venu à Prague pour assister à la première tchèque du film « Život k sežrání ».
Mikaël Ollivier : « Ce livre m’accompagne depuis vingt-cinq ans. Je dis souvent que c’est le livre de ma vie. Ça parle de ma vie parce que Benjamin, le héros du film de Kristina Dufková et de mon livre, me ressemble beaucoup. En tout cas, j’ai vécu des choses similaires quand j’avais quinze ans. Ce livre a changé ma vie d’écrivain en m’apportant du succès et il continue à me donner beaucoup de bonheur, par exemple lorsque je vois ce très beau film d’animation qui en a été tiré. »
« J’avais rencontré Kristina ici à Prague, il y a treize ans. J’étais invité à un festival par mon éditrice tchèque. J’avais d'ailleurs aussi rencontré une troupe de comédiens tchèques qui jouaient ‘La Vie, en gros’ au théâtre. Kristina m’avait parlé de son projet. J’avais tout de suite été emballé : en cinq minutes, j'avais compris que c’était la bonne personne. La manière dont elle parlait du livre était importante pour moi. Ensuite, elle a donc adapté cette histoire avec une totale liberté. J’ai suivi son travail de loin. »
Vous n’avez donc pas du tout collaboré au film ?
« Non, Kristina s’est appropriée complètement mon histoire. En plus, quand elle a lu le livre, elle ne savait pas encore que c’était un récit autobiographique. En travaillant sur le film, elle m’envoyait régulièrement ses dessins, dont celles de la mère de Benjamin. Quand elle a appris qu’il s’agissait en réalité de ma mère, cela l’a un peu intimidée. Récemment, elle m’a confiée qu’elle avait craint ma réaction. Mais moi, j’ai laissé une totale liberté à tout le monde de faire ce film, à toute l’équipe, à tous les animateurs. »
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre?
« Savoir pourquoi on écrit une histoire est toujours quelque chose de mystérieux. J’avais déjà écrit un premier roman jeunesse qui avait été publié chez mon éditeur et ami Thierry Magnier. Mon expérience d’adolescent obèse m’a semblé être une bonne base pour parler de l’adolescence, de la difficulté d’être différent quand on a treize, quatorze, quinze ans, de s’accepter comme on est et de se faire accepter tel qu’on est. J’ai choisi l’obésité parce que je possédais une expérience intime avec cet état. D’ailleurs, quand j'ai écrit ‘La Vie, en gros’, j'étais encore très gros… Je faisais quarante kilos de plus qu’aujourd'hui. Mon livre parle avant tout de la différence. Mon projet était donc de me servir de mon intimité pour écrire une histoire universelle. C’est la base du travail d’écrivain. »
Harcèlement scolaire et souffrance cachée
En Tchéquie en particulier, le sujet est d’actualité, étant donné que plus de 60 % des Tchèques sont en surpoids… Le livre et le film évoquent la stigmatisation des personnes obèses, mais il est vrai que l’obésité est un problème récurrent un peu partout dans le monde…
« L’obésité est devenue un fléau international encore beaucoup plus que quand j’étais jeune. J’ai 56 ans et quand j'étais adolescent, j'étais le seul gros dans ma classe ! C’était un phénomène émergent. Actuellement, plus de 50 % des jeunes sont en surpoids. Il est intéressant de voir que l’histoire inspirée de ce que j’ai vécu dans les années 1980 a une résonance encore plus forte aujourd’hui. »
« Par exemple, le film met un accent particulier sur le harcèlement que subit Benjamin à l’école, alors que ce problème était moins fort à mon époque, où il n’y avait pas non plus de réseaux sociaux et de téléphones portables. Le film reflète cette réalité. Moi aussi, on me traitait de gros à l’école, mais en même temps, j'avais des amis, je passais pour quelqu’un de jovial. Voilà ce que font tous les obèses : ils essayent de passer pour des bons gros joyeux qui assument leur poids. Mais ce n’est pas vrai. Dans l’intimité, on est malheureux, quand on est différent. Et c’est cette souffrance que le livre comme le film expriment. »
L’animation a-t-elle apporté quelque chose en plus à l’histoire ?
« Les marionnettes apportent un décalage intéressant par rapport à la réalité. Quand on commence à regarder le film - en tout cas, c’est mon ressenti -, on est assez troublé par cet univers où tout le monde est quand même très laid ! Les gens ont des têtes impossibles. Finalement, Benjamin est presque le plus beau de la bande, il a un visage agréable comparé à ses copains. Puis, au bout de dix minutes, ça devient le monde. Ça devient la vie dans laquelle on rentre. Le film montre quelque chose d’intime et de réaliste, mais il y a un décalage à l’image qui permet, je crois, de faire passer avec légèreté beaucoup d’émotions. Et traiter de l’obésité avec légèreté est une idée très intéressante ! C’est quelque chose que la réalisatrice et son équipe ont très bien réussi à faire. »
La dernière phrase de votre roman est pertinente. Benjamin constate que, finalement, « le meilleur régime, c’est l’amour ».
« En effet, la fin est un peu différente dans le livre et dans le film. Je me rappelle que quand j’ai vu le film pour la première fois, j’étais curieux de savoir si cette phrase était restée. La dernière phrase d’un livre, tout comme la première, est importante. Si Benjamin essaye de maigrir pendant toute cette histoire, c’est pour séduire Claire (Klára, en tchèque). C’est lorsqu’il veut plaire à quelqu’un qu’il se rend compte de son problème de poids. Voilà le moment déclencheur dans mon roman. Donc, il veut maigrir et il n’y arrive pas, mais finalement, ce parcours va lui permettre de mieux s’accepter tel qu’il est. Du coup, Claire commence à le regarder différemment, pas juste comme Benjamin, le gros de la classe. »
Amoureux de Claire, Benjamin se rend compte que la nourriture n’est pas si importante. Il finit par constater que le seul régime qui marche, c’est l’amour.
« Dans mon livre, il y a une histoire d’amour qui se noue entre les deux. Et là, Benjamin découvre que quand on est amoureux de manière très intense, plus rien ne compte, pas même la nourriture ! Pour lui qui est si obsédé par la nourriture, la perte de l’appétit est une découverte. Alors qu’il a tout essayé pour maigrir, le fait de partager son amour avec Claire lui permet de se rendre compte que la nourriture n’est pas si importante. Et donc, il finit par constater que le seul régime efficace, c’est l’amour. Ce que je trouve assez vrai d’ailleurs. À moi aussi, la seule chose qui me coupe l’appétit, c’est d’être amoureux (rires). Par ailleurs, dans le film, la fin est jolie et poétique, mais elle est un peu différente, un peu plus ouverte. Ben et Klára s’aiment-ils ? Ou sont-ils juste devenus des amis intimes ? On ne sait pas. »
À Prague, vous avez vu le film pour la première fois en tchèque. Quelles étaient vos impressions ?
« Ça m’a beaucoup plu ! J’avais déjà vu le film trois fois en France et deux fois dans sa version anglaise au Festival d’Annecy, ce qui fait que je commence à le connaître très bien. Je connais les dialogues, qui ne sont pas les miens, même si quelques phrases précises ont été reprises du livre. Du coup, en regardant le film, je pouvais quasiment comprendre le tchèque, alors que je ne parle pas un mot ! Cela m’a permis de le suivre avec un grand plaisir. J’ai beaucoup aimé les voix des jeunes comédiens pour les rôles des adolescents, ce qui n’était pas le cas, je crois, en France, où les voix sont celles d’acteurs adultes. Kristina Dufková et son équipe ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans ce film. C’est pour ça qu’il est si sincère et si touchant. »
« La Vie, en gros » a été nommé aux Prix du cinéma européen dans la catégorie des longs métrages d’animation. La cérémonie de remise des prix aura lieu à Lucerne, en Suisse, le 7 décembre prochain.