La vulgarisation scientifique, arme de la propagande communiste
« La Science va à la rencontre du peuple - Věda jde k lidu » - c’est sous ce titre qu’est sorti aux éditions Academia un livre qui retrace les activités de l’Association tchécoslovaque pour la diffusion des connaissances politiques et scientifiques et la vulgarisation scientifique dans la seconde moitié du XXe siècle. Doubravka Olšáková, auteure de ce livre richement documenté, dresse le bilan des activités de l’Association et démontre que la vulgarisation scientifique est devenue sous le régime totalitaire en Tchécoslovaquie un instrument efficace de propagation de l’idéologie communiste.
L’Association créée en 1952 a existé jusqu’à la chute du communisme en 1989 et aujourd’hui encore il y a en Tchéquie une organisation née sur les bases jetées par l’Académie socialiste et qui peut donc être considérée comme son héritière. Les activités de l’Association ont bientôt pris une ampleur impressionnante. Doubravka Olšáková précise qu’au début des années 1960 l’association publiait mensuellement plus de 300 000 exemplaires de revues, livres, brochures et encyclopédies, dont nombreux remplissent encore aujourd’hui les rayons des bibliothèques d’institutions et de beaucoup de foyers :
« L’Association couvrait tous les domaines et disciplines scientifiques, ses différentes sections s’occupaient de physique, de chimie, d’agriculture, des sciences agricoles, des sciences biologiques, etc., etc. Si nous voulons traduire ces activités en chiffres nous constatons qu’au début des années 1950 l’Association ne réunissait qu’un petit nombre de participants et n’organisait qu’un nombre modeste de conférences. Cependant, nous voyons que vers la fin de ses activités dans les années 1970-80, le nombre de participants atteignait déjà 8 à 10 millions. »Presque deux tiers de la population tchèque ont été donc plus ou moins engagés dans les activités de l’Association mais l’auteure ajoute que cela ne veut pas dire que tous les habitants de Tchécoslovaquie assistaient à ces conférences. Quoi qu’il en soit, ces activités, et même des cycles entiers de conférences et de cours, sont souvent obligatoires et les ouvriers et les agriculteurs tchèques sont poussés par divers moyens à y assister. Ainsi on augmente d’une façon artificielle le nombre de ceux qui fréquentent ces cours et conférences et la participation à ces activités devient un phénomène de masses.
Une des disciplines importantes de la vulgarisation scientifique en Tchécoslovaquie est l’athéisme (ou la pédagogie de l’athéisme) qui a pour objectif de déraciner les croyances religieuses des Tchèques et des Slovaques et de les convaincre que Dieu n’existe pas. Des moyens importants et parfois astucieux sont mobilisés dans ce combat contre les religions. Doubravka Olšáková rappelle dans ce contexte que par exemple le célèbre film « Voyage dans la préhistoire » du réalisateur Karel Zeman, un grand classique du cinéma tchèque, a été tourné sur commande dans le cadre du système de vulgarisation scientifique. Ce film sur quatre gamins qui se retrouvent dans la préhistoire et découvrent les différentes phases de l’évolution de la Terre, avait pour objectif de démontrer l’inexistence de Dieu.Dans les années 1950, période des aberrations staliniennes, sont organisées des actions comme celle intitulée « Au secours de la campagne », dans le cadre desquelles sont appliquées dans l’agriculture certaines théories soviétiques qui se montrent finalement erronées ou inefficaces. Dans les années 1960 se produit cependant une grande libéralisation politique. L’Association change de nom et s’appelle désormais l’Académie socialiste. Elle n’est plus obligée de copier la Société soviétique pour la diffusion des connaissances politiques et scientifiques mais elle peut entrer en contact avec des organismes de son genre en Allemagne de l’Est et même en Allemagne fédérale, en France, en Suède et en Norvège. Doubravka Olšáková constate que les critères idéologiques deviennent moins rigoureux et l’Académie s’ouvre à de nouvelles idées :
« Par exemple, grâce à cette ouverture à de nouveaux thèmes et de nouveaux partenaires, la pédagogie de l’athéisme, qui était une des activités principales de l’Académie socialiste, commence à se transformer en discussion sur le rapport entre le marxisme et le christianisme. Et c’est un thème qui suscite un vif écho dans la société dans les années soixante. Par contre, dans les années soixante-dix, après l’occupation de la Tchécoslovaquie, c’est le retour au passé, retour à l’exemple soviétique, aux délégations venues de Moscou, etc. Et dans les années quatre-vingt, c’est encore l’ouverture à de nouveaux thèmes. La normalisation prend fin et par exemple le professeur Zdeněk Matějček ose évoquer pour la première fois le thème tabou des enfants handicapés, pose la question à savoir comment traiter un enfant handicapé et quelle est la signification du fait que nous ayons un enfant handicapé. Parmi les thèmes qui s’imposent dans la discussion publique il y a aussi l’environnement : comment protéger l’environnement contre la pollution. Le choix des thèmes suit donc en quelque sorte l’évolution politique. »
La distance dans le temps permet aujourd’hui à Doubravka Olšáková de tirer quelques conclusions. Son livre démontre par d’innombrables documents que le régime communiste a su mobiliser d’immenses moyens pour endoctriner la population. Au premier abord on pourrait dire que cette tentative d’endoctrinement s’est soldée par un échec, mais l’auteure estime que c’était une tentative réussie. A son avis, aujourd’hui encore de nombreux résidus des activités de l’Association tchécoslovaque pour la diffusion des connaissances politiques et scientifiques persistent dans la conscience collective des Tchèques. Parmi ces résidus il y a, d’après elle, par exemple, les sympathies pour le nucléaire largement répandues dans la population qui sont le résultat d’une campagne savamment orchestrée en faveur de la physique nucléaire et de son exploitation pacifique par les chercheurs communistes. Et elle y ajoute également l’athéisme des Tchèques :« Quand nous considérons aujourd’hui les résultats des activités de cette association, nous devons constater que les Tchèques sont un des peuples les plus athées dans le monde. Et il faut se poser donc la question à savoir dans quelle mesure c’est l’héritage de la vulgarisation des sciences dans les années 1950-60. »