L’affaire Huawei met de l’eau dans le gaz entre Prague et Pékin

Photo: ČTK/AP/Andy Wong

Depuis quelques années, sous l’impulsion notamment du chef de l’Etat Miloš Zeman, les relations entre Prague et Pékin peuvent être qualifiées de très bonnes. Mais les soupçons d’espionnage formulés à l’encontre de la société Huawei par le bureau tchèque en charge de la sécurité cybernétique et la réaction de l’ambassade chinoise en Tchéquie pourraient troubler cette belle entente…

Andrej Babiš,  photo: ČTK / Vladimír Pryček
A la mi-décembre, le Bureau national pour la sécurité cybernétique et d'information (NÚKIB) émettait un avertissement recommandant aux institutions de l’Etat tchèque et aux entreprises les plus sensibles d’éviter l’utilisation des équipements des géants chinois des télécoms Huawei et ZTE. D’après cet organisme et comme le répètent depuis plusieurs mois les Etats-Unis, ces appareils pourraient permettre à Pékin de collecter du renseignement. En réaction, le gouvernement tchèque annonçait avoir pris les mesures nécessaires.

De son côté, l’ambassadeur chinois en poste à Prague, Zhang Jianmin, demandait une rencontre en urgence avec Andrej Babiš. Il l’a obtenu et, dans la foulée de l’entrevue, à la veille de Noël, l’ambassade chinoise publiait un communiqué dans lequel elle notait entre autres que le Premier ministre tchèque avait souligné que l’avis émis par le NÚKIB « ne représentait pas la position du gouvernement tchèque », une sortie saluée par la présidence de Huawei Europe.

Pour cette rencontre, Andrej Babiš a alors été sous le feu des critiques de l’opposition. « Irresponsable » pour quelqu’un garant de la cybersécurité du pays, a estimé un représentant du parti des Pirates. La servilité dont aurait fait preuve le Premier ministre a également été dénoncée. « La République tchèque est entre les mains de collaborateurs serviles de puissances non-démocrates », a même réagi Miroslav Kalousek, du parti conservateur TOP 09.

Jeudi, M. Babiš a à son tour pris la plume pour répondre par SMS aux questions de la Radio publique tchèque. Rappelant que le gouvernement avait pris au sérieux l’avertissement du NÚKIB, le leader du mouvement ANO a pointé du doigt la communication de l’ambassade chinoise :

« L’ambassadeur chinois a commenté de façon inhabituelle et publiquement une rencontre qu’il avait demandée en urgence et lors de laquelle il a exprimé de manière non standard la position de la partie chinoise. Je ne sais donc pas de quoi parle l’ambassadeur. Comme je l’ai dit, sa communication est très inhabituelle. »

Le directeur de l’Académie diplomatique, le chrétien-démocrate Cyril Svoboda, considère que les diplomates chinois profitent du fait que Miloš Zeman, qui œuvre depuis le début de sa présidence au rapprochement avec Pékin, a récemment mis en doute les conclusions des services de renseignements tchèques, et notamment du BIS, sur l’activité des agents chinois en République tchèque. L’ancien ministre des Affaires étrangères pense lui aussi que l’ambassade chinoise n’a pas agi correctement :

« C’est brutal et c’est tout à fait inapproprié. De ce point de vue, le chef du gouvernement a raison parce que le Bureau national pour la sécurité cybernétique et d'information ne fait qu’agir en fonction de ce que prévoit la loi. […] C’est une habitude de la diplomatie chinoise. Normalement, cela ne se fait pas. »

Photo: ČTK/AP/Andy Wong
La partie chinoise n’a pas souhaité faire d’autre commentaire. Avant la mi-janvier, le ministre des Affaires étrangères tchèque Tomáš Petříček rencontrera à son tour l’ambassadeur chinois. L’occasion d’arrondir les angles même si le social-démocrate prétend que le différend ne sera pas au cœur de la discussion :

« Cela sera l’un des sujets abordés lors de cette rencontre. Néanmoins, j’aimerais en même temps discuter de points importants de nos relations mutuelles, notamment pour préparer différentes activités en 2019. Mais les conclusions du NÚKIB seront aussi un des thèmes que nous aborderons. »

De son côté, le NÚKIB devrait fournir prochainement des informations complémentaires au gouvernement sur cette affaire Huawei, laquelle semble comme jeter un froid entre les deux pays.