L’année du cirque à Plzeň : lier la culture au spectaculaire
Ceux qui étaient présents à Plzeň le weekend dernier lors de la cérémonie d’ouverture n’auront pas manqué de remarquer ce funambule qui a réalisé une impressionnante traversée de la place de la République, 60 mètres au-dessus du sol… Et ce n’est que le début ! Le cirque nouveau sera à l’honneur lors de cette année de la culture à Plzeň, à travers des spectacles répartis sur toute l’année de neuf compagnies différentes venant de France, d’Italie, du Canada et de Suisse. Elles présenteront des spectacles de cirque contemporain qui se jouent des caractéristiques du cirque classique et repoussent toujours les limites du corps humain. David Dimitri, le fameux funambule héro de la soirée d’ouverture, fait partie des artistes invités pour cette saison, et, dans un entretien accordé à Radio Prague, il nous a parlé de son spectacle, du nouveau cirque, des réactions du public, et de la politique culturelle française.
« Je voulais choisir des spectacles qui soient accessibles au plus grand nombre, pour ceux aussi qui ne sont pas habitués à aller au théâtre ou aux expositions, tout en leur proposant des choses de qualité. C’est pour cela que j’ai cherché à introduire du cirque, mais je n’étais pas intéressé par des spectacles de cirque de type traditionnel ou de cabaret, mais quelque chose de plus attractif, à la frontière entre le spectaculaire et le théâtre. »
La saison de cirque nouveau s’ouvre cette semaine avec la performance du funambule Suisse David Dimitri, qui avait donné un aperçu de ses talents lors de la cérémonie d’ouverture, où il a traversé la place de la République pour atteindre le clocher de la cathédrale Saint-Barthélemy, marchant sur une corde à 60 mètres au-dessus du sol. Lors de la conférence de presse le lendemain, il raconte, avec humour, l’excitation avant de monter sur le fil, le stress de la préparation et les petits imprévus liés aux conditions climatiques. Pour réussir une telle expérience, certes incroyable, émouvante, mais aussi extrêmement dangereuse, il faut un entrainement très solide. Pour David Dimitri le montage du fil fait, en effet, partie de son entrainement :« Je fais partie de l’équipe, et ça me permet de rester conditionné au maximum, pour avoir une réserve de force pour des cas où…il faut sauver sa propre vie ! Je compose donc mon entrainement avec des exercices à la maison très précis et techniques, et le montage (de la structure du fil, ndlr), juste avant l’évènement, où je suis 24 heures sur 24 en train de monter. C’est très physique, et ça m’aide à être dans de bonnes conditions. »
L’artiste de renommée mondiale, au style de « danse sur fil » bien à lui, est « considéré comme un représentant du cirque classique et un pionnier du cirque nouveau » selon Petr Forman. En une dizaine de représentations du 23 janvier au 5 février, il exécutera à Plzeň le spectacle « L’homme cirque », one man show où il réalise lui-même plusieurs disciplines. Ce spectacle reprend des numéros de cirque traditionnel adaptés et réinterprétés pour être réalisés par une seule personne.« Ce n’est plus un cirque traditionnel comme on le connaît, c’est un cirque un peu différent, j’ai recréé les numéros à ma manière. C’est un cirque poétique, mais aussi très spectaculaire en même temps, il y a par exemple le numéro de canon, que j’ai repris, qui est un très ancien numéro, un classique du cirque. Pour tous ce que je fais dans ce spectacle d’une heure, il fallait recréer les numéros, pour qu’ils puissent marcher en solo. »
Même si ce spectacle se situe à mi-chemin entre nouveauté et tradition, David Dimitri considère son numéro comme faisant résolument partie de ce que l’on appelle le nouveau cirque, qu’il définit avec ses propres mots.
« Dans le nouveau cirque, on utilise la technique de manière différente. Elle n’est plus au premier plan. Dans le cirque traditionnel, le but est de montrer la technique. Dans le nouveau cirque c’est le contraire : on a une idée, et on se sert de la technique pour la réaliser. »Le cirque nouveau, appelé aussi cirque contemporain, propose des performances d’un genre particulier, bien loin des clowns au visage peinturluré et des dresseurs de lions. Les animaux en sont absents ou presque, ainsi que le chapiteau et la piste. Ce qui différencie surtout ce genre nouveau des spectacles plus traditionnels est le lien qu’il cherche à créer entre les numéros successifs, incorporant ainsi un peu de théâtre dans le cirque. Klára Doubravová, en charge de la saison ‘Le cirque nouveau’, exprime cette idée.
« Les performances sont connectées les unes avec les autres, pour créer une histoire, et en même temps toutes ces personnes ont toutes ces capacités gymnastiques et mêmes musicales vraiment spéciales. Les compétences acrobatiques sont quelque chose que l’on peut avoir ou non, mais dans le nouveau cirque, cela va au-delà de cette simple compétence. Les artistes cherchent à construire une histoire et quelque chose de plus profond. »
Un même collectif reste en scène tout au long du spectacle, permettant ainsi la naissance d’une esthétique particulière, propre à la compagnie. Parmi les précurseurs de ce genre, on retrouve les Canadiens du Cirque du Soleil et les Français du cirque Plume, bien connus déjà du public français. Ce cirque contemporain a ouvert la porte à une foule d’expérimentations artistiques, développant plusieurs registres, celui du spectaculaire bien sûr, mais aussi de l’humour, de la poésie, de la provocation ou encore de l’absurde. Comme le cirque nouveau mélange des propositions artistiques avec des performances spectaculaires, il est le plus à même d’attirer beaucoup de personnes d’horizons différents, et d’inviter un peu plus de culture dans la vie des Pilsenois. Klára Doubravová explique cette volonté.« Petr a choisi des spectacles parfaitement accessibles à tous. Les gens ici en République Tchèque ne sont pas forcément habitués à aller au musée ou au théâtre. Il voulait montrer aux gens que les spectacles de nouveau cirque sont très ouverts et que tout le monde peut les apprécier, enfants, étudiants… Absolument tout le monde. Il voulait inviter les Pilsenois à voir ce type de spectacles et leur montrer que l’art, c’est aussi ça. »Les spectacles de cirque nouveau comme celui de David Dimitri attirent toutes sortes de personnes, d’âge, de culture et de catégories sociales différents, ce qui mène l’artiste à remarquer des réactions au spectacle variant selon le public.
« Je remarque quand c’est un public qui consomme beaucoup de télé, et j’arrive à sentir quand c’est un public qui va beaucoup au spectacle, qui voit beaucoup de choses, qui va au musée… Les réactions sont différentes, effectivement. Les gens qui vont aux spectacles, ils sont familiers avec la chose d’aller au spectacle. Quelqu’un qui ne va jamais au spectacle, ou rarement, qui est plutôt à la maison en train de regarder la télévision, cette personne va peu applaudir. La télé, c’est quelque chose de très loin, et devant un spectacle vivant, ces gens-là sont souvent dans un autre monde, et ils ne réagissent pas, mais pas parce qu’ils n’aiment pas ! C’est plutôt parce qu’ils sont tellement bouleversés, dans un autre monde, qu’ils oublient de réagir. »
David Dimitri a été repéré dans un festival par Petr et Matej Forman, les deux frères hommes de théâtre très populaires en République Tchèque. Petr Forman, en charge de la programmation artistique, a alors proposé à David Dimitri de venir à Plzeň pour l’occasion de l’année 2015. David Dimitri connaît bien les autres groupes de cirque choisis par Petr Forman qui figurent dans le programme de la capitale européenne de la culture.« Je les connais presque tous, Trottola, Akoreacro… Ce sont des grandes compagnies, que j’ai vu grandir, à côté de moi. Ce sont les meilleures compagnies qui existent en ce moment. Elles tournent beaucoup en France, et ce sont beaucoup de compagnies françaises. Mais ça c’est évident, parce que la France est le pays le plus avancé dans le nouveau cirque au monde. »
Cette présence importante de compagnies françaises est notable. Sur les neuf groupes de cirque qui se présenteront cette année à Plzeň, six sont français. Quand on demande à David Dimitri pourquoi la France détient un tel patrimoine de cirque nouveau, la réponse lui semble évidente :
« C’est parce que la France a une politique culturelle unique au monde, et j’espère que ça va toujours exister. Il y a surement des personnes, surtout dans la politique, qui pensent que c’est de l’argent gaspillé, mais en fait ce que la France a fait dans la culture ça n’a pas été surpassé ailleurs. Cet investissement dans la culture est très important. C’est grâce à cela que les plus grandes compagnies sont françaises. »
C’est sur ces mots plein d’enthousiasme que s’achève notre rubrique culturelle. Rendez-vous donc cette année à Plzeň pour les spectacles de cirque, mais aussi pour les autres évènements proposés par la ville, comme une excellente exposition de Jiří Trnka, marionnettiste et illustrateur originaire de la ville, ouverte jusqu’au 10 mai, ou encore le festival de la lumière, qui propose installations et mapping vidéo le mois prochain.