L'architecture tchèque contemporaine : 2ème partie

Après avoir abordé les constructions controversées de la capitale pragoise, notamment le quartier de Smichov, projet de Jean Nouvel, la place Charles ou encore la Maison dansante sur les bords de la Vltava, rivière qui traverse la ville, la Tchéquie au quotidien s'attaque cette fois-ci, comme promis, au second volet de notre sujet consacré à l'architecture tchèque contemporaine. Tout en s'efforçant de laisser quelque peu de côté Prague et de visiter le reste du pays, les questions de fond posées dans la première partie restent toutefois identiques : l'architecture tchèque est-elle en train de redorer son blason ? Est-elle en train de reconquérir des lettres de noblesse qu'elle avait acquis dans la première moitié du vingtième siècle ? L'architecture tchèque contemporaine n'a-t-elle vraiment plus, comme certains critiques l'affirment, qu'un vague rapport, lointain, avec celle de ses glorieux aînés ? Et les architectes tchèques, ou parfois étrangers, sont-ils réellement parvenus à redonner de la couleur au gris des réalisations totalitaires ? Et bien qu'il semble que ce soit incontestablement le cas, cette affirmation peut-elle s'appliquer au reste du pays, et pas seulement à Prague, centre de tous les intérêts et attentions ? Ce sont toutes les questions de cette Tchéquie au quotidien qu'est une nouvelle fois heureux de vous présenter Guillaume Narguet.

Après une période consacrée essentiellement à la construction massive de banques et d'immenses complexes administratifs, il semble que le centre d'intérêt des ateliers d'architectes se recentre sur l'habitat. Ces dernières années, dans les agglomérations des grandes villes, d'innombrables villas au style mal défini ont poussé comme des champignons. Comme si les propriétaires n'avaient pas su se décider entre un petit château de style français, un ranch texan ou une maison forestière bavaroise. Selon les experts, ce ne serait peut-être qu'une réaction aux constructions bolcheviques généralement catastrophiques. Les gens, fatigués de la grisaille des immeubles-cubes et des monumentaux clapiers dans lesquels ils se sentaient (et se sentent toujours d'ailleurs) à juste titre enfermés, se sont enfoncés dans une sorte de « délire » mélangeant toutes sortes de styles. Au lieu de consulter un atelier renommé qui définirait les besoins pratiques et l'atmosphère du lieu où sera construit le nouveau bâtiment, certains clients préfèrent faire leur choix avec un doigt pointé sur une des nombreuses photos des catalogues. Dans le pire des cas, ils n'ont qu'une très vague vision de ce qu'ils voudraient. Résultat ? Ce sont des oeuvres d'un mauvais goût, dont l'outrance peut parfois atteindre une certaine forme de bizarre, en un mot kitsch, qui se sont posées, venues d'un autre monde, au milieu de la campagne tchèque. Mais cette tendance ne pouvait éternellement durer et les premières années de ce nouveau millénaire l'ont heureusement vue s'inverser. La culture d'habitation s'est nettement améliorée, comme si tout le monde avait enfin ouvert les yeux. Ainsi, les ateliers d'architectures et les entreprises en bâtiment admettent qu'aujourd'hui, ce sont des clients de plus en plus cultivés et connaisseurs qui viennent demander leurs services. Ils savent alors précisément ce qu'ils veulent et font confiance aux architectes. En relation avec la tradition du fonctionnalisme des années 30 du XXème siècle, fonctionnalisme dans lequel la Tchécoslovaquie avait tant excellé, ce sont de plus en plus souvent des projets de style raffiné qui voient le jour. Mais subsiste cependant encore un petit problème. Les clients attendent logiquement de leur maison un endroit agréable où habiter et vivre. Or, bien que certains projets soient récompensés par différents prix de revues spécialisées, il n'en reste pas moins que certaines constructions ne sont que le fruit de l'extravagance des architectes. Et c'est justement le cas de beaucoup de ces maisons présentées dans les magazines architecturaux où pratiquement seules les photos sont alléchantes. Quant aux prix, avec un peu de chance et un architecte capable de telles réalisations, il est possible de réaliser un projet simple, pas cher, de qualité et s'intégrant à l'environnement avec un investissement somme toute raisonnable.

Des investisseurs éclairés, dont ne devraient pas manquer de faire partie les villes et l'Etat, sont indispensables pour une bonne architecture. En comparant par exemple Prague à Berlin, où de nombreuses constructions remarquables et dignes d'intérêt ont vu le jour depuis la chute du Mur de Berlin en 1989, il est intéressant de constater que Prague ne peut, finalement, qu'envier les autres villes et ce, même en République tchèque. Comme la formidable bibliothèque de Liberec, en Bohême du nord, ou encore celle de la faculté des lettres de l'Université Masaryk à Brno, en Moravie. La bibliothèque de Liberec, à laquelle est intégré le Centre culturel juif qui prend la forme d'une moitié de l'étoile de David, a même été élue construction de l'année 2001 en Tchéquie. Plus intéressant encore, ce sont les villages les plus retirés du pays qui cachent parfois de véritables bijoux architecturaux. A l'image de Jestrebi na Vysocine et de sa petite chapelle de la Sainte vierge que certains n'hésitent pas à considérer comme l'une des créations architecturales les plus expressives de la dernière décennie. L'architecte avait alors, avant la mise en oeuvre du projet, consulté les paroissiens locaux et avait tenu compte de leurs envies et visions.

Mais la seule construction tchèque à faire partie de la prestigieuse liste des dix plus belles constructions du monde des années 90, liste établie par le magazine Structural Engeneering International, est le pont Mariansky, oeuvre de l'architecte Roman Koucky, à Usti nad Labem. Pourtant, avant que les médias ne commencent, suite à la récompense, à s'y intéresser et à faire, ainsi, la fierté des habitants de la ville, ce furent des vagues de critiques qui se succédèrent. Non seulement à cause de son coût astronomique, plus de 27 millions d'euros, que la ville dût prendre en charge, mais aussi des craintes esthétiques que le projet provoquait avant sa réalisation. Finalement, aujourd'hui, à son évocation et surtout sa vision, nombreux sont les pessimistes d'alors à admettre qu'il est heureux que la prise de décision et l'esprit d'entreprise des courageux aient, à l'époque, eu la préférence des décideurs.

Car autrement, il faut reconnaître que l'architecture tchèque de ces dernières années n'a pas vraiment impressionné et marqué le reste du monde. Très rares sont les jeunes architectures reconnus à l'étranger. Pourtant, l'architecture tchèque a longtemps provoqué l'admiration. Qu'il s'agisse du style « art-nouveau » pragois, de l'architecture cubiste unique, des constructions fonctionnalistes à l'époque de la première République et même à la fin des années cinquante socialistes avec le pavillon de Bruxelles et le restaurant à l'Exposition universelle de 1958. Alors, qu'est ce qui attend l'architecture tchèque ? Qui aura raison ? Les pessimistes, déjà évoqués, ou les optimistes qui croient en un retour des années dorées ? Des constructions comme la Maison dansante ou le pont Mariansky laissent croire que l'architecture tchèque a toujours son mot à dire.