L'Art nouveau tchèque à travers un exemple: la Maison municipale de Prague (Obecni dum)

La Maison municipale
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C'est un des monuments les plus prestigieux et les plus visités de Prague, mais son histoire est peu connue. Pour en expliquer l'intérêt et la complexité, il est nécessaire de faire un petit rappel historique.

En 1620, les états tchèques perdent la Bataille de la Montagne Blanche contre l'empire habsbourgeois auquel ils seront alors rattachés pour une période de 300 ans. Cette annexion ne sera jamais totalement acceptée par un peuple habitué à l'indépendance et, c'est à la fin du XIXème siècle, que les revendications d'autonomie se radicalisent. Le peuple tchèque gagne certaines victoires comme en 1897, lorsqu'une nouvelle loi rétablit la langue tchèque en tant que langue nationale, à côté de l'allemand, dans un système bilingue.

Les mouvements populaires d'influence nationaliste inquiètent l'ordre impérial. L'empereur François-Joseph veut absolument éviter les deux dangers les plus redoutables à ses yeux : « les revendications d'indépendance et les revendications sociales ». Il accepte donc de faire un certain nombre de concessions afin d'apaiser les tensions qui pourraient menacer l'empire.

La Maison municipale
Ces concessions se retrouvent dans la libre expression de nouveaux courants artistiques et architecturaux, dont celui de la « Secese », branche tchèque du courant Art Nouveau ; ou autrement dit : l'art de la Sécession. C'est en effet l'esprit du « réveil national » qui devient la source principale d'inspiration des artistes praguois. La date de fondation de la « Secese » peut être considérée comme 1898, période où, dans la plupart des pays européens, émergent des courants à la fois semblables et différents de l'Art nouveau français : le Jugendstil, le Liberty italien .... Plusieurs particularités distinguent la branche tchèque de ses influences viennoises ou parisiennes, mais domine surtout un mélange de modernisme et de tradition. La nouvelle architecture ne marque pas de contraste violent avec les vieux immeubles de la ville, elle s'insinue plutôt de manière discrète et délicate. De plus, c'est un mouvement accepté par le pouvoir, utilisé pour la construction de bâtiments officiels (Théâtre national, Hôtel de ville) et devient donc le langage par lequel l'autorité de la ville confie le soin de se mettre en valeur, de se glorifier.

L'architecture de « l'Obecni dum » est représentative de cette « modernité classique ». En effet ses deux architectes (Antonin Balsanek et Osvald Polivka) sont d'influence différente : si bien que l'on peut y observer un mélange de néo-classicisme, néo-baroque et d'Art nouveau. La construction de la Maison municipale est née de la volonté des citoyens de Prague qui voulaient bénéficier d'un grand centre culturel au coeur de la ville, un bâtiment qui puisse abriter tous les groupes artistiques alors en pleine expansion. L'emplacement choisi est grandement symbolique : il s'agit de celui de l'ancien Palais royal, en plein centre de Prague. Cet ancien palais était la résidence des rois de Bohème de 1383 à 1485, puis a été abandonné pour servir de séminaire, ainsi que de collège militaire. On ne rase cependant pas complètement ce qui reste des fortifications du XIIIème siècle : on laisse érigé la Tour poudrière un autre symbole historique, construction qu'il faudra prendre en compte dans l'élaboration du plan de la Maison.

La future Maison municipale est conçue pour être une représentation digne de la culture tchèque, selon une vision égalitaire du service public : c'est un énorme complexe culturel sensé recevoir la visite aussi bien d'intellectuels et de bourgeois que de membres de la classe ouvrière. Les salles aux fonctions différentes s'articulent selon un plan en losange irrégulier, autour d'un hall d'entrée central et d'un escalier monumental, seules parties aujourd'hui libres d'accès. On y compte aussi bien des restaurants et cafés que des salles de réception, de congrès, de travail et la grande salle de concert : la salle Smetana.

De très nombreux artistes tchèques ont accepté de collaborer à la décoration de l'édifice (malgré un faible financement), ce qui contribue à un ensemble hétérogène et complexe. Le plus célèbre d'entre eux est bien sûr Alfons Mucha, qui, quoi qu'en disent parfois les vendeurs de billets de la majestueuse maison n'a participé au décor que d'une seule pièce : la salle du Maire. Mucha aurait pourtant bien voulu décorer l'intégralité du bâtiment, mais à l'époque il est beaucoup moins populaire qu'aujourd'hui. On lui reproche son manque de modernité, on lui reconnaît juste son talent de dessinateur d'affiches. De plus, il utiliserait une symbolique trop facile, trop légère, agrémentée de motifs décoratifs trop abondants. Ne lui furent donc confiés que les fresques et vitraux de la très belle salle, décision qui ne fit d'ailleurs pas l'unanimité, étant donné les critiques à l'égard de cet artiste expatrié, qui ne reviendrait à Prague qu' « avec condescendance ».

La salle du Maire est une pièce circulaire qui a une position privilégiée dans la maison : au centre de la façade principale, juste au-dessus de la prestigieuse entrée ornée d'une élégante marquise. Mucha suit très bien l'idéologie de la Maison dans son programme pictural : en effet, il y glorifie la nation et l'histoire tchèque par des motifs folkloriques et des portraits de héros nationaux représentant les vertus humaines. Par exemple, la justice est représentée sous les traits de Jan Hus et Jan Zizka devient la figure emblématique de la résistance. Le message politique des fresques est encore plus limpide. L'une d'entre elles s'inspire du texte : « Humiliée et brisée - tu revivras, ma Patrie abandonnée !. »

Ainsi tous les motifs décoratifs de la Maison municipale sont inspirés des emblèmes de Prague et de la Bohême, de figures allégoriques de la cité, dans le but de mettre en valeur un pays et un peuple qui est alors en quête de son identité perdue, qui revendique sa singularité au sein de l'immense empire austro-hongrois. Le visiteur qui se trouve à l'extérieur du bâtiment est d'ailleurs accueilli par l'inscription monumentale : « Porte toi bien, Prague! Brave le temps et le mal. Toi qui résistes depuis toujours à toutes les épreuves ».

La valeur symbolique de l'édifice se maintiendra dans les années suivantes puisque inauguré en 1912, il sera l'endroit du rassemblement du comité national tchécoslovaque et celui de la proclamation de l'indépendance de la République tchécoslovaque, le 28 octobre 1918.

La Maison municipale, située à l'intersection de la rue Na Prikope et de la place de la République offre un très bel échantillonnage de l'Art nouveau et peut aujourd'hui être visitée, accompagné d'un guide parlant tchèque ou anglais. Sinon, vous pouvez toujours aller vous desaltérer ou dîner dans l'un des restaurants de la Maison, qui, malheureusement gagnée aujourd'hui du même prestige que celui des autres bâtiments historiques de Prague affiche des prix relativement onéreux.

Auteur: Caroline Krzyszton
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