Laurent Mauvignier: Je sais disparaître derrière mes personnages.

Laurent Mauvignier, photo: Ulf Andersen/Gamma

C'est à l'Institut français, à la faculté des Lettres de l'Université de Prague, mais aussi à l'Alliance française de Ceské Budejovice en Bohème du Sud que le public tchèque a eu l'occasion de connaître, ces jours-ci, l'écrivain français Laurent Mauvignier. Auteur de plusieurs romans appréciés par la critique, lauréat du prix Livre Inter, il étonne par l'art de donner la vie à ses personnages, son style dépouillé et la précision de sa langue. Il a répondu à quelques questions de Vaclav Richter.

Vous avez dit dans une interview : "Je ne sais pas ce qu'est la vérité. Je sais seulement qu'il y a des trucs qui n'en sont pas." Peut-on en déduire que vous dénoncez par votre travail littéraire ce qui n'est pas la vérité ?

"Je n'aurais pas cette prétention-là, mais disons que souvent on s'embarrasse de tellement de choses et de tellement d'artifices. Parfois, il y a un mouvement d'humeur, mais non pas pour dénoncer les choses et les mensonges, parce que la vérité dans un livre est la vérité parcellaire qui appartient à des personnages. Mais en plus c'est la vérité d'une perception, j'ai envie de dire que ce n'est pas la vérité "vraie", ce ne sont que des perceptions. C'est pourquoi d'ailleurs je tiens à un monologue parce que le personnage, à ce moment-là, n'a que son point de vue et c'est la seule vérité qu'il a."

Est-ce que vous admettez que vous pouvez vous tromper aussi ?

"Ah bah, bien sûr. Moi, d'une certaine manière, je ne sais pas donner mon avis. J'essaie vraiment de laisser la place aux personnages. C'est ce que j'aimerais c'est que ma parole soit presque neutre dans le sens où elle s'abolirait dans de multiples contradictions. C'est à dire, on pourrait envisager tous les possibles autour d'une question. J'aimerais qu'au bout du compte on ne soit pas capable de dire ce que l'auteur en pense. Je ne suis pas un auteur à message, je sais disparaître derrière les personnages."

Maintenant vous vous trouvez à Prague. C'est une ville littéraire. Il y a des écrivains français qui ont séjourné à Prague, par exemple Paul Claudel ou plus près de nous Sylvie Germain. Prague les a impressionnés et s'est reflétée, dans une certaine mesure, dans leurs oeuvres. Quelle est votre impression de Prague ?

"C'est étrange, on a l'impression de connaître cette ville parce que, effectivement, c'est une ville mythique, on a en beaucoup parlé, on a vu beaucoup d'images, etc. Et en même temps, cela a une puissance d'évocation, le mot qui me vient à l'esprit, c'est "hallucinant". Tout à l'heure je pensais au pont Charles et ces grandes figures noires, ces statues me faisaient penser à Dante. On a vraiment l'impression que c'est l'entrée de l'enfer. J'y suis retourné hier soir, il n'y avait plus personne, tant mieux puisque dans la journée c'est un peu difficile, et ces grandes figures étaient vraiment impressionnantes."

Est-ce que cela se reflétera d'une façon ou d'une autre dans quelques écrits de vous ?

Peut-être. Tout est bon pour ça. Une ville comme ça, j'ai envie de dire qu'elle y est déjà avant, de toutes façons. Parce qu'elle est chez d'autres écrivains, elle est d'une certaine manière intégrée. Elle est plus là comme une confirmation, parce que j'y trouve des choses qui résonnent. Je ne sais pas si elle peut servir nommément, mais son atmosphère oui, c'est sûr."

(Vous pouvez entendre l'intégralité de cet entretien, ce samedi, dans la rubrique "Rencontres littéraires".)