Laurent Mauvignier, un écrivain que la littérature aide "à tenir le coup"
Silhouette svelte et fragile, voix timide, regard interrogateur - c'est ainsi que s'est présenté au café de l'Institut français de Prague celui que la critique considère comme l'espoir de la littérature française. Laurent Mauvignier, né en 1967, est un auteur délicat qui ne s'impose pas par de grands mots et de grands gestes. Cet "écrivain si dérangeant, si différent des autres," pour reprendre les termes de Jerôme Garcin du Nouvel Observateur, est entré dans la littérature en 1999 avec le roman "Loin d'eux". En 2001 il a reçu le prix Livre Inter pour son livre "Apprendre à finir" et depuis ce temps-là il continue à publier pratiquement tous les ans un nouveau roman. Au premier abord, Laurent Mauvignier n'a rien d'une célébrité, mais il gagne vite les sympathies de ses interlocuteurs par son manque d'affectation et l'attention convaincante qu'il prête à leurs questions.
Pourquoi écrivez-vous? Est-ce qu'il y a une réponse à cette question?
"Il y en a sans doute plusieurs. Voilà le genre de questions qu'on ne se pose pas en fait. C'est comme si on demandait "Pourquoi respirez-vous?" Je ne sais pas. C'est tellement lié à l'enfance, parce que pour moi c'est vieux comme l'enfance en fait, cette affaire-là. Donc je ne sais pas répondre franchement. C'est vrai c'est une question que je ne me pose pas. Je sais juste qu'entre deux livres c'est plus difficile de ne pas écrire que d'écrire. Je me sens plus mal à l'aise quand je n'écris pas. Peut-être que j'écris tout simplement pour céder à vivre, pour essayer de coordonner la vision que je peux avoir du monde, peut-être pour me ressembler, je ne sais pas."
Est-ce que cette idée de devenir écrivain vous est venue déjà dans votre enfance?
"Au début ce n'était pas l'idée de devenir écrivain. Ce n'a même pas été une idée. Quand j'étais enfant, j'ai été à l'hôpital et on m'a offert des cahiers et aussi un livre. Je m'en souviens, c'était un livre de la comtesse de Ségur, et c'est vrai, je me souviens d'avoir lu ce livre, les cahiers à côté, et comme c'était à l'hôpital, avec envie de raconter des histoires. Mais alors là c'était les histoires d'un enfant qui galopait un peu partout dans les champs, etc. En ce temps-là j'étais immobilisé et je me suis dit: "Voilà, c'est bien qu'il y ait quelque chose comme ça." Et depuis voilà, ça a continué. Avec des moments où ça s'est arrêté parce qu'au fur et à mesure qu'on commence à lire et à comprendre ce que peut être l'écriture, à entendre parler de cette idée de ce que peut être un écrivain, etc., ça devient un peu autre chose et ça fait un peu peur. Et on arrête. Moi je sais que j'étais un peu effrayé en fait. Ecrire, ça me tentait, mais l'idée de devenir écrivain ne me tentait pas tellement. L'écrivain c'est Victor Hugo. Vous voyez quand on est adolescent, il y a ces espèces de figures qui sont un peu effrayantes."
Où cherchez-vous les thèmes de vos livres? D'où ça vient?
"Les livres se répondent un peu, les uns aux autres. D'où ça vient? Je ne sais pas exactement dire pourquoi j'ai choisi tel ou tel thème etc., je sais juste que cela peut ou cela ne peut pas être. C'est à dire que j'ai essayé plein de choses, des tonnes et des tonnes d'écriture, et chaque fois il y a quelque chose qui répond et quelque chose qui ne répond pas. Et à un moment il y a un texte, j'ai envie de dire, ça se décide un peu en creux, finalement. On enlève tout ce qui ne peut pas être et puis à un moment ça va plus vers une chose et pas vers une autre."
Est-ce que vos personnages ont beaucoup de choses en commun avec vous?
« Oui je reviens souvent à cette idée là, à des hypothèses de ce que je pourrais être sans écriture. C'est une question que je me pose des fois. Je me dis: Tiens, s'il n'y avait pas d'écriture ..." Et souvent quand je vois des gens, je me dis: Tiens, ils n'ont pas d'écriture pour les aider à tenir le coup. Et c'est vrai que me personnages sont un peu liés à ça."
"Il écrit dirait-on dans la position du témoin, de celui qui partage, qui souffre avec ses personnages en inventant la parole même de cette souffrance. En la tirant de son propre fond, puis en s'effaçant," écrit dans le Monde Patrick Kéchichian à propos du roman "Seuls" de Laurent Mauvignier. En nous faisant entendre les monologues de ses personnages, l'auteur plonge peu à peu dans le secret des existences de ces héros souffrant en général de la misère morale ou matérielle. On arrive peu à peu à se rapprocher de ces hommes et de ces femmes au bord du désespoir et même à s'identifier avec eux.
Vous avez dit dans une interview : "Je ne sais pas ce qu'est la vérité. Je sais seulement qu'il y a des trucs qui n'en sont pas." Peut-on en déduire que vous dénoncez par votre travail littéraire ce qui n'est pas la vérité ?
"Je n'aurais pas cette prétention-là, mais disons que souvent on s'embarrasse de tellement de choses et de tellement d'artifices. Parfois, il y a un mouvement d'humeur, mais non pas pour dénoncer les choses et les mensonges, parce que la vérité dans un livre est la vérité parcellaire qui appartient à des personnages. Mais en plus c'est la vérité d'une perception, j'ai envie de dire que ce n'est pas la vérité "vraie", ce ne sont que des perceptions. C'est pourquoi d'ailleurs je tiens à un monologue parce que le personnage, à ce moment-là, n'a que son point de vue et c'est la seule vérité qu'il a."
Est-ce que vous admettez que vous pouvez vous tromper aussi ?
"Ah, bien sûr. Moi, d'une certaine manière, je ne sais pas donner mon avis. J'essaie vraiment de laisser la place aux personnages. Ce que j'aimerais c'est que ma parole soit presque neutre dans le sens où elle s'abolirait dans de multiples contradictions. C'est à dire, on pourrait envisager tous les possibles autour d'une question. J'aimerais qu'au bout du compte on ne soit pas capable de dire ce que l'auteur en pense. Je ne suis pas un auteur à message, je sais disparaître derrière les personnages."
Maintenant vous vous trouvez à Prague. C'est une ville littéraire. Il y a des écrivains français qui ont séjourné à Prague, par exemple Paul Claudel ou plus près de nous Sylvie Germain. Prague les a impressionnés et s'est reflétée, dans une certaine mesure, dans leurs oeuvres. Quelle est votre impression de Prague ?
"C'est étrange, on a l'impression de connaître cette ville parce que, effectivement, c'est une ville mythique, on a en beaucoup parlé, on a vu beaucoup d'images, etc. Et en même temps, cela a une puissance d'évocation, le mot qui me vient à l'esprit, c'est "hallucinant". Tout à l'heure je pensais au pont Charles et ces grandes figures noires, ces statues me faisaient penser à Dante. On a vraiment l'impression que c'est l'entrée de l'enfer. J'y suis retourné hier soir, il n'y avait plus personne, tant mieux puisque dans la journée c'est un peu difficile, et ces grandes figures étaient vraiment impressionnantes."
Est-ce que cela se reflétera d'une façon ou d'une autre dans quelques écrits de vous?
« Peut-être. Tout est bon pour ça. Une ville comme ça, j'ai envie de dire qu'elle y est déjà avant, de toutes façons. Parce qu'elle est chez d'autres écrivains, elle est d'une certaine manière intégrée. Elle est plus là comme une confirmation, parce que j'y trouve des choses qui résonnent. Je ne sais pas si elle peut servir nommément, mais son atmosphère oui, c'est sûr."