Le 21 août 1968, trente neuf ans après...
Après étude des documents d'archives concernant l'invasion de la Tchécoslovaquie, le 21 août 1968, l'Institut d'histoire militaire vient avec de nouvelles révélations sur les aspects militaires de cet acte. Pour la première fois depuis les trente neuf ans qui nous séparent de ce sombre événement, les déclarations par lesquelles la direction réformatrice du PCT avait condamné l'intervention des armées des pays « frères » viennent d'être rendues publiques et c'est à ces documents que nous allons nous intéresser, dans cette page d'histoire.
« Pratiquement depuis déjà le mois de janvier 1968, la direction soviétique suivait avec inquiétude l'évolution de la situation en Tchécoslovaquie qu'elle percevait comme une atteinte à l'unité du bloc socialiste et comme une menace pour l'intégrité du Pacte de Varsovie ainsi que pour sa propre sécurité. Des avertissements d'abord indirects apparaissent à partir du mois d'avril 1968 dans les déclarations des généraux de l'armée soviétique, ensuite, d'une façon tout à fait univoque, dans celles du ministre de la Défense, le maréchal Gretchko : tant que les dirigeants tchécoslovaques ne sauront pas mettre de l'ordre dans leurs affaires, l'armée soviétique sera contrainte de venir en aide... »
Ceci dit, y a-t-il lieu de penser que la direction réformatrice dirigée par le charismatique Alexandre Dubcek a sous-estimé la situation? Eduard Stehlik ne le pense pas. D'après lui, les réformateurs autour de Dubcek étaient conscients de la gravité de la situation et ne la sous-estimaient clairement pas. Il est toutefois indéniable qu'une chose a été dite aux dirigeants tchécoslovaques lors des négociations officielles, et une tout autre au moment où ils ont quitté la salle, où les représentants des cinq Etats - la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie, la RDA et l'URSS ont délibéré du sort de la Tchistorie/srpen68bhécoslovaquie en son absence.Les documents d'archives fournissent par ailleurs aussi les témoignages sur la décision de Moscou d'occuper la Tchécoslovaquie. Il en ressort que l'invasion devait avoir lieu plus tôt qu'en août 1968. Eduard Stehlik :
« L'une des premières dates envisagées, lorsque l'ordre a même été donné était le 9 mai 1968. Une division blindée de l'armée soviétique devait profiter des célébrations de la fin de la guerre et pénétrer, dans l'espace de Tesin, au nord de la Moravie, sur notre territoire, et avancer, sous prétexte d'une opération défensive commune face aux puissances occidentales, en passant par Ostrava et Brno pour aller jusqu'à Ceske Budejovice et Tabor, en Bohême du sud. Au dernier moment, l'ordre a été annulé. Une autre date, déjà bien réelle, le mois de juin 1968, pendant lequel la Tchécoslovaquie fut le théâtre des manoeuvres militaires « Sumava ».Les manoeuvres militaires de juin 68 ont été un prélude à l'invasion. Les armées soviétiques en ont profité pour faire la reconnaissance du terrain, mais aussi des aéroports, et du déploiement des armées tchécoslovaques. Des réseaux de liaison ont été édifiés à cette occasion, et des experts militaires étrangers qui n'étaient pas subordonnés à la direction tchécoslovaque ont alors séjourné sur notre territoire. Quant aux officiers tchécoslovaques, ils n'étaient pas tenus au courant des objectifs des manoeuvres. Ce qui était compréhensible, car leur objectif était de maintenir, le plus longtemps possible, de puissants effectifs militaires soviétiques sur le territoire tchécoslovaque, pour qu'ils puissent à n'importe quel moment réprimer l'évolution réformatrice dans le pays.
Trente neuf ans après la nuit fatidique du 20 au 21 août 1968, lorsque les armées ont franchi la frontière de la Tchécoslovaquie, les historiens rendent enfin publics des documents authentiques saisissant la prise de position du PCT à l'égard de l'occupation. Voici la déclaration du congrès exceptionnel du parti convoqué à Vysocany :« Aucun organe tchécoslovaque compétent n'a autorisé l'intervention. Il n'y avait ni contre-révolution en Tchécoslovaquie, ni menace à l'évolution socialiste du pays. »
C'était la dernière tentative des communistes réformateurs de renverser l'évolution des choses. Les délégués du congrès de Vysocany ont condamné l'invasion et ont fait enregistrer le texte de leur condamnation sur disques, en deux langues, tchèque et russe. Petr Blazek des Archives des forces de sécurité du ministère de l'Intérieur explique que ces disques devaient être diffusés dans des hauts parleurs sur les places publiques afin d'informer les citoyens tchécoslovaques, de même que les soldats d'occupation.
Les dirigeants tchécoslovaques ont fini par capituler, à une exception près : Frantisek Kriegel, médecin de profession, qui a refusé de signer le honteux protocole. Frantisek Kriegel a aussi été, le 18 octobre 1968, l'un des quatre députés courageux qui n'ont pas voté le traité sur le séjour des soldats soviétiques en Tchécoslovaquie. Rappelons les propos par lesquels Frantisek Kriegel a alors justifié son refus :
« Le traité est contraire aux principes de la Charte de l'ONU, il est signé dans une atmosphère de pression politique et dans des circonstances qui sont en contradiction avec les principes de coexistence des pays socialistes et avec ceux des documents internationaux. Il est signé en présence de soldats étrangers, non pas par la plume, mais par les canons. »