Le calendrier de l’horloge astronomique de Prague au cœur d’une controverse
L’affaire fait grand bruit depuis quelques jours à Prague : suite à une plainte déposée au ministère de la Culture et plusieurs articles de presse, les Pragois ont découvert que la nouvelle copie du calendrier historié de la célèbre horloge astronomique présentait des changements pour le moins significatifs par rapport à l’original du XIXe siècle.
Avec une histoire remontant à plus de 600 ans, l’horloge astronomique de Prague est la plus ancienne horloge de ce type au monde à être encore fonctionnelle. C’est aussi une attraction touristique majeure du centre-ville de Prague, des milliers de visiteurs se pressant chaque jour au pied de la tour de l’ancien Hôtel de ville pour admirer, toutes les heures, l’incroyable mécanisme médiéval qui fait défiler les douze apôtres, qui anime plusieurs personnages de la façade ainsi que le complexe cadran astronomique du XVe siècle.
C’est sous ce cadran que se trouve depuis 1886 un calendrier figurant les armoiries de la Vieille-Ville, les signes du Zodiaque, mais aussi des scènes de la vie paysanne de Bohême symbolisant les mois de l’année. Œuvre du peintre Josef Mánes, l’original est conservé au Musée de la ville de Prague.
A l’occasion des travaux de restauration de l’horloge qui se sont achevés en 2018, une nouvelle copie réalisée par le peintre académique Stanislav Jirčík a été mise en place. C’est elle qui pose problème à Milan Patka, membre du Club de la Vieille Prague, une association dédiée à la protection des monuments et des sites patrimoniaux de la capitale tchèque. En observant le calendrier, il s’est rendu compte des changements particulièrement importants effectués par le peintre par rapport à l’original :
« Dix visages ont été modifiés sur le calendrier de l’horloge astronomique. Ils sont assez petits, c’est vrai, et il faut se concentrer pour les voir. Mais il y a des choses plus grandes visibles à l’œil nu depuis la place devant l’horloge : par exemple, pour représenter le mois de mai, un couple devant une botte de foin au lieu d’un buisson fleuri, ou encore une femme qui moissonne représentée en mini-jupe au lieu de sa longue jupe d’origine. »
En 2012, en Espagne, la restauration catastrophique d’une tête de Christ par une fidèle de l’église du village de Borja avait fait le tour du monde. On n’en est évidemment pas là avec la nouvelle copie de Josef Mánes, mais le peintre a clairement pris des libertés avec l’original – comme en témoigne aussi l’allégorie du signe du Verseau, dont le visage ressemble désormais plus à celui du joueur de foot Kilian Mbappé qu’à celui imaginé par Josef Mánes…
De même, au lieu de la figure virginale représentant le signe de la Balance qui figure sur l’original, le nouveau calendrier représente une femme plus âgée aux cheveux gris. Un jeune homme vêtu d’une cape a été remplacé par une femme d’âge moyen. D’autres portraits ont également été transformés et présentent des cheveux, des barbes ou des expressions différentes…
Le plus étonnant dans cette affaire, c’est qu’il y ait fallu quatre ans pour que quelqu’un se rende compte des différences frappantes entre l’original et la copie. La question des responsabilités et des compétences dans la chaîne décisionnelle de la mairie de Prague se pose forcément. Milan Patka :
« Je pense que personne n’a supposé à un seul instant que quelqu’un oserait modifier autant l’original. Ce sont des employés de la mairie qui n’ont pas de formation en histoire de l’art qui ont réceptionné l’œuvre et je suppose que ça ne leur est pas venu à l’esprit. Malheureusement, ils n’ont pas fait appel à des experts en art lors de la réception. En tout état de cause, il existe une décision officielle des inspecteurs des monuments historiques de Prague qui spécifie que pour ces grands travaux de restauration de la tour et de l’horloge, une nouvelle plaque en cuivre doit être fabriquée sur laquelle doit être peinte une copie de la peinture d’origine. »
Sans surprise au vu du prestige de ce monument central, au cœur de la capitale tchèque, l’affaire est une source d’embarras pour la mairie de Prague, qui affirme que l’apparence finale de l’horloge avait été discutée à plusieurs reprises avec les experts avant la restauration et qu’ils n’avaient émis aucune réserve à l’époque. L’équipe municipale actuelle rappelle également que ces travaux et leur contrôle étaient du ressort de ses prédécesseurs à la mairie.
Adam Scheinherr, actuel conseiller municipal de Prague pour les transports et la protection du patrimoine, a déclaré au site Seznam Zprávy que si la plainte portée au ministère était justifiée, il n’excluait pas de demander de nouvelles modifications du calendrier.
Alors que 10 millions de couronnes ont été investis par la mairie de Prague dans ces travaux de restauration de l’horloge astronomique, ce n’est pas la première fois que le résultat de ceux-ci sont contestés : en 2019 déjà, des experts avaient fait part de leur consternation en découvrant que la plaque astronomique du cadran était peinte de manière incorrecte.
Quant au principal intéressé, le peintre Stanislav Jirčík, dont des experts estiment qu’il a croqué certains de ses proches dans sa version pour le moins très personnelle du calendrier de Josef Mánes, il ne s’est toujours pas exprimé sur la polémique qu’il a suscitée.
