Sur les pas des Luxembourg à Prague
Le noyau historique de Prague est l'une des plus grandes réserves urbaines classées au patrimoine de l'UNESCO. Sur les 1 322 monuments historiques qui s'y trouvent, une importante partie doit sa fondation à la dynastie des Luxembourg. Les quatre rois issus de celle-ci, Jean, Charles IV, Venceslas IV et Sigismond ont régné sur le royaume de Bohême pendant plus d'un siècle, de 1311 à 1437. Grâce notamment au second Luxembourg sur le trône, Charles IV, fondateur de l'université et de l'archevêché de Prague, la période de fin du Moyen-âge est considérée comme un âge d'or de l'histoire tchèque.
« L'un des plus grands rois de Bohême, Jean de Luxembourg, a exercé son règne entre 1310 et 1346. Or Prague n'a jamais été son unique siège. Jean a séjourné plus souvent à l'étranger qu'en Bohême, laissant la gestion à son épouse, Elisabeth Přemyslide, héritière du royaume. Jean de Luxembourg a mené plusieurs campagnes à travers l'Europe, de Toulouse à la Prusse. Aveugle, il a trouvé la mort à la bataille de Crécy. La noblesse tchèque le surnommait le roi étranger car ses liens vis-à-vis du royaume de Bohême n'ont jamais été aussi forts et intimes que ceux établis par son fils, Charles IV. »
La trace des Luxembourg dans la Vieille-Ville praguoise nous conduit dans l'église Saint-Jacques dont les origines remontent à l'an 1232 :
« Grâce à Jean de Luxembourg et son épouse Elisabeth, l'église Saint-Jacques a été remaniée en une splendide basilique gothique. Le roi a également subventionné le couvent des Frères mineurs de Saint-Jacques dans lequel a été organisé le festin pour la célébration de son couronnement. Les Luxembourg montent officiellement sur le trône de Bohême en 1310 et le nouveau roi est solennellement couronné en février 1311. » L'actuel aspect baroque de l'église Saint-Jacques est le résultat d'une restauration complète suite à une série d'incendies dont on dit qu’ils étaient dus aux Français qui ont envahi Prague en juin 1689. La guerre de la Succession Palatine opposant le roi de France Louis XIV à l'empereur du Saint Empire romain germanique Léopold Ier a fourni prétexte au ravage du Palatinat ordonné par le ministre de la guerre Louvois. Rien que dans la Vieille-Ville de Prague, 800 maisons, dix synagogues et six églises ont été mises à feu dont l'église Saint-Jacques, la plus haute église gothique du quartier qui, après cet incendie, n'a plus jamais retrouvé son aspect gothique d'origine. A gauche de l'entrée, Jaroslava Nováková attire notre attention sur le sarcophage en marbre du chancelier suprême Vratislav de Mitrovice, un chef-d’œuvre de l'art baroque créé par le sculpteur Ferdinand Maxmilian Brokoff :« Il s'agit d'une réalisation de Brokoff nettement inspirée par l'impérieux sarcophage du cardinal de Richelieu qui se trouve dans la chapelle de la Sorbonne, à Paris. »
En quittant l'église Saint-Jacques, nous passons à côté de Notre-Dame-de-Týn bâtie en partie par Petr Parléř, le même architecte qui a participé à la construction de la cathédrale métropolitaine Saint-Guy au Château de Prague, entreprise en 1344 sous l'impulsion du roi Jean de Luxembourg. La Maison à la cloche de pierre, sur la place de la Vieille-Ville, bien qu'elle ne soit pas une réalisation des Luxembourg, est attachée à cette dynastie par d'autres liens, observe Jaroslava Nováková:« Premièrement, cette maison a servi de résidence provisoire à Jean à son arrivée à Prague, en décembre 1310. C'est ici même que le mariage du comte de Luxembourg, Jean, avec la princesse de Bohême, Elisabeth – Eliška en tchèque, a été célébré. Au moment de la naissance de leur premier fils, Venceslas – futur empereur sous le nom de Charles IV, le château de Prague est en mauvais état, raison pour laquelle on estime que Charles serait né dans la Maison à la cloche de pierre aménagée à cette fin en une confortable résidence. » En face de la Maison à la cloche de pierre se dresse la tour de l'hôtel de ville de la Vieille-Ville qui doit, elle aussi, sa fondation à la dynastie luxembourgeoise. D'ailleurs, c'est Jean de Luxembourg qui autorise le déplacement des conseillers municipaux dans ces locaux.Toujours sur les pas des Luxembourg dans le cœur historique de Prague, nous prenons la rue Celetná qui commence sur la place de la Vieille-Ville pour arriver à l'endroit où se trouvait, aux temps des Luxembourg, le Palais royal. A l'emplacement de l'ancien Palais royal se dresse aujourd'hui la Maison municipale, l'un des plus beaux édifices Art nouveau à Prague. La construction du Palais royal est entreprise en 1380 par Venceslas IV pour servir, pendant un siècle, de 1383 à 1484, de résidence principale aux rois de Bohême, avant que Vladislas Jagellon ne réintègre le château de Prague. Jaroslava Nováková :
« Venceslas IV, fils de Charles IV, est couronné roi de Bohême en 1378. Au lieu de séjourner au château de Prague, il préfère la ville et la compagnie de simples gens et de la basse noblesse. La Vieille-Ville l'attire au point qu'il décide d'en faire son siège. Le Palais royal se dressait non loin de la Tour poudrière, une des tours faisant partie des fortifications médiévales de Prague. Les bâtiments du Palais royal aujourd'hui inexistant comprenaient des bains dans lesquels le roi Venceslas venait souvent, à cause de sa barbière préférée, Suzanne, comme on peut le lire dans un récit de l'historien Zdeněk Mahler. Plus tard, un hôtel de la monnaie se trouvait à cet emplacement. Au début du XIXe siècle, le commandant en chef de la capitale Prague, le maréchal Windischgrätz, y avait sa résidence. »La voie royale qui traverse la Vieille-Ville de Prague et qui témoigne du chemin que parcouraient les rois pour se rendre à leur couronnement à la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague passait justement par les rues Celetná et Králodvorská, une rue qui rappelle que le Palais royal se trouvait ici avant d'être démoli au début du XIXe siècle. Durant son histoire, le palais a connu bien des péripéties, ainsi que le raconte Jaroslava Nováková :
« Venceslas IV y a installé réellement son siège et c'est à partir du Palais royal, dans la Vieille-Ville, qu'il a exerçé son pouvoir. C'est ici, aussi, qu'il a été enlevé pour être ensuite emprisonné. Cela s'est passé à un moment où il avait des problèmes avec certains représentants de la noblesse mais aussi avec son frère, Sigismond, le dernier Luxembourg qui sera finalement son successeur. »Sous le règne de Charles IV, entre 1346 et 1378, Prague devient l'une des premières métropoles européennes, après Rome et Paris. Outre l'université et l'archevêché, Charles IV fonde en 1348 la Nouvelle-Ville de Prague dominées par trois grandes places appelées aujourd'hui place Venceslas, place Senovážné (place au foin) et place Charles, en l'honneur de son fondateur. En arrivant à la fin de la rue Celetná, près de la Tour poudrière attenante, nous avons atteint la ligne de jonction entre les deux villes de Prague : la Vieille et la Nouvelle. Le bâtiment en face de nous porte lui aussi les traces de ses origines luxembourgeoises, raconte Jaroslava Nováková :
« A l'emplacement de l'actuel théâtre « Hybernia » se trouvait une église fondée à l'impulsion de Charles IV et dédiée à saint Ambroise, évêque de Milan de 374 à 397. Grand admirateur du chant ambrosien, une musique liturgique vocale en langue latine, Charles décide de fonder à Prague cette église et d'y faire venir des Ambrosiens italiens. Gothique à l'origine, cette église sera plus tard remaniée dans le style baroque et servira à un tout autre ordre, celui des Frères mineurs franciscains d'Irlande appelés en tchèque « Hyberni». Ceci explique le nom donné à cette localité ainsi qu'à la scène de théâtre récemment ouverte ici, le théâtre Hybernia. Comme on le voit, son nom n'est décidément pas un hasard. »