Le charme irrésistible des vêpres baroques

Le public de l'église Saint-Simon et Saint-Jude de Prague a frénétiquement applaudi, lundi soir, les vêpres du XVIIe siècle exécutées par un ensemble franco-tchèque placé sous la direction du jeune chef français Etienne Meyer. La majorité de ces oeuvres avaient été retrouvées dans les archives de la ville de Kromeriz en Moravie. L'effet émotionnel de cette production a été rehaussé par des exécutants placés en différents endroits de la nef et de la tribune d'orgue, ce qui a transformé toute l'église en un gigantesque instrument de musique. A l'issue du concert Vaclav Richter s'est entretenu avec Etienne Meyer, principal artisan de ce succès :

Le concert de ce soir est le fruit d'une coopération de plusieurs ensembles. Que pouvez-vous dire de cette collaboration et de ces ensembles?

« Cela vient de loin, parce qu'il y a eu le travail de coopération avec l'Institut français de Prague sur une formation avec l'ensemble tchèque Svobodne hudebni bratrstvo (Confrérie musicale libre) et l'Ensemble vocal de Bourgogne qui est un choeur amateur de la région de Bourgogne en France. Nous avons collaboré en plus avec les étudiants du conservatoire de Dijon, qui sont les solistes de notre production, et puis avec d'autres instrumentistes qui sont venus se rajouter au moment du stage puisque, en fait, c'est un concert de fin de stage qu'on a effectué en juillet dernier en France. Donc c'était un juste retour des choses de faire le concert à Prague parce qu'une partie de l'ensemble y est et le répertoire aussi est tiré de la République tchèque, notamment de la bibliothèque de Kromeriz. »

Les vêpres sont un genre assez spécial. Quelles sont donc leurs spécificités ?

« Disons que c'est une succession de psaumes avec des antiennes, donc il faut respecter un schéma donné. Il y a tant de choses différentes qu'on peut finalement reconstituer. Là, c'est un office, on peut dire, virtuel, car la musique de ce concert va du début jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Mais on peut dire qu'il s'agit de l'office complet des vêpres de la Vierge. »

Dans le titre de votre concert on trouve les noms des villes Venise et Kromeriz, pourquoi ?

« L'idée de départ était la polychoralité, l'effet à double choeur, la spatialisation de la musique. Les pères fondateurs de cette musique-là, bien qu'ils ne soient pas les premiers, mais qui ont vraiment développé cette musique, sont les Gabrieli (oncle et neveu) qui étaient à Venise. Donc c'est de Venise qu'est parti ce courant de musique, ce type d'écriture musicale assez spécifique. Les compositeurs vénitiens ont eu des élèves qui sont partis dans toute l'Europe et ont investi cet espace européen qu'on appelle « Croissant baroque » et qui va jusqu'à Prague et même au-delà. Donc l'idée de départ était de prendre des compositions des Gabrieli et d'aller plus loin, d'ouvrir les partitions qui ont été recherchées dans la bibliothèque de Kromeriz. Les archives de la bibliothèque de Kromeriz sont gigantesques. Il y a un fonds de répertoire énorme. Tout n'a pas été exploité à ce jour. Evidemment, il y a des compositeurs tels que Biber qui sont connus dans les milieux de la musique ancienne. Sur ce présent programme il y a quatre pièces qui sont inédites, qui sont tirées vraiment de la bibliothèque de Kromeriz. Le magnificat de Biber n'est pas inédit puisqu'il y a d'autres manuscrits dans d'autres bibliothèques en Europe, dont il est connu mais il est aussi présent à Kromeriz. »

Pour la production musicale vous avez placé des exécutants dans différents endroits de l'église. Dans quelle mesure cette façon d'interpréter cette musique s'appuie sur des documents anciens ?

« Pour répondre à cette question il faut revenir à Venise. On s'aperçoit que dans la basilique Saint-Marc il y a deux tribunes avec deux orgues qui se font face. Donc c'était une pratique évidente. Il était claire qu'ils spatialisaient la musique, qu'ils mettaient des exécutants à deux, voire trois endroits différents pour ce type de musique. Ce qui en tout pénètre plus facilement l'assemblée quand il s'agit d'une liturgie, ou comme ce soir, d'un concert. »

Est-ce que cette collaboration va se poursuivre aussi dans l'avenir ?

« Il va y avoir un concert à Kutna Hora. C'est sûr qu'on espère pouvoir continuer tout le travail de coopération avec notamment la République tchèque et ce répertoire de Kromeriz. Pour l'instant on est sur les idées, les idées ne manquent pas. Maintenant il faut évoluer pour pouvoir continuer sur ce chemin-là. »