« Le cinéma ne peut pas changer le monde, mais il peut changer les spectateurs »

Photo: CTK

C’est mercredi que s’est achevée la 12e édition du Festival international du documentaire de Jihlava, après la soirée de clôture du 28 octobre qui a révélé le palmarès des films vainqueurs pour 2008. Je vous propose dans cette émission de découvrir un peu mieux ce festival qui se veut une plateforme, un pivot en Europe centrale où convergent et se rencontrent les créations de documentaire d’Est et d’Ouest.

Marek Hovorka,  photo: CTK
C’est un drôle de symbole que celui du festival de Jihlava... En effet, c’est un entonnoir qui est la mascotte de ce rendez-vous annuel depuis 12 ans. Une curiosité que décrypte pour nous le directeur du festival, Marek Hovorka :

« C’est parce qu’on peut utiliser un entonnoir de manière très créative. Et un entonnoir peut vous aider. En le mettant contre son oreille, on entend mieux, si vous le mettez à la bouche, on vous entendra mieux, si vous regardez le monde à travers l’entonnoir, quelle que soit le bout, vous le verrez autrement. Cette découverte ludique du monde est une sorte de métaphore de la manière dont nous souhaitons que le festival fonctionne. Les films présentent souvent des thèmes importants mais souvent de manière surprenante. Pour nous il est important que les gens ne sortent pas du cinéma déprimés mais avec une nouvelle vision du monde. Le cinéma ne peut pas changer le monde, mais il peut changer les spectateurs. »

En douze ans, Jihlava est devenu un rendez-vous important du documentaire en Europe centrale... Mais comme le rappelle le journaliste critique de cinéma au quotidien Právo, Michal Procházka, pour comprendre l’esprit du festival de Jihlava, il faut remonter à ses origines :

« Je crois qu’il faut d’abord revenir à l’époque où le festival a été fondé. Ce qui est important c’est qu’il s’agit d’un festival qui a été fondé par des étudiants de la FAMU, qui ont essayé de créer quelque chose qui fonctionnerait pour le cinéma documentaire parce que rien de tel n’existait à l’époque. Le fait qu’il s’agisse de jeunes gens, d’étudiants amateurs de cinéma, est très important. C’est un festival sans vedettes, sans aspect commercial. Je crois que c’est un festival qui essaye de donner la place à l’alternatif, à l’avant-garde, à ce qui sort du lot en République tchèque. C’est aussi le point de départ pour beaucoup de cinéastes et étudiants tchèques qui ont ainsi l’occasion de présenter leur premier film, leur premier documentaire ou même leur premier film expérimental. C’est un festival très ouvert, très démocratique qui permet la rencontre entre le public, et les réalisateurs. Il y a une ambiance et une atmosphère assez libérale et informelle. »

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Pourtant, certains habitués du festival avouent que l’esprit originel de Jihlava tend quelque peu à disparaître à mesure que le festival prend de l’ampleur, comme le regrette cette étudiante :

« Moi je ne vais pas aux autres festivals de cinéma que je trouve trop commerciaux. Mais ces derniers temps, j’ai peur que c’est ce qui arrive aussi à Jihlava. Quand on a commencé à venir ici, c’était plus petit et plus alternatif. »


Jihlava est une plateforme de rencontres. J’ai l’impression que la visibilité du film documentaire est plus importante depuis quelques années. Pensez-vous qu’en RT ce festival y a contribué ? On retrouve des documentaires dans les salles de cinéma, pas seulement à la télévision.

Michal Procházka : « C’est vrai qu’il y a quelques films documentaires qui passent dans les salles de cinéma. C’est bien différent d’avant, avant il n’y avait rien. Mais quand même, je crois que c’est difficile de parler de ‘business’ par rapport au cinéma documentaire, parce qu’il s’agit de projets sans possibilités de gagner de l’argent, de projets soutenus par la télé. Depuis des années, le cinéma documentaire a connu beaucoup de problèmes pour s’imposer à la distribution tchèque et européenne. Des festivals comme celui de Jihlava aident à mettre en valeur le cinéma documentaire. Je crois que le festival de Jihlava peut attirer l’attention sur cette forme de cinéma, peut soutenir les différentes formes de production comme on peut le voir dans le cadre de la section East Silver. »

Pour Marek Hovorka, le directeur du festival, la plus grande visibilité du cinéma documentaire a plusieurs explications :

« Dans une certaine mesure, le cinéma de fiction, en République tchèque très certainement mais ailleurs aussi, est en crise. Et les films de fiction qui ont du succès sont très influencés par le mode documentaire de tournage et d’appréhension du jeu d’acteurs. C’est lié aux changements technologiques : aujourd’hui, c’est très simple de réaliser un film documentaire. Du coup, il y en a plus et ils trouvent plus facilement un public. Sinon, je pense que le documentaire doit aussi beaucoup à Michael Moore. »


Récemment en France se sont déroulés les Etats généraux du documentaire de Lussas, où la République tchèque était bien représentée. J’avais discuté à l’époque avec le directeur artistique qui m’avait dit que c’était intéressant de voir la création documentaire des jeunes réalisateurs qui sortent de la FAMU car ils ont des techniques très différentes, une formations très différente par rapport à d’autres écoles...

Michal Procházka : « Il faut d’abord dire que nous en RT, nous avons parfois l’impression d’être négligés, entre la culture occidentale et la culture russe ou asiatique. Alors que si on regarde les films documentaire tchèques, on a l’impression qu’ils sont beaucoup plus intéressants que le cinéma de fiction. Je pense qu’on peut parler aujourd’hui d’une école du cinéma documentaire à la FAMU parce que les étudiants de Karel Vachek par exemple ont le courage d’expérimenter, de chercher d’autres modes d’expression. Quand on voit des documentaires occidentaux à la télé, on voit que tout est formaté. Ici, nous sommes toujours attachés à certaines formes du film comme cinéma d’auteur. »


Noël en Bosnie
Alena est étudiante et une fidèle du festival de Jihlava :

« Je viens de voir le film ‘Noël en Bosnie’ de Remunda et Klusák, jusqu’à présente je n’ai jamais été déçue par leurs films, c’était court, drôle et je ne me suis pas ennuyée. »

‘Noël en Bosnie’, c’est un petit opus cinglant du duo Klusák-Remunda, les enfants terribles du documentaire tchèque rendus célèbres par leur film, Le rêve tchèque. Dans le court documentaire présenté à Jihlava, ils ont suivi un groupe de stars de la pop tchèque, partis donner un concert de Noël en Bosnie aux soldats tchèques stationnés dans le pays, en 2001. Le décalage joue à plein dans ce documentaire.

Noël en Bosnie
Noël en Bosnie était en compétition dans la section La Joie tchèque mais n’a pas été retenu par le jury. Avant l’annonce du palmarès je m’étais entretenue avec un des membres du jury, une théoricienne et critique de cinéma américaine, Alice Lovejoy, aussi à l’aise en tchèque qu’en français. L’occasion d’évoquer son rôle mais également la section documentaire dont elle avait la charge dans le festival.

« Oui, je suis membre de ce jury, c’est une section de 17 films tchèques qui ont été réalisés pendant l’année passée. Nous sommes cinq dans le jury pour déterminer le meilleur film tchèque. »

Vous avez des critères personnels ?

Parlons un peu plus de votre travail : vous préparez une thèse sur le cinéma. Pourriez-vous nous présenter votre travail ?

« Je suis doctorante à l’Université de Yale, je travail sur le studio de cinéma de l’armée en Tchécoslovaquie entre 1951 et 1971. C’est un studio qui s’est transformé d’un studio qui faisait des films de propagande à un studio qui réalisait des films artistiques. A Jihlava j’ai quatre sections de films qui décrivent cette transformation. Ont été présentés cinq films des années 1950 : ce sont des films de propagande mais on y voit des films réalisés par des réalisateurs connus aujourd’hui comme Frantisek Vlacil ou d’autres qui faisaient partie du studio, comme Vojtěch Jasný, Karel Kachyňa. C’est un studio qui fonctionnait sur deux niveaux : au niveau militaire et au niveau artistique. Autre bloc de films : ceux des années 1960, des documentaires. Deux réalisateurs étaient présents d’ailleurs : ils ont décrit leur travail dans le studio. Il s’agit de Karel Vachek et Rudolf Adler, tous deux professeurs à la FAMU. Et il y a un bloc de films réalisés entre 1968 et 1971. Ces films sont plus radicaux que ce qu’on pourrait imaginer. »

Comment ces futurs réalisateurs se sont-ils retrouvés dans ce studio ? Ils faisaient leur service militaire ?

« Oui, c’était une façon de faire leur service militaire. Ils ont eu de la chance de pouvoir le faire dans un studio de cinéma. »

Finalement ces grands cinéastes comme Vojtěch Jasný ou Karel Vachek ont fait leurs premiers pas en tant que réalisateurs dans ce studio…

« Ce n’était pas toujours la première étape de leur carrière, souvent ils ont commencé leur travail à la FAMU et qui ont continué leur travail dans ce studio de l’armée, puis à Barrandov. »


Bye Bye Shanghaï,  photo: www.eastsilver.net
Bye Bye Shanghaï était un autre film présenté à Jihlava. La documentariste Jana Boková, qui vit en Argentine, est allée se confronter à la problématique de l’exil, en allant interroger des Tchèques qui ont émigré sous les années de communisme, certains étant revenus à Prague après 1989, d’autres étant restés dans leur pays d’accueil. Un documentaire déjà présenté en première à Karlovy Vary en juillet dernier, où l’on retrouve de grandes figures de l’exil comme Vlastimil Třešňák, Petr Král, Václav Bělohorský et d’autres.

Pour tous les résultats du palmarès, c’est sur le www.dokument-festival.cz.