« Le Corbeau à quatre pattes » une nouvelle création de Krystof Maratka et de l'Ensemble Calliopée

Krystof Maratka

Aujourd'hui, la musique sera au rendez-vous. Celle de Leos Janacek, dont nous allons parler à la fin de l'émission avec le musicologue Guy Erismann, ainsi que la musique classique contemporaine. Nous irons à la rencontre de Krystof Maratka, installé depuis douze ans à Paris. A 34 ans, il est le compositeur le plus en vue de la jeune génération de musiciens tchèques. Nous parlerons, entre autres, des concerts qu'il prépare pour cette année avec l'Ensemble Calliopée.

Maratka est un nom qui « parle » à tous les amateurs d'art en République tchèque. Dans la famille Maratka, il y a d'abord le grand-père. En 1904, le sculpteur Josef Maratka s'installe pour quatre ans à Paris. Il se lie d'amitié avec Auguste Rodin et organise, en 1902, sa première exposition à l'étranger, en l'occurrence à Prague. 90 ans plus tard, le petit-fils du sculpteur, Krystof, passionné, lui, par la musique, quitte sur un coup de tête le Conservatoire de Prague. Il rêve de partir à l'étranger et son choix se porte obligatoirement sur la France...

« En 1990, j'étais encore étudiant au Conservatoire de Prague. Le pays s'ouvrait et je voulais en profiter. Je voulais 'changer d'air'. J'ai quitté l'école et j'ai débarqué à Paris. Je ne voulais pas renter dans une autre structure, dans une autre école. J'étais persuadé que la composition, il fallait la développer en profondeur, soi-même. Et je l'ai fait. Mais il faut dire que Paris, avec toutes les possibilités qu'elle offre, qui favorise ce genre d'attitude : on peut fréquenter des concerts de grande qualité, rencontrer des musiciens, étudier des partitions. Ce départ à Paris, je l'ai vécu comme un grand épanouissement. »

Compositeur prolifique (il a à son actif plusieurs dizaines d'oeuvres de musique de chambre et de concertos), Krystof Maratka est réputé pour son imagination débridée. Pour un concert franco-tchèque à Prague, en 2003, il découpe aux ciseaux la partition de Jean-Philippe Rameau. Il la recompose ensuite à sa façon et la joue lui-même au piano. Maratka s'approprie aussi bien la musique folklorique, ethnique, juive que tzigane. Il s'aventure sur le terrain des pièces orchestrales, comme « Le Corbeau à quatre pattes », un texte absurde de l'avant-garde russe des années trente, où comédiens et musiciens sont appelés à jouer sur scène. La pièce est une commande du Festival Présence. Elle sera créée le 18 février, à la Maison de la radio, avant d'être jouée à Prague, le 26 mars prochain, et en Suisse. Krystof Maratka en a présenté une partie, à l'improviste, au Centre tchèque de Paris.

« Ce mélodrame est inspiré des textes de Daniil Charms, un écrivain grand russe des années 1930 qui est quasi méconnu en France. Je l'ai découvert pour la première fois en 1990, à l'âge de 18 ans. Ses textes m'immédiatement séduit. Mais ce n'est que maintenant, seize ans après, que j'ai composé cette oeuvre. C'est une farce mélodramatique, car toute l'oeuvre de Charms est très proche du comique, de l'absurde. S'il tend un miroir à la société soviétique, c'est toujours avec un humour tragique. C'est une pièce de concert, donc nous n'avons pas besoin de décors, de costumes ou de lumières. Mais cela ne nous empêche pas de faire déplacer les deux comédiens-narrateurs. Les musiciens, eux aussi, gesticulent et s'expriment vocalement. C'est donc un spectacle d'une heure, un peu fou, qu'on va créer à la Maison de la radio. »

Une nouvelle aventure emmènera Krystof Maratka bientôt en Chine. Il a été sélectionné, parmi d'autres compositeurs français, pour y créer une pièce orchestrale pour le philharmonique de Shanghai et un instrument traditionnel chinois.

« Le Corbeau à quatre pattes » sera alors créé par les comédiens Alain Carré et Vincent Figuri. Ils seront accompagnés par l'ensemble Calliopée qui promeut la musique tchèque en France. L'altiste Karine Lethiec est à sa tête. On l'écoute.

« Calliopée, ça veut dire femme à la belle voix. C'est la muse de la poésie épique et aussi un ensemble de musiciens classiques réunis par l'amitié au service de la musique au plus haut niveau. C'est un ensemble à géométrie variable, donc il n'y a pas toujours le même nombre de musiciens. Vous avez les cordes, les cordes du piano et de la harpe et tous les vents. Cela fait beaucoup de couleurs à disposition d'une programmation très riche. Parfois, nous jouons à 2, à 3 et jusqu'à 15 personnes. L'ensemble est né presque d'une rencontre avec le Centre tchèque. Nous avons rencontré la générosité du directeur, Michael Wellner Pospisil et de son assistante Jitka de Préval. Il y a six ans, ils nous ont demandé de faire vivre en musique le Centre tchèque. Nous avons emmené un piano ici, au Centre, nous avons répété et inventé les soirées les plus folles autour du thème de la musique classique. Nous avons fait la Nuit blanche ici, la Fête de la musique, des soirées thématiques autour de la musique tchèque... »

En 2007, Calliopée met donc à l'honneur Krystof Maratka, son « Corbeau à quatre pattes » étant le projet phare de l'ensemble. Mais ce n'est pas son unique projet tchèque. Karine Lethiec :

« Nous jouerons, bien sûr, Dvorak que nous aimons beaucoup. Nous ferons un cycle aux Invalides qui a une très belle salle de concert, un salon d'honneur magnifique, rouge et or. Nous y donnerons trois concerts avec la musique de Dvorak et d'autres compositeurs encore. »

Rapprocher la musique contemporaine du grand public - telle est la principale démarche de Karine Lethiec. Voilà pourquoi elle organise une série de concerts intitulés « Présences contemporaines Paris 2007 ».

« Présences, c'est ce que nous faisons régulièrement à Calliopée, c'est-à-dire une présence active auprès du public qui vient en concert et les jeunes musiciens du Conservatoire. C'est un projet à la fois artistique et pédagogique qui permet de découvrir que la musique actuelle, du XXIe siècle, est très proche de nous. Parfois, elle nous fait peur, comme quelqu'un qui parle une langue étrangère. Nous essayons d'être une sorte de dictionnaire vivant au service des jeunes musiciens pour les familiariser avec la musique contemporaine. On leur dit : tu ouvres ta partition et c'est un texte comme un autre, ça se lit comme du Schubert ou comme du Dvorak ! Nous leurs donnons des clefs. Tous nos concerts sont sous l'égide de cette philosophie : faire découvrir la musique nouvelle, mais en petite quantité, bien expliquée, très vivante et avec des oeuvres de musique traditionnelle que nous aimons. Le public pose des questions, les compositeurs sont-là, bien vivants. Ils parlent de leurs rêves, de leur imaginaire, de leur vie. ce qu'on cherche, c'est la convivialité et le partage. »

Les 20 et 27 février prochains, l'Opéra de Paris organise, en collaboration avec Calliopée, deux concerts consacrés à la musique de chambre tchèque et à Leos Janacek. Le musicologue et grand spécialiste de la musique tchèque, Guy Erismann, y présentera sa nouvelle biographie du compositeur, intitulée « Leos Janacek ou la Passion de la vérité » et publiée aux éditions du Seuil. On écoute Guy Erismann :

« Pour moi, c'est un personnage inimitable, inégalé, comme compositeur, comme homme, comme nature humaine. Il y a de bons côtés, très enthousiasmants, il y a aussi des côtés un peu contestables... Mais c'est un homme qui est d'une telle vérité qu'on veut le prendre comme modèle et qui peut servir de modèle surtout aux autres compositeurs. En France, on ne connaissait pas Janacek il y a 20 ou 25 ans. Maintenant, de jeunes compositeurs s'intéressent à lui, parce qu'il a su garder, conserver, inventer sa propre personnalité et raison d'être. Justement, les jeunes créateurs d'aujourd'hui sont à la recherche de leur propre vérité. Voilà la leçon de Janacek : la vérité est en vous, travaillez avec elle. »