Le départ de Václav Havel : tout dire et redire

Depuis le départ de Václav Havel, dimanche dernier, la presse nationale semble ne pas se lasser d’examiner le personnage sous tous ses angles. Nous en avons choisi quelques extraits pour vous.

Havel dissident, Havel homme de théâtre, Havel homme d’Etat. Havel adoré et Havel détesté... L’édition spéciale du quotidien Lidové noviny parue au lendemain du décès qui a profondément bouleversé une grande partie de la population tchèque, s’est penchée sur les différentes facettes de l’homme qui a su accomplir les espérances et les rêves de plus d’une génération de ses contemporains.

L’homme qui, d’après un des commentaires, « a prêté son visage à deux décennies qui font partie des meilleurs chapitres de l’histoire tchèque, bien que l’on puisse formuler certaines critiques à leur égard ». Dans l’éditorial du journal, nous avons pu lire :

« Havel était un personnage incroyablement consistant et ferme. Jusqu’au dernier jour de sa vie, il est demeuré fidèle aux principes civiques qu’il s’était défini dans les années 1970. Même si l’on n’était pas toujours d’accord avec ce qu’il disait, il fallait croire le bien-fondé de sa conviction, son authenticité, des qualités qui sont aujourd’hui désespérément absentes dans la vie politique tchèque... Un personnage de la taille de Václav Havel n’apparaîtra jamais plus. »

Un autre article publié dans le journal sous le titre « Un Sysiphos de nos vies » décrit Václav Havel comme un homme de tempérament modéré, plutôt timide, réticent, n’aimant pas les conflits : un homme qui a pourtant mené une vie héroïque, puisqu’il s’est toujours trouvé en première ligne de combat.

Václav Havel
L’auteur de l’article observe que face à la bassesse et à l’étroitesse d’esprit qui sont si souvent prédominantes dans notre pays, Václav Havel a su ressusciter les aspects précieux du « caractère tchèque » : la tolérance, une approche non dogmatique, l’humilité, l’humour et l’auto-ironie. Il a également écrit :

« Havel était le dirigeant et l’accompagnateur des plus beaux moments de notre époque, dans laquelle il a joué un rôle souverain, un rôle de maître. Peu importe qu’une grande partie de sa lumière se soit éteinte pour céder la place à la réalité peu brillante de notre présent. Les miracles, en effet, ne durent jamais très longtemps... »

Le journal rappelle aussi que durant les quinze dernières années de sa vie, Václav Havel souffrait de problèmes de santé graves à cause desquels il devait souvent être hospitalisé et qui ont failli causer, à plusieurs reprises, sa mort. Très suivie a notamment été l’intervention chirurgicale urgente qu’il a subie en 1996 dans un hôpital d’Innsbruck en Autriche.

Selon le médecin personnel de l’ex-président de la République, Tomáš Bouzek, l’état de santé de Havel était critique pratiquement depuis le mois de juin dernier. A cette occasion il a confirmé : « Il était incroyablement courageux, brave et patient ».

Dans la page évoquant Václav Havel en tant que dramaturge, on a pu lire qu’il envisageait d’écrire encore une pièce qui se serait intitulée ‘Le Sanatorium’ et que sa dernière rencontre avec des créateurs de théâtre, donc avec des gens présentés comme « les siens », a eu lieu dans un petit théâtre de Prague, il y a seulement un mois. L’auteur de l’article, qui rappelle l’ensemble des pièces que Havel a écrites, fait remarquer :

« Au cours des soixante dernières années, Václav Havel a été l’unique dramaturge d’excellence mondiale dont la Tchéquie a pu se vanter. »

Dans son édition spéciale, Lidové noviny a publié aussi une analyse situant Václav Havel dans un contexte plus large, s’interrogeant notamment sur son rôle à l’échelle européenne. Nous citons :

Václav Havel
« Václav Havel était devenu le symbole de la lutte de l’Europe centrale pour la liberté déjà avant la révolution de velours. Tandis que Lech Walesa représentait un leader populaire, Václav Havel était un penseur de la révolte contre le régime totalitaire. C’est sa voix que les représentants du monde occidental écoutaient, pas celle de dirigeants communistes, Husák, Štrougal ou Jakeš. Havel était perçu comme la figure principale aussi au sein des cercles de dissidents dans les autres pays communistes. »

Selon l’auteur de l’article, Havel était la principale autorité du monde libre dépassant largement le cadre de son pays. Il l’est resté longtemps avant de devenir, vers la fin de l’année 1989, président tchécoslovaque.

Plus loin, il constate que Havel était à la fois un atlantiste et un Européen convaincu :

« Au cours des décennies écoulées, la majorité des Tchèques n’ont pas su mesurer l’ampleur de l’impact de Havel en tant que grand Européen et grand homme d’Etat mondial. La Tchécoslovaquie et plus tard la République tchèque étaient trop petites pour lui. »

« Václav Havel détesté » ; tel est le titre d’un article paru également dans l’édition spéciale du quotidien Lidové noviny, qui cherche les motifs de la baisse de popularité de l’ancien président tchèque et de la rancune irrationnelle dont il a fait parfois l’objet, notamment au cours de la dernière décennie.

Václav Havel
« Il va de soi que la popularité de Václav Havel, qui était immense au début des années 1990, ne pouvait pas toujours durer. Mais on a du mal à comprendre d’où vient la haine qui persiste encore aujourd’hui dans certains milieux », peut-on lire dans le journal, qui cite à titre d’illustration les propos vulgaires et méchants publiés ces derniers jour sur certains forums et rappelle également toute une vague de réactions haineuses qui sont apparues au lendemain de la sortie du film ‘Sur le départ’ (Odcházení) réalisé par Havel lui-même, il y a environ un an. Il explique :

« Havel était le symbole des efforts pour surmonter l’héritage du passé et ouvrir une nouvelle voie vers un avenir lumineux... Aujourd’hui, les gens sont frustrés par la situation et le climat dans la société, par les scandales et les affaires de corruption. Les problèmes économiques se traduisent, entre autres, par une perte de confiance envers l’Etat et les institutions. Pour beaucoup de gens, Havel serait à l’origine de tous les échecs d’aujourd’hui... C’est paradoxal, car c’est lui-même qui a introduit dans le discours public la notion de ‘capitalisme mafieux’ et c’est encore lui qui a commencé à le critiquer. »

L’auteur de l’article ajoute :

« L’histoire nous enseigne que c’est le prix que les personnes ayant suscité à un moment donné une très grande admiration sont finalement amenées à payer. Elle en a d’ailleurs donné plus d’une preuve. »

« Certes, la popularité plaisait à Havel. Ceci dit, il n’était pas prêt à franchir certaines limites et à faire des concessions pour la maintenir. Rester fidèle à lui-même comptait pour lui par dessus tout », conclut le journal.

« Unissons l’Europe à la base du legs de Havel » : tel est le titre d’une réflexion publiée ce mercredi sur le site Aktualne.cz dans laquelle le journaliste et écrivain Tomáš Klvaňa constate que « l’Europe vit une crise de sa légitimité, attendant une nouvelle vision, une identité nouvellement définie » et propose de mettre en valeur une approche ‘tchèque’ :

« Lorsque l’on parle aujourd’hui des intérêts tchèques, on n’évoque en général que les intérêts économiques. Ces jours-ci, il s’avère pourtant que nous pouvons offrir à l’Union européenne le legs de Václav Havel tel un nouvel éthos de l’unification européenne. La liberté, l’honnêteté, la dignité, la solidarité, l’humour, la tolérance, la compréhension de la complexité de la vie et l’indulgence face à l’imperfection de l’homme, autant de valeurs qui lui étaient chères et qui peuvent servir de base d’un programme politique qui permettrait aux Tchèques de se sentir Européens... et de comprendre que l’identité européenne, culturelle et politique ne fait qu’accentuer leur propre identité. »

L’auteur de la réflexion estime que l’on ne peut pas s’attendre à une telle approche de l’actuelle représentation politique. « Mais, comme il l’écrit, tout n’est pas encore perdu ».

Dans une autre note publiée sur le même site Internet, le journaliste Jan Štern a expliqué que du vivant de Václav Havel, qui était pour lui « la garantie d’un cours moral du monde », il se sentait plus en sécurité... Une façon d’exprimer un sentiment que partagent aujourd’hui très fort plus d’un de ses concitoyens.