Le divorce à l’amiable des Tchèques et des Slovaques

Vladimír Mečiar et Václav Klaus

Il y a quasiment 25 ans, le 31 décembre 1992, la Tchécoslovaquie cessait d’exister en se séparant en deux pays distincts, la République tchèque et la République slovaque. Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que nous vous proposons de (re)découvrir à l’occasion de ce premier épisode d’une série consacrée au « divorce de velours » entre Tchèques et Slovaques.

« 1er janvier célébré dans la liesse à Prague et à Bratislava. Décidément les Tchèques et les Slovaques ne font rien comme les autres. Ils s’étaient débarrassés du communisme sans violence, la fameuse révolution de Velours ; ils se sont séparés en deux pays distincts dans le calme aussi… »

Le présentateur du JT de France 2 du Jour de l’An 1993, Hervé Claude, a des raisons de trouver cela étrange. Au même moment, la Yougoslavie se déchire dans la guerre.

La Tchécoslovaquie, un équilibre fragile

La Tchécoslovaquie avait vécu. Elle était née presque 75 ans plus tôt, le 28 octobre 1918, sur les ruines de l’Autriche-Hongrie. Encouragée par les circonstances de la Grande Guerre, l’union des Tchèques et des Slovaques, lesquels n’avaient jamais disposé de leur propre Etat, n’allait alors pas forcément de soi. L’historien Antoine Marès le rappelait sur nos ondes :

« Je dirais qu'il y avait un intérêt géostratégique partagé à l'union entre les Tchèques et les Slovaques. Les Slovaques étaient très isolés. Quelles étaient les possibilités théoriques qui s'offraient à eux ? Soit ils restaient dans le cadre de la Hongrie, soit, et c'est une idée apparue chez certains communistes, la Slovaquie devenait une République soviétique. L'autre hypothèse qui a été par la suite développée chez certains Slovaques, c'est celle d'une union avec les Polonais. Mais de toute évidence, le passé récent, les liens tissés avec Prague, faisaient que la réunion entre Tchèques et Slovaques était la plus naturelle à cette époque. »

Et l’Etat tchécoslovaque a donc tout de même tenu trois quarts de siècle, avec néanmoins l’intermède notable de la Seconde Guerre mondiale. Pour la première fois, les Slovaques avaient eu un pays à eux, mais un Etat fantoche, satellite de l’Allemagne nazie. Après le conflit et la reformation de la Tchécoslovaquie, les velléités slovaques de s’émanciper de l’élément tchèque, qui concentre l’essentiel du pouvoir politique et économique, n’avaient pas disparu et s’étaient concrétisées en 1969 dans la transformation en un Etat fédéral, comprenant une République socialiste tchèque et une autre slovaque.

Après la chute du régime communiste, le pays est renommé en mars 1990 République fédérale tchécoslovaque puis République fédérale tchèque et slovaque. Une évolution qui n’est pas sans débats houleux – l’épisode est surnommé « la guerre du trait d’union » - et qui témoigne des dissensions qui se manifestent entre les deux parties sur la forme que doit prendre l’Etat commun. Les représentants tchèques sont désireux de maintenir un pouvoir central fort pour mener à bien les réformes de transformation vers l’économie de marché ; les représentants slovaques réclament une autonomie accrue. Des visées irréconciliables.

Forces centrifuges

Vladimír Mečiar et Václav Klaus dans le jardin de la villa Tugendhat | Photo: ČT24
Les législatives de juin 1992 sont un tournant. Le Mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS), de Vladimír Mečiar, partisan de l’indépendance, remporte la partie côté slovaque et les événements vont s’enchaîner. Certains croient encore à la possibilité de garantir l’unité du pays. Parmi eux Václav Klaus, le chef de l’ODS, le parti vainqueur des législatives chez les Tchèques, qui va à Brno, à la Villa Tugendhat, négocier avec Vladimír Mečiar :

« D’abord, cela a été une douche froide. Parce que je suis allé à Brno avec l’idée de sauvegarder la Tchécoslovaquie et il était en fait évident que ce n’était pas du tout dans les plans du gouvernement slovaque. Nous ne nous attendions pas à cela ; nous ne pensions pas que la partie slovaque était déjà aussi loin. »

Le vote de la séparation de la Tchécoslovaquie,  photo: ČT24
Le 17 juillet, les députés slovaques votent la Déclaration sur l’indépendance de la République slovaque. Trois jours plus tard, le président tchécoslovaque Václav Havel démissionne de ses fonctions ; c’est la crise politique. Vladimír Mečiar et Václav Klaus s’entendent sur la dissolution de la fédération et signent un accord en ce sens le 26 août 1992.

Reste à s’entendre sur les modalités d’un divorce désormais inéluctable malgré les protestations des oppositions tchèque et slovaque. A Bratislava, on souhaite temporiser et on propose une période transitoire qui prendrait la forme d’une confédération. Michal Kováč, alors président de l’Assemblée fédérale et futur premier président de la République slovaque, se souvenait voici quelques années :

« Pour les Slovaques, le moment n’était pas opportun pour la création d’une République indépendante slovaque, parce que nous n’y étions pas préparés. Du côté tchèque, il y avait des craintes sur la possibilité de maintenir une unité nécessaire dans le cadre d’une confédération avec des idées différentes sur les réformes à mener. »

Vladimír Mečiar et Václav Klaus | Photo: ČT24
Prague refuse donc les propositions slovaques et entend régler au plus vite la séparation. L’Assemblée fédérale vote le 25 novembre un acte constitutionnel qui fixe au 31 décembre l’acte de décès de la Tchécoslovaquie. Le peuple n’aura pas été consulté par référendum, ce que certains regrettent aujourd’hui à en croire les enquêtes d’opinion. En pratique, un tel vote aurait été complexe, car, selon l’historien Jan Rychlík, l’Etat tchécoslovaque avait dans les faits déjà cessé d’exister. Aussi, que serait-il advenu si le référendum avait donné des résultats opposés en Tchéquie et en Slovaquie ?

Alors à la Saint-Sylvestre, comme l’ont constaté les journalistes de France 2, on a fait la fête chez les uns comme les autres, et on s’est réveillé dans un nouvel Etat…

« A Prague, à l’heure fatidique, c’était aussi la joie, mais peut-être aussi avec un peu d’amertume. En effet, c’est 74 ans d’existence commune qui disparaît, une frontière qui se matérialise, un divorce de velours certes, mais dont on prendra conscience des conséquences lorsque seront dissipées les brumes d’un soir de fête. »