Le Golem de Prague, du conte aux comptes
Cette semaine est festive sur le plan religieux même si l’ambiance n’est pas à la fête cette année à cause de la pandémie. Dans le passé, la communauté juive a été accusée de tuer des enfants chrétiens pour fabriquer le pain sans levain (matza) de cette période. Sur la base de ces accusations étaient perpétrés des pogroms pendant la semaine de Pessah. Dans la Prague de la fin du XVIe siècle va naître la légende du Golem du rabbin Loew, censé être celui qui pourra enfin protéger les Juifs du ghetto. Dans la Prague du début du XXIè siècle, le Golem est toujours présent, mais surtout sous la forme de figurines désormais soumises à un strict droit d’auteur.
Prague et le Golem sont devenus indissociables. Prague est la ville du Golem et le Golem est la créature de Prague. Une créature mystique, mythique et littéraire à laquelle le visiteur ne reste souvent pas insensible. C’était le cas l’automne dernier de l’écrivain français Pierre Michon, venu dans la capitale tchèque pour recevoir le prix Franz Kafka :
« Je suis à la fois heureux et effrayé de recevoir ce prix. D’abord parce que c’est dans la ville de Prague que vous me le remettez. Je ne suis jamais venu à Prague. Je ne la connais à ce jour que par une littérature populaire, dont elle est le théâtre. Une littérature qui en a fait pour moi, pour mon imagination, une ville de mystère, d’effroi, de miracles, de misère. Une métropole kabbalistique, illuminée d’une aura de savoirs obscurs. De cette littérature mineure, impure si on veut, Le Golem de Gustav Meyrink, qui dresse une créature de boue que seul le verbe tire du néant – une sorte d’écrivain en somme – me paraît la figure la plus accomplie. »
Dans la légende, le verbe, le mot, ce sont les lettres formant le mot vérité en hébreu inscrites sur le front de la créature par le Maharal de Prague, le rabbin Loew.
Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de France, explique ce qui la touche dans cette légende et la signification qu’elle donne aujourd’hui à ce mythe pragois :
« Le Golem, c'est une très vieille légende absolument fantastique et je suis toujours émue, quand je suis à Prague, d'imaginer que ce golem va pouvoir surgir au coin d'une rue en tout cas qui dort quelque part ou qui pourrait se réveiller moi ce qui me touche dans cette légende particulièrement, c'est cette idée ancienne qu'on va trouver dans la littérature abîmée de la capacité humaine à créer la vie. »
« Finalement ce que les rabbins racontent à travers cette légende, c'est qu'il existe pour les hommes la possibilité de faire prendre vie à un être et qu'en réalité nos mots, nos paroles nos écrits, nos lettres, parce que c'est ça l'histoire du Golem : on écrit tout à coup sur de la terre et de l'eau mêlées, une phrase, un mot, une lettre et ça prend vie et ça prend forme et ça existe. Je crois qu'à travers cette légende, il y a une idée très forte qui est que peut-être que chacun d'entre nous a la capacité, par ses gestes par son rapport à l'écrit au langage, de créer des mondes ou de les détruire. »
Est-ce qu'il est important ce mythe pragois aujourd'hui dans le judaïsme contemporain ?
« Je ne sais pas s'il est important, disons qu'il est la traduction contemporaine et célèbre d'une idée rabbinique très ancienne, qui pour le coup à une importance dans le judaïsme, dans les textes - cette idée de la possibilité de créer des mondes la force et la puissance de la parole comme créatrice d'univers.
« Pour moi ce qui m'intéresse ce n'est pas tant la place qu'il joue dans la littérature rabbinique que la façon dont ça peut résonner avec des problématiques contemporaines y compris politique, c'est-à-dire la question de la responsabilité humaine, de quelle manière est-ce que le monde dont on hérite est quelque chose qu'on peut malaxer, dont on peut faire quelque chose et comment est-ce que on peut être conscient à travers nos récits ou les histoires qu'on se raconte qu'il y a une responsabilité humaine gigantesque qui est presque démiurge. Je veux dire on est presque les égaux d'un transcendant ou d'un divin dans notre capacité à créer des mondes et ça c'est une idée qui me parle dans un temps où peut-être parfois on se pose la question de ce que ça veut dire d'être "en responsabilité","de créer une génération responsable"...
« Qu'est-ce que ça veut dire de croire qu'on peut prendre sa vie en main, de ne pas être victime ou en tout cas se percevoir comme victime de quelque chose dans un processus de victimisation. Je trouve que le Golem c'est comme un anti modèle, on a la possibilité de manipuler le monde pour le meilleur et pour le pire parfois et prendre la responsabilité de ce qu'on pourrait en faire. »
Est-ce que vous vous souvenez de votre premier contact personnel avec le golem, est-ce que vous l'avez lu, est-ce que vous l'avez vu ?
« Je ne me souviens pas du tout. J'ai l'impression d'avoir toujours connu cette figure, c'est intéressant, ce serait peut-être une réécriture de ma part mais j'ai l'impression d'avoir toujours connu cette figure associée d'ailleurs au mystère du rabbin Loew de Prague comme étant un très ancien mythe de la mystique juive mais j'ai l'impression qu'il m'a été racontée toute petite fille, j'ai l'impression que ça a toujours fait partie de mon univers fantasmatique ou littéraire de petite fille, je serais bien incapable de dater 'ma' rencontre avec le Golem. »
Le Golem sur grand écran
Pour la grande majorité des Tchèques aujourd’hui, la première rencontre avec le Golem s’est souvent faite au cinéma et surtout devant la télévision avec les deux films rediffusés des centaines de fois : Le Boulanger de l’Empereur et L’Empereur du Boulanger, réalisés par Martin Frič en 1951, avec un scénario cosigné par l’immense acteur Jan Werich.
Avec Jiří Voskovec, son complice de toujours, Jan Werich avait écrit et joué une vingtaine d’années auparavant une pièce de théâtre adaptée au cinéma en 1936 par le réalisateur français Julien Duvivier, dans une coproduction franco-tchécoslovaque tournée à Barrandov et tout simplement intitulée Le Golem. Le ghetto juif y est confronté, entre autres, à l’oppression et à une épidémie de peste.
Bien avant cela, en 1920, Le Golem (Der Golem : Wie er in die Welt kam) avait été réalisé par le l’Allemand Paul Wegener, déjà auteur en 1915 d’une première version aujourd’hui disparue.
Dans ces films d’avant-guerre, la créature du Golem ressemble davantage à un ancêtre de Frankenstein. Ce n’est pas le cas du Golem des deux films tchèques réalisés après-guerre. Le colosse y est plus argileux qu’humain. Il est l’œuvre du sculpteur Jaroslav Horejc, artiste mis au ban par le nouveau régime communiste, que le réalisateur Martin Frič voulait aider dans cette mauvaise passe. Et c’est cette œuvre qui est juridiquement protégée par le principe du droit d’auteur, depuis une décision prise par le juge il y a exactement dix ans.
František Vyskočil est l’avocat de l’ayant-droit du sculpteur décédé en 1983. Il s’agit de sa belle-fille Dagmar Dományová :
« Le Golem provient bien sûr de la mythologie et de l’histoire juive, mais c’est vrai que personne ne l’a jamais conçu comme le professeur Horejc pour le cinéma. En fait, avant son travail, il n’existait pas de figure aussi artistique, esthétique et populaire du Golem. Aujourd’hui c’est bien sûr un produit très prisé par les touristes. Le juge a déjà décidé en 2010 que ce Golem était l’œuvre de Jaroslav Horejc ; il doit encore décider du montant de la compensation à verser à Madame Dományová pour toutes les années pendant lesquelles le Golem n’était pas protégé par ce droit d’auteur. »
Avant la période troublée par le coronavirus, au bon vieux temps où l’on aimait se plaindre du tourisme de masse dans le centre de Prague, un petit tour du côté du célèbre vieux cimetière juif permettait de trouver de nombreux exemplaires de ce fameux Golem, vendu comme souvenir de la ville aux visiteurs de passage, notamment par cette dame qui les fabrique avec son mari :
« Ici j’ai des objets typiques tchèques, comme ces objets en fer forgé que vous voyez là. A côté je vends des Golem en céramique, qui sont des souvenirs typiques du ghetto juif. On les vend depuis environ 20 ans, on les fabrique à la main dans notre atelier à la maison. Si vous voulez vendre des Golem aujourd’hui, vous devez payer une fois par an les droits d’auteur. Le Golem doit avoir des caractéristiques spécifiques, propres à la créature du film Le Boulanger de l’Empereur. Les droits sont payés à Madame Dományová. »
Le Golem, en tout cas sous sa forme connue depuis les années cinquante, est donc sous copyright. Seulement sa forme. Car son nom, Golem, est libre de droits. Il est utilisé par de nombreuses sociétés dans le monde, dans les jeux vidéo et même de vilains Pokémon portent les noms de Golemastoc et Gringolem, en référence à la créature légendaire…
Actuellement en Tchéquie, Golem est, entre autres, une marque de spiritueux, de catering et de services financiers. Golem est également le nom donné au grand camion sanitaire des services de secours de la ville de Prague.