Marek Halter : « Nous ne savons pas nous protéger contre les golems que nous construisons »
Le célèbre rabbin appelé aussi Maharal de Prague, Golem, statue géante de terre glaise à laquelle le rabbin a insufflé la vie, l’empereur Rodolphe II de Habsbourg, mécène d’astronomes et d’alchimistes dont Tycho Brahe et Johannes Kepler et surtout le kabbaliste David Gans, et Eva, petite-fille du grand rabbin – tels sont les principaux personnages du roman historique que son auteur Marek Halter, écrivain français d’origine polonaise, a intitulé « Le Kabbaliste de Prague ». Le livre traduit en tchèque par Dagmar Slavíkovská est sorti en 2012 aux éditions Garamond. L’auteur a évoqué la genèse de cette œuvre au micro de Radio Prague.
« Parce que tout d’abord, comme tout auteur, j’aimerais être lu. (Rires) Il y a deux raisons à cela. D’abord c’est une histoire universelle. Elle se passe à Prague. Maharal, le grand rabbin, sa synagogue est toujours là, on peut voir et toucher les sièges où il était assis. On peut s’y asseoir. Le cimetière où il est enterré est toujours là. Il y a aussi la tombe de David Gans, personnage qui dans mon livre raconte l’histoire de Golem. Donc, c’est quelque chose qui doit toucher tout Pragois, tout Tchèque. Et puis aussi, vous connaissez les Lettres persanes de Montesquieu ? En quoi est-ce intéressant ? Ce sont deux Persans qui racontent aux Français comment eux voient la France. Un peuple, un individu ne se voit pas. Il faut un regard extérieur pour se découvrir. Moi, je suis pour les Tchèques dans ce livre le Persan qui vient de l’extérieur, qui voit l’histoire tchèque, qui voit Rodolphe II, qui voit les personnages qui ont fait cette ville, les Juifs ou pas Juifs, puisqu’il n’y a pas que des Juifs dans mon roman, qui vont peut-être étonner les Tchèques. »
Le héros du livre David Gans est-il un personnage réel ? Il a vraiment existé …
« David Gans est un religieux juif, on pourrait dire théologien, mais il n’y a pas de religieux chez les Juifs. C’est un commentateur, un homme qui commente les Textes. Mais en même temps, ces Textes le renvoient à des questions. Comme Spinoza un siècle plus tard, il se pose la question ‘Où est Dieu ?’ Et il découvre l’astronomie. Il va à Cracovie, il apprend la théorie de Kopernik, la révolution copernicienne, et c’est lui qui apporte l’idée d’un monde plus vaste à Maharal, le grand rabbin de Prague. Il écrit des livres, ces livres existent, et on peut les lire encore aujourd’hui. Il découvre qu’il y a des réponses aux questions que posent les astronomes, et ces réponses se trouvent dans la Kabbale. C’est curieux parce que dans le livre central de la Kabbale datant du XIIe siècle, la réponse est déjà là. Ces textes disent que la Terre est ronde, et tandis que nous sommes sous le soleil, l’autre partie de ce rond est dans l’ombre. Tout est dit. On ne sait pas où ils ont pris ces choses. Mais la Kabbale introduit aussi une chose qui est essentielle pour mon roman : elle donne la priorité au mot, elle part du principe que Dieu a créé le monde et les hommes en parlant. Donc la force de Dieu est dans la parole. Dieu est dans la parole et celui qui possède le langage peut changer le monde. Et c’est à partir de là que naît l’idée de Golem. »Le rabbin Löw ou Maharal, Golem, le ghetto de Prague sont des thèmes qui ont inspiré plusieurs artistes et écrivains dont Gustav Meyrink, auteur du célèbre roman Le Golem. Avez-vous subi l’influence de ces artistes ?
« Je ne pense pas. Je comprends d’ailleurs pourquoi Le Golem de Meyrink a tellement plu au jeune Hitler. Il paraît qu’il l’avait lu à l’âge de quatorze ou quinze ans. Pour lui, Golem, c’est un peu un Juif maléfique qui a donné par la suite naissance au Juif Süss, on connaît les livres et les films de propagande nazie. Non, ce qui m’intéresse, c’est la démarche de Maharal. Pour ceux qui ne savent pas, c’est le grand rabbin de Prague de l’époque de l’empereur Rodolphe II. C’est le moment où la religion est en crise, parce qu’on ne sait pas où est Dieu et puisqu’on continue à dire à l’église ‘Toi Seigneur, qui est aux cieux’, cela provoque un schisme, et quand il y a un schisme, un désaccord entre deux frères, les massacres sont terribles. Donc c’est la guerre fratricide entre les papistes et les luthériens. On se massacre, on se tue, mais on est d’accord sur une chose : on tue les Juifs. Et malgré la protection de Rodolphe II, les Juifs de Prague commencent à être massacrés. Et là, c’est intéressant, les Juifs de Prague vont voir Maharal et lui demandent sa protection : ‘ Puisque Dieu est dans le langage et que tu connais le langage, fais quelque chose avec les mots pour nous protéger.’ Et là, il fabrique un bonhomme immense de la terre glaise et, en parlant, lui donne la vie. »Golem a été créé par le rabbin Löw pour protéger les Juifs contre les pogromes. Il peut être considéré donc comme le symbole de la force du peuple juif et de sa capacité à se protéger contre l’hostilité du monde. Les Juifs d’aujourd’hui cherchent-ils, eux aussi, un Golem pour se protéger ou l’ont-ils déjà trouvé ?
« Le Golem est une leçon. Israël a une bombe atomique. Elle a son Golem, sauf que le Golem peut se retourner contre celui qui l’a créé. C’est ça la grande leçon. Dieu, s’il existe bien sûr, contrôle les destins du début jusqu’à la fin. L’homme peut faire des choses comme Dieu. Aujourd’hui, vous pouvez congeler votre sperme et votre fils naîtra dans cent ans. On va guérir les maladies qu’on n’a jamais guéries. Nous pouvons faire tout ça, mais nous ne contrôlons pas la suite. Nous avons créé les centrales nucléaires et vous avez vu ce qui s’est passé au Japon il n’y a pas si longtemps et cela peut se passer ici, en France, en Allemagne. Nous pouvons donc créer des forces extraordinaires, des millions de golems, plus forts que Golem, mais ces golems peuvent, comme dans la légende de Maharal de Prague, se retourner contre nous à un moment donné et nous ne savons pas encore comment nous protéger contre les golems que nous construisons. »
( La seconde partie de cet entretien sera présentée dans cette rubrique samedi 15 décembre.)