Le japonisme dans l’art tchèque

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Le japonisme, l’influence de l’art japonais, est un phénomène qui apparaît dans l’art tchèque à partir du XIXe siècle. Au départ, il s’agit d’un phénomène indirect, le style japonais étant surtout transmis par la production artistique française. Néanmoins, à la fin du XIXe siècle, les voyageurs tchèques sont de plus en plus nombreux à se rendre au pays du Soleil Levant. Ils importent les objets d’art et publient leurs récits de voyage. Enfin se dégage un style artistique inspiré par le Japon. C’est pour mieux l’explorer que la Galerie nationale a récemment organisé une exposition entièrement consacrée au japonisme dans l’art tchèque. Directrice des collections d’art oriental, Markéta Hánová a fait une visite guidée pour Radio Prague.

Nous nous trouvons dans la première salle de l’exposition qui porte sur le japonisme dans l’art tchèque.

« On présente ici non seulement l’art tchèque influencé par l’art japonais, mais aussi des objets du Japon préservés au musée à Prague. »

Markéta Hánová, directrice des collections d’art oriental, souligne que le japonisme se développe en Europe avec l’ouverture du Japon au monde, ce qui correspond à l’ère de la dynastie Meiji qui a régné de 1853 à 1912.

La France, centre européen d’art japonais durant l’ère Meiji

Avant les premières manifestations de cette ouverture, les objets japonais sur le marché européen étaient extrêmement rares.

« Une seule compagnie hollandaise était autorisée à entrer légalement au Japon et à commercer. Après cette ouverture, l’heure est venue non seulement de l’expansion du commerce des objets et de l’industrie mais aussi des voyages privés de particuliers. »

Quand la Hollande perd son monopole sur l’importation d’objets du Japon, le cœur de la culture et de la civilisation japonaise en Europe se déplace vers le sud-ouest :

Vojtěch Hynais,  'Madame Hrušová et ses enfants',  photo: Galerie nationale Prague
« Le centre de l’influence japonaise était bien sûr la France, surtout Paris. Hynais et aussi d’autres artistes tchèques qui vivaient à Paris à cette époque pouvaient intégrer des éléments japonisants directement dans leurs œuvres. Les artistes tchèques ont été influencés non seulement directement par l’art japonais, mais aussi indirectement, ils prenaient l’influence de l’art japonais qui se reflétait déjà dans l’art français. Le japonisme, c’est un phénomène qui entre dans l’art tchèque à partir du XIXe siècle, cela a été plus tardif qu’en France. »

L’influence du Japon sur les œuvres d’art s’accompagne d’un gain de popularité des objets importés. Depuis les années 1880, leur offre sur le marché austro-hongrois s’agrandit. La plupart sont destinés aux collections privées.

« Ce sont aussi les objets d’art japonais qui étaient imités. Par exemple, nous pouvons voir ici un tableau de Vojtěch Hynais, l’artiste qui vivait à Paris, sur lequel se trouve un paravent japonais. »

La peinture de Hynais date de 1890 et représente Madame Hrušová et ses enfants avec pour décor ce paravent avec un ornement du style oriental.

Photo: Site officiel de l'exposition Japonisme dans l’art tchèque
Les affiches qui invitent aux expositions d’objets japonais de collectionneurs privés s’inspirent souvent du style des artistes français. Ainsi, l’illustrateur et dessinateur Karel Šimůnek a imité les peintures de Toulouse-Lautrec sur une affiche pour l’exposition des photographies de la collection du voyageur Enrique Stanko Vráz.

La fascination pour l’exotisme du Japon se manifeste également dans la fabrication de porcelaines avec des traits japonais typiques.

« On peut les voir dans l’art décoratif. Par exemple, dans la porcelaine, voici les objets japonais imités par l’industrie du cristal en Bohême. »

Des assiettes japonaises dans les vitrines pourraient bien être des importations, sauf qu’elles ont été fabriquées par les élèves de terminale d’une école professionnelle tchèque à la fin du XIXe siècle.

Le temps des premiers voyageurs

A la fin du XIXe siècle, le voyage vers le Japon se faisait en bateau et durait un mois. Les voyageurs étaient surtout des aventuriers passionnés d’exotisme et intrigués par l’univers des Geisha.

Emil Orlík,  'L'humeur du soir au Japon',  photo: Galerie nationale Prague
« On peut regarder les œuvres du peintre Emil Orlík, né à Prague dans une famille allemande, et qui a fait un voyage au Japon en 1900 pendant lequel il a étudié la gravure japonaise. »

A son retour, Emil Orlík a fait connaître aux Tchèques les estampes sur bois japonais dont il est devenu collectionneur. Ses achats, il les faisait essentiellement en France, notamment chez Tadamasa Hayashi, un marchand d’art japonais de renommée internationale à l’époque qui était arrivé à Paris en 1878 en tant qu’interprète pour la délégation japonaise à l’exposition universelle et qui y est resté.

D’autres ont suivi l’exemple d’Emil Orlík.

« Il y avait aussi des voyageurs tchèques qui sont allés au Japon au XIXe siècle, comme Josef Kořenský ou Enrique Stanko Vráz. Après leurs voyages, ils ont écrit des livres sur le Japon. Ils ont également acheté des photographies du Japon. »

Joe Hloucha est la figure emblématique du japonisme à la tchèque. Neveu du voyageur Josef Kořenský, il a vécu non seulement avec les publications de son oncle, dont la plus connue reste « l’Asie dans les images culturelles », mais surtout avec ses récits personnels.

Photo: Site officiel de l'exposition Japonisme dans l’art tchèque
« Il était un vrai amateur du Japon. Il n’a pas eu d’épouse japonaise, mais pendant son séjour au Japon, il a soi-disant marié une Japonaise, mais c’était juste une amante. »

Grâce à cette union de plaisir et d’intérêt, Joe Hloucha a pu collectionner de nombreux objets d’art japonais. Ils se trouvent aujourd’hui dans les collections du musée Náprstek à Prague. Son voyage au Japon, Hloucha l’a en effet payé grâce aux ventes de son livre Un Cerisier dans le vent qui portait déjà sur le Japon. Après son retour, il a également publié un livre intitulé « Madame Chrysanthème », comme le roman de Pierre Loti.

Photo: Site officiel de l'exposition Japonisme dans l’art tchèque
A Prague, Joe Hloucha a ouvert un café dans le style japonais.

« Avec son frère, il a établi un café de style japonais à Prague dans le passage de Lucerna qui reste un lieu fréquenté aujourd’hui. Le café a existé pendant 20 ans et était très populaire. Il a aussi construit une grande maison à Roztoky près de Prague qui n’a pas été préservée jusqu’à nos jours. »

Le café, Joe Hloucha l’a vendu. Sa maison, comme le remarque Markéta Hánová, a également été reconstruite et ne conserve plus les traits du style japonais.

Les éléments caractéristiques de l’art japonais et la naissance de l’Art nouveau

Mais que revêt véritablement l’expression « style japonais » ? Markéta Hánová nous apprend que dans l’art, il s’agit d’une certaine stylisation et simplification des formes.

« Le vrai japonisme est le style qui prend son influence dans la forme d’expression japonaise, nous la retrouvons dans la composition, dans la tendance à la stylisation ou à la simplification des formes. Les artistes qui représentaient l’avant-garde dans les pays tchèques sont aussi influencés par les estampes japonaises. Par exemple, Arnošt Hofbauer, un des fondateurs du groupe avant-garde Mánes, était aussi un collecteur d’estampes japonaises. »

Vojtěch Preissig,  photo: Galerie nationale Prague
Parfois, l’artiste emprunte la composition d’un original japonais pour le reproduire sur son propre image, comme sur une affiche pour le concert de la chanteuse tchèque Hana Kvapilová datant de 1898. On voit l’actrice s’appuyant sur une table à côté d’un miroir. Elle est dos à l’observateur mais son visage apparaît dans le miroir. La reproduction de l’image de Geisha du très célèbre peintre Kitagawa Utamaro révèle la même composition diagonale de la peinture avec une Geisha dont le visage se reflète dans un miroir. Pour que le parallèle soit évident dans l’exposition, les deux images sont situées l’une à côté de l’autre.

Alfons Mucha,  'L'Iris',  photo: Musée de l’Art et de l’Industrie
Un autre élément de l’art japonais qui est transposé dans l’art tchèque est l’attention aux détails et l’utilisation d’un motif au premier plan ouvrant à une perspective sur le second et permettant l’observation d’objets ou de paysage plus lointains. L’œuvre graphique de Vojtěch Preissig ou encore les peintures d’Alfons Mucha s’inspirent dans ce sens de l’art japonais. Markéta Hánová note par rapport à ce dernier :

« Du fait d’avoir vécu à Paris, Mucha était aussi influencé par le style d’art japonais. Sur ses affiches, nous pouvons voir le motif de l’iris qu’il faisait en très grand. On peut voir à travers ces iris comme à travers une grille un autre objet à l’horizon, c’est une composition très typique des estampes japonaises. »

Arnošt Hofbauer,  L'affiche pour l’exposition du cercle artistique Mánes de 1898,  photo: Galerie morave de Brno
Sur son affiche pour l’exposition du cercle artistique Mánes de 1898, Arnošt Hofbauer représente, lui, le motif de la grande vague emprunté de Katsushika Hokusai, qui a dessiné la Grande Vague de Kanagawa en 1831. Ce peintre surnommé « le Vieux Fou de la peinture » a notamment influencé van Gogh, Claude Monet ou Gauguin.

Le japonisme atteint son apogée au début du XXe siècle. On faut imaginer le café japonais de Joe Hloucha dans le passage Lucerna constamment rempli, des salles de concerts à guichet fermé quand la chanteuse d’opéra Ema Destinová se produit en Madame Chrysanthème ainsi que des bals japonais très populaires. Si la fascination pour l’art japonais diminue avec la multiplication des objets et des œuvres d’art ayant trait au Japon, Markéta Hánová conclut que le japonisme persiste dans la culture européenne car il s’agit d’un des courants qui a fait naître l’Art nouveau, un style qui s’est directement inspiré du japonisme.