Quitter le Japon pour la Tchéquie par amour de Dvořák
Soyoko Saito et Natsumi Matsuzaki, respectivement pianiste et cantatrice japonaises, ont toutes deux fait le choix de quitter le Japon pour la Tchéquie, portées par leur passion pour la musique classique tchèque. Dans un entretien exclusif, les deux musiciennes racontent leur parcours et reprennent pour Radio Prague International les plus grands airs de Dvořák, Saint-Saëns, Yamada et Smetana, une rencontre étonnante à la croisée des cultures tchèque, japonaise et française.
Rien ou presque ne pouvait présager que les chemins de Soyoko et de Natsumi se croisent un jour. La première, issue de l’est du Japon, a pendant vingt ans exercé la profession d’institutrice. La seconde, de dix-sept ans sa cadette et originaire du sud de l’archipel, se destinait à une carrière de chanteuse d’opéra. Pourtant un point commun les rapproche : leur sensibilité à l’écoute de l’œuvre du compositeur tchèque Dvořák, un engouement tellement puissant qu’elles ont quitté le pays du Soleil-Levant pour s’installer en République tchèque et ainsi marcher dans les pas du compositeur.
Soyoko, dans ses jeunes années, ne se voyait pas devenir pianiste professionnelle. Intéressée par les sciences, elle aspirait plutôt à une carrière de pharmacienne, quand sa mère, professeur de piano, aurait préféré la voir suivre son chemin. A l’université, elle décide finalement de s’orienter vers l’enseignement et suit des cours de musique et d’éducation à l’université de Kunitachi et de Meisei pour devenir institutrice. Son diplôme en poche, elle commence sa carrière dans la préfecture d’Ibaraki, au nord-est de la capitale. Pendant vingt-deux ans, elle enseigne à l’école primaire, mais elle ne s’y plaît pas, le piano qu’elle étudiait à reculons plus jeune lui manque.
« Quand j’étais enfant, je ne voulais pas apprendre le piano car ma mère était un professeur de piano stricte et je pensais, par conséquent, que tous les autres professeurs seraient aussi sévères que ma mère. Mes parents m’ont cependant demandé d’apprendre le piano, je ne pouvais pas refuser. J’ai décidé de l’étudier sans grand enthousiasme, mais maintenant je leur suis reconnaissante car grâce au piano, je suis venue à Prague, j’ai fait de nouvelles connaissances et j’ai vécu plein de bonnes expériences. »
A quarante-cinq ans, Soyoko saute donc le pas, elle arrête sa carrière d’institutrice, se consacre entièrement au piano qu’elle a continué de pratiquer malgré tout et s’envole pour la République tchèque.
Soyoko a découvert Prague quelques années plus tôt lors d’un voyage. Elle est émerveillée par la beauté de la ville, elle rêvait depuis longtemps de se rendre dans la patrie de Dvořák qu’elle admire. Elle rencontre par hasard une famille japonaise installée en Tchéquie, elle ne savait alors pas que cette dernière l’hébergerait peu après dans ses débuts à Prague.
A son arrivée, Soyoko entreprend d’étudier le tchèque et prend des cours de piano au conservatoire.
« J’ai eu tout d’abord des cours privés deux fois par semaine au conservatoire. J’ai appris la grammaire tchèque en deux ans et ensuite je me suis inscrite à une école de langue. Le tchèque est pour moi difficile, en particulier les déclinaisons qui m’ont plus d’une fois donné mal à la tête. J’aime cependant apprendre des langues étrangères et je prends donc plaisir à étudier le tchèque. »
A Prague, elle est repérée par un groupe de musiciens japonais à la recherche d’un pianiste. L’association organise chaque année deux représentations. C’est là qu’elle rencontre Natsumi en 2018, cantatrice. Les deux femmes se lient d’amitié et jouent ensemble à plusieurs reprises. L’une des premières œuvres qu’elles interprètent en duo est française, il s’agit de ‘La mort d’Ophélie’ de Camille Saint-Saëns.
Natsumi, pour sa part, a connu un parcours bien différent de Soyoko avant d’arriver en République tchèque. Devenir cantatrice était pour elle une évidence et elle a bénéficié, pour cela, de l’appui indéfectible de ses parents dans ses choix professionnels :
« Par chance, mes parents m’ont laissé faire ce que je voulais. J’en suis reconnaissante. Ainsi, lorsque j’ai annoncé que je voulais étudier le chant et que je souhaitais devenir cantatrice, ils m’ont simplement dit : ‘Vas-y fais-le ! Trace ta route, mais tu dois garder à l’esprit que quoiqu’il arrive, il faut toujours que tu aies suffisamment d’argent pour vivre. Tu peux suivre tes rêves, nous te soutenons, mais tu dois réfléchir à la manière dont tu peux te construire par toi-même’. »
Au cours de ses études de musique à l’université Ferris dans la capitale nipponne, elle découvre un morceau de musique classique qui changera à jamais le cours de sa vie : ‘Le chant à la Lune’ de l’opéra Rusalka de Dvořák.
« J’ai entendu cette œuvre lors de ma troisième année à l’université au Japon. Quand je l’ai entendue pour la première fois, j’ai été tellement bouleversée et émue par sa beauté que j’ai voulu en savoir plus sur la musique tchèque. J’ai commencé à écouter beaucoup de compositeurs tchèques comme Dvořák, Smetana ou Martinů. Je suis tombée véritablement amoureuse de la musique tchèque et cela m’a convaincue de me rendre en République tchèque pour étudier. »
Pour la jeune femme, l’attrait est trop fort, elle veut baigner au quotidien dans les airs de ses idoles tchèques. Elle est reçue à l’Académie de musique Janáček de Brno et part ainsi s’installer en Moravie. Elle y restera deux ans avant de rejoindre Prague.
La crise sanitaire a toutefois quelque peu contrarié les plans de Soyoko et de Natsumi. Le groupe japonais de musique de Prague auquel elles appartenaient a dû renoncer aux concerts. Comme pour beaucoup, le confinement n’a pas été une partie de plaisir. Contrainte de jouer dans son appartement, Soyoko, qui s’entraîne d’ordinaire cinq heures par jour au piano, a dû s’adapter pour ne pas gêner son voisinage :
« Quand l’épidémie a débuté, mes voisins m’ont demandé de ne pas jouer trop longtemps au piano, mais je voulais et je devais le pratiquer. J’ai alors contacté mon propriétaire pour l’avertir de la situation. Que pouvais-je faire ? Finalement, ce dernier m’a acheté un synthétiseur et j’ai ainsi pu jouer du piano à la maison en combinant deux heures sur le synthé et trois heures sur le piano ordinaire. »
Les deux femmes ont également pu consacrer davantage de temps durant cette période à d’autres occupations. Toutes deux donnent, en effet, des cours privés de japonais à des élèves toujours plus nombreux.
« La plupart de mes étudiants sont de République tchèque. Ils aiment les mangas, s’intéressent à la langue japonaise, veulent voyager au Japon ou simplement souhaitent apprendre une langue exotique. Les raisons sont nombreuses, mais mes étudiants apprennent le japonais avant tout en tant que hobby », indique Natsumi.
La culture tchèque n’est pas en reste non plus au Japon. La République tchèque y est connue pour ses illustres compositeurs comme l’explique Soyoko :
« Pour les Japonais, la République tchèque est connue pour la Vltava, car les élèves écoutent Ma Patrie, composée par Smetana, dès le collège. A notre époque, nous entendions parler de la République tchèque et de cette rivière ; ainsi, à chaque fois que j’écoutais Ma Patrie, je souhaitais ardemment voir la Vltava. »